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1572.

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Heureux rideau! non que par ta présence
J'aye cueilli le fruit de jouyssance.
Las! arriver à ce poinct je n'ay peu.

(Est. Pasq. Jeux poét. Loyauté.)
Les Dieux, les rois, le sang, le fer, le feu
En vers francoys Desmazures entonne
Qui a cerché Virgile, où il étonne
Tout l'Elysée au bruire de son jeu.
Puis est sorti sus en l'air peu à peu
Pour déclarer l'Enfer qui d'horreur tonne,
Chantant ainsi que le fils de Latone,

Ou que sonner le grand Virgile a peu.

(Fr. de Clémery dans L. des Mas. p. 263.)

Et ce participe peu dont je pourrais citer bien d'autres exemples, est précisément un de ceux de la finale desquels Peletier affirmoit positivement la transformation en u!

Ramus (1562) ne parle pas des participes. Il se contente de signaler la présence de la diphthongue et de la prononciation eu dans peur, seur, meur. Juste vingt ans après Henri Estienne dans son Hypomneses écrit ces lignes toutes contraires : « seur, meur se prononcent sur, mur, u long ». Il n'est peut-être pas un poète au XVI° siècle, qui ne donne raison à Ramus contre H. Estienne.

En revanche, les grammairiens paraissent désormais d'accord sur la finale des participes; le son u gagne de jour en jour du terrain; et au rebours de Rob. Estienne (1558) qui donne pour exemples de la diphthongue eu seur, meur, peu, meurement, esmeu, heureux sans faire de distinction entre la prononciation eu dans chacun de ces mots, Henri Estienne (1582) fait remarquer que dans il pleut et dans l'adverbe peu on n'entend pas le même son que en j'ai pleu et j'ai peu.

En 1584 la question paraît définitivement tranchée et Théod. de Bèze constate qu'à l'imitation des Picards, les Français prononcent par u simple:

1° Les mots seur, meur et leurs composés;

2o Tous les noms en eure long, dérivés des verbes, comme blesseure, casseure, navreure, etc.;

3° Tous les participes passés passifs, masculins ou féminins, terminés en eu, eue, comme beu, beue; deu, deue; leu, leue, etc.

Et il ajoute « C'est à tort qu'on fait rimer heur et dur; engraveure et figure; heure et nature, faute qu'on retrouve en Guyenne ». (De Franc. ling. rect. pronunt. 1584.)

Aussi les poètes se montrent désormais moins prodigues de rimes condamnées par les grammairiens et les courtisans, et l'on peut dire que dorénavant, en poésie du moins, l'attribution du son eu à la voyelle u est une exception. On n'en rencontre que deux exemples dans Desportes:

O temps, qui du haut ciel la vitesse mesures,

Las! retourne, disois-je, à mesurer les heures. (Elégie V.)
Amour n'est point si beau; Angélique n'eut sceu

Se garder d'enflammer aux rais d'un si beau feu.

(Angélique.)

Et là-dessus Malherbe de s'écrier : « Rimes provençales! rimes gasconnes! mauvaises rimes! on dit feu et heure par diphthongue, mesures et sçu par voyelle simple. » (Comment. sur Desportes.) Mais, ô terrible Malherbe, quand on est si sévère pour les autres, on devrait au moins prêcher d'exemple, et je ne reconnais plus le critique de Desportes dans l'auteur des vers suivants :

Non, Malherbe n'est point de ceux

Que l'esprit d'enfer a déceus.

(A M. de la Garde, 1628, année de la mort de Malherbe.)

Cf. Cur. in. p. 518: Plusieurs peuvent être déceux.
Pour moi dans ce que j'en ai veu

J'assure qu'elle aura l'aveu

De tout excellent personnage. (Id. id.)

On peut suivre pendant la plus grande partie du XVII° siècle la lutte dans certains mots entre eu et u. Ainsi je note dans Nicot (1606) Heurler et hurler; meusnier et munier; meurler et mugler; beurre et burre; beuvrage et bruvage; etc. J'y rencontre meur et seur sans même que la seconde forme mûr, sûr soit notée. Ménage est le premier qui dans son Dictionn. Etymolog. ait signalé la double orthographe et la double prononciation sûr et seur : « En latin, dit le P. Chifflet (1658), on fait sonner l'e et l'u comme dans Europa, Eurus; en français l'on n'entend qu'un son : Fleurir, MEURIR, peureux, feu, peu ». — « La diphthongue eu, dit plus tard (1692) Andry de Boisregard, est longue: Creuser, meugler, excepté seule, ASSEURER, fleuron. »

Ainsi l'on voit qu'au moment ou le XVIIIe siècle va s'ouvrir, le verbe asseurer, condamné par Peletier dès 1550, conserve encore des prosélytes même parmi les grammairiens.

Aujourd'hui il n'y a plus que le mot gageure sur lequel on soit partagé. L'Académie dit gajure, et M. Louis Veuillot gageure. (') Victrix causa Diis placuit, sed victa Catoni.

REMARQUE I. U se prononce i dans jupon, ruban, pron. : jipon ou jeupon, riban ou reuban.

Un bon gipon ouvré vesti et boutonna..

(Chr. du Guesclin.)

Argent ne pend à gippon, ne ceinture. (Fr. Villon, p. 218.)
Estreinte d'un riban qui de Montoire vient.

(Ronsard, Amours, II, La quenouille.)

U se prononce aussi très souvent i dans un, lundi, manufacture, pron. in, lindi, manifacture. (Ce dernier se prononce aussi maneufacture et manéfacteure):

<<< Ce mestier estant divisé en beaucoup de parties, c'est-à-dire en plusieurs sortes de manifacture. » (H. Est. Précell. p. 144.)

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ceci explique comment il se fait que dans l'ancienne langue on écrivait certains mots par e, que nous écrivons aujourd'hui par u et réciproquement.

Je cuidai, fet-il, purchacier
Ma viande sor cest femier.

(M. de Fr., fabl. I.)

Usurier de sens desruglės

D'usure estes tant aveuglés. (La Gdo De Mac. p. 14.)

Il se prist à façonner la fluste, liant plusieurs chalemeaux. (Jeh. de Mont.)

Cf. Gémeaux et jumeaux; bevons et buvons, jusier et gésier, Jumiège et Gemiège.

REMARQUE III. U est muet dans furoncle, pron. : fronque.

Froncle. (Dict. de H. Estienne 1546.)

Froncle. (Trésor de Nicot, 1606.)

Froncle ou furuncule. (Cotgrave, 1632.)

REGLE UNIQUE.

CHAPITRE VI.

Prononciation de l'Y.

Y se prononce dans le dialecte blaisois

comme en français, excepté :

1o Dans les mots paysan et paysage, où il sonne comme un i simple péezan, péezage (Voir le chapitre sur la prononciation de la diphthongue ai.) Ex.:

Voici, saincte Cerès, le paisan Sosiclée
Qui de son petit clos te donne une gerbée.
(Jeh. de Montl. p. 55.)

De peur d'être odieux, je parle ici paysan,
(Du Lorens, sat. XI.)

Tu dis souvent, Monsieur, que je vis en paysan.

(Id. sat. XX.)

J'etois ravi de voir chose si rare,

Quand de paisans une troppe barbare
Vint oultrager l'honneur de ces rameaux.

(Joach. du B. Antiq. de Rome, p. 11.)

Dieu mit des cœurs de rois au sein des artisans,

Et au cerveau des rois des esprits de paisans (D'Aubigné.)
Le paisan n'ayant peur des bannières estranges (Réguier.)

Je ne trouve pas d'exemples de cette synérèse antérieurement au XVIe siècle.

On rencontre bien pays monosyllabe dans Alain Chartier, mais je suis porté à ne voir dans ce vers cité par Palsgrave (p. 61.) qu'un de ces jeux de mots ou allitérations, si communs au XVe siècle. (')

Or ont régné en grant prospérité

Par maintenir justice et équité

Et ont laissé après mainte victoire

Les pays en paix, en haultesse et en gloire.

2o Dans pays et dans crayon où le son mouillé de l'y disparait, pron. ; péhis, craihon ou crahon, ou creuhon.

« Quelques-uns disent peyen, reyon, reyonner, eyons, mais cette prononciation est mauvaise; il faut prononcer l'a et dire pa-yen, a-yons, ra-yon. Prononcez cependant peyer, peyons, et non pa-yer, pa-yons. » (A. de Boisreg., p. 489.)

L'orthographe raer pour rayer semblerait indiquer l'existence de cette prononciation dès l'origine de la langue.

3o Dans un certain nombre de mots, la plupart d'origine grecque, l'y ayant le son de l'i suit les mêmes règles que cette der

(1) D'après Sarasin (p. 71. Poésies), c'est une prononciation normande. Cf. Ch Bourd. p. 58.

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