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Je dois dire, pour être exact, que l'on trouve concurremment au moyen âge les deux orthographes tomber et tumber. On trouve même la première forme dans le sens actif de faire tomber, renverser, sens qui n'est pas indiqué dans le Dictionnaire de l'Académie, bien que tomber quelqu'un se soit conservé jusqu'à nos jours comme terme d'agonistique.

Mais qu'une fois la mort te tombe. (Alph. de la M. K.)

CHAPITRE V.

De la prononciation de la voyelle U.

RÈGLE I. U dans le dialecte blaisois sonne généralement eu; Ex.: nature, morsure, piqûre; j'ai bu, tu as vaincu, il a aperçu; sur, mur, obscur; pron.: nateure, mourseure, pequeure, j'ai beu, t'as veunqueu, il a-z-aparçeu, ou il a-t-aperceu; seur, meur, osqueur, ou seu, meu, ousqueu.

Telle a été en effet, non pas la seule prononciation de la voyelle u, mais une des plus communément employées depuis l'origine de notre langue. Je ne m'occuperai ici de la prononciation de la voyelle u qu'au XVIe siècle, qui lui-même l'avait reçue des siècles précédents.

Eû, dit J. Dubois (1531) est signe de diphthongue; Ex.: fleûr. flos. >>

Eu, c'est eû, mais d'un son plus sourd, comme cueûr, meurt, cor, moritur. »

Ainsi qu'on ne l'oublie pas eu, d'après Dubois, a deux sons, l'un fermé, l'autre ouvert. Le premier seul s'est conservé dans le dialecte blaisois. On a remarqué que la Comédie française, gardienne fidèle de la tradition, prononçait les finales en eur beau

coup moins ouvertes que dans le langage usuel. Nos paysans prononcent cu le plus fermé possible, d'un accent un peu traînant; ils disent une heure, une fleur, en faisant sonner cet eu, à peu près comme eue dans queue.

o en

« E, écrit plus loin le même grammairien, se change en eû : debitum, deû, ou deût, ou debte; i en eû, visus, veù; u en cû, fluvius, fleûve. »

eû, hora, heûre,

Ainsi en 1531 les participes veu, deu, aujourd'hui vu, du, se prononçaient réellement comme on les écrivait; et non-seulement ceux-là, mais tous les participes en eu, sans excepter même celui du verbe avoir; Ex.:

On ne pourroit mieulx

De ce qu'elle dit et propose;

Ce sont fais et dis souteneux.

(M. du S. d'Orl., vs. 15285.)

G'hai receûptes tes letres; g'heûsse eû faîct; g'heûsse eû aîmé; ils heûssent aimé. (J. Dubois.)

Il ne faudra donc pas s'étonner, si lors même que la diphthongue eu aura été dans une foule de mots contractée en u, le peuple, les courtisans, et les poètes, fidèles à l'antique usage, continuent à conserver à cet u le son de eu.

Je vais plus loin, et je prétends, fondé sur mes propres observations et confirmé dans mes idées par l'autorité de Palsgrave, que le son eu n'était pas alors représenté seulement par la diphthongue cu, mais encore par la voyelle u.

« L'u voyelle français, dit-il, sonne comme en anglais le son ew dans les mots rewe, an herbe, (qui s'écrit aujourd'hui rue, prononcez reue) ('); a mew for a hauke, (pron. meue; en français, une mue); a clew of threde (auj. clew et clue, pron. cleue.)

Ainsi dans les mots plus, nul, humble, vertu, etc. les français pro

(1) Je note ici la prononciation anglaise du XVIe siècle et non celle d'aujourd'hui qui seroit rioue, mioue, etc.

noncent en traînant sur la prononciation de la voyelle Pleuus, neuul, feuus, euuser, heuumble, verteuu. » (Palsgr. p. 7.)

G. du Guez ne parle pas autrement : « Vous prononcez l'u, ditil, comme le font les Ecossais dans le mot gud » (pron.: gueud; c'est le good des Anglais).

Et ceci est tellement vrai que dans une pièce de vers d'Alain Chartier ainsi qu'en diverses autres citations où Palsgrave rapproche la prononciation de l'orthographe, et fait constamment entr'elles une comparaison intra-linéaire en inscrivant sous le texte du poète de Charles VII la manière dont on le lisait sous François I", la voyelle u est perpétuellement notée eu; Ex.:

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Ne faudrait-il pas être aveugle en présence de preuves aussi concluantes pour nier l'attribution du son eu à la voyelle u, et estil besoin de recueillir dans les poètes du XVIe siècle, où d'ailleurs elles fourmillent, des citations à l'appui ?

C'est dans le Dialogue de l'ortografe et de la prononciation francoese du Manceau Jacques Peletier (1550) qu'il est fait mention pour la première fois de la transformation de la dipthongue eu en u dans les participes: « Incidemment faut dire ici, répond Dauron, l'un des interlocuteurs, que pour la même cause les supins seu, peu, teu, deu, conneu, etc. ont été mis en su, pu, tu, du, connu, etc.; item: asseure, alleure, monteure, jeuner en assure, allure, monture, juner et beaucoup d'autres. »

J'ai ici plusieurs conclusions à tirer, La première, c'est que c'est

entre 1530, où écrivoient Dubois et Palsgrave, et 1550, où écrit Peletier, que le son et la diphthongue eu ont commencé à se transformer en u; la seconde, c'est que de l'aveu même de Peletier, cette transformation n'a pas été subie par tous les mots terminés en eu et en eure; la troisième, c'est qu'il faut bien se garder de croire que cette pronciation en u fut alors aussi répandue que pourroient le faire penser les paroles de Dauron. Nous verrons en effet un grand nombre des mots, dont il s'agit, se maintenir en prose et en poésie pendant tout le XVIe siècle, et qui le croirait? jusque dans le sévère Malherbe lui-même. Le verbe asseurer, dont Peletier affirme si imperturbablement la métamorphose en assurer, vivra pendant la plus grande partie du règne de Louis XIV, et n'expirera qu'au seuil du XVIIIe siècle. Quant à juner, dont on trouve encore des exemples dans Lafontaine, il est bien mort aujourd'hui : jeuner promet d'être immortel.

Et la preuve que cette prononciation en u ne sortait point, même alors, d'un petit cercle de novateurs, c'est que pas un des poètes contemporains de Peletier, ni Ronsard et sa pléiade, ni Est., Pasquier, ni L. des Masures, ni J. du Bellay, ni du Bartas lui-même, quoique postérieur, n'appuient de leurs exemples les préceptes du grammairien.

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Mais pourquoy te fais-je demande

De si peu de baisers, friande,

Si Catulle en demande peu?

Peu vrayment Catulle en désire,
Et peu se peuvent-ils bien dire,

Puisque compter il les a peu. (Joach. du B. Bayser.)
Puisse arriver après l'espace d'un long âge
Qu'un esprit vienne a bas sous le mignard ombrage
Des myrtes, me conter que les âges n'ont peu
Effacer la clarté qui luist de notre feu.

(Ronsard, 2o livr. des Amours, Elég. à Marie.)

Je te feray tous les ans un grand vou,

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