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et qu'on y trouve même de la profondeur. Il en est plusieurs dont on pourroit retrancher impunément la moitié des mots, sans nuire à la clarté; on donneroit même ainsi plus de nerf à sa diction.

De la né

vailler son

Effacez vous-même, Orateur Chrétien, tous XXXVIII. ces pleonasmes. Jugez sévèrement vos pro- cessité de traductions; et bannissez avec ces redondances Style. toutes les familiarités de style qui ravalent la majesté des idées. On n'exige pas que tout soit également frappant dans un Sermon ; mais on demande que tout soit écrit avec soin, et que l'Eloquence dédommage par la beauté de l'élocution, de celle qui manque aux pensées : comme la sculpture supplée par les richesses des ornements à l'imitation plus difficile de la Nature. C'est le grand Art de Voltaire dans les scènes les moins animées de ses Tragédies. Il faut des repos pour l'admiration : il en faut sur-tout dans la véhémence; de sorte que si l'on dit qu'il se trouve plusieurs morceaux vraiment éloquents dans un Sermon écrit d'ailleurs avec noblesse, soutenu avec intérêt, et raisonné avec force, on l'aura suffisamment loué, puisqu'il n'en existe encore aucun qui soit également parfait sous tous les rapports de l'Art.

Aspirez-vous au mérite d'un style pur et

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élégant? multipliez donc les copies de vos Discours; et à l'exemple de Fenelon qui né avec une si prodigieuse facilité, a laissé néanmoins onze Manuscrits différents et complets de son Télémaque, écrits en entier, ou du moins raturés et corrigés de sa main, ne cessez de transcrire aussi votre Ouvrage, jusqu'à ce que vous soyez parvenu à vous satisfaire vous-même. Vous trouverez la récompense de vos fatigues dans la confrontation de chacun de vos Cahiers avec le précédent. Tout Orateur doit adopter la devise de César, qui croyoit n'avoir rien fait, tant qu'il lui restoit quelque chose à faire. Plus on écrit, mieux on écrit ; et ce n'est qu'en surmontant l'ennui de ces transcriptions réitérées, que l'on peut déployer dans son style toute la perfection de son goût. Aussi très-peu de Gens de Lettres font-ils usage de toutes leurs forces. La plupart d'entr'eux, accoutumés à se contenter trop tôt, meurent sans avoir jamais ni connu ni fait connoître l'étendue de leur talent. Les idées accessoires, les beautés de détail, les heureuses combinaisons de la finesse, du nombre et de l'harmonie, le doux sentiment d'un morceau achevé qu'Horace a si bien défini eţ si bien exprimé par ces mots, qui me mihi reddat amicum, enfin les tournures élégantes

et variées qui font le charme du style, se présentent rarement à l'esprit de l'Ecrivain dans le premier jet d'un Ouvrage, et sont ordinairement le prix d'une longue correction. Tant qu'il est possible de changer, il est possible de mieux faire. C'est le caractère du beau dans les Arts, de frapper si vivement le talent qui le produit et le Spectateur qui l'admire, qu'également épris du même enthousiasme ils ne puissent plus rien imaginer au-delà de ce qu'ils voient.

Tous nos grands Orateurs qui ont fait de l'Eloquence de la Chaire l'un des plus riches domaines de notre Littérature nationale, se sont plus ou moins signalés par ce mérite suprême du style qui seul assûre la vie d'un Ouvrage. La perpétuité de leur renommée est garantie par l'exemple et par les principes de tous les grands Maîtres de l'Art. Ce n'est plus moi, c'est Quintilien qu'il faut entendre parler, quand il insiste avec tant de force sur l'importance et la nécessité de ces laborieuses corrections sans lesquelles on ne sçauroit obtenir et conserver aucune gloire. Traitons, dit-il, maintenant du soin de corriger ce qu'on a écrit, soin qui forme une partie considérable de la composition; car ce n'est pas sans raison qu'en prenant ce mot dans le

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sens propre, on a dit que le style (la plume) n'agit pas moins en effaçant qu'en écrivant. Ce que j'appelle corriger, c'est ajouter, retrancher et changer. La clarté est la qualité première et fondamentale du style. Il faut que rien ne manque à la phrase et qu'il n'y ait rien de trop (1). On ne parvient point à bien composer en composant víte ; et l'on parvient à composer vite en composant bien (2). Toutes nos pensées nous plaisent au moment où elles viennent se présenter à notre esprit; car autrement on ne les écriroit pas. Après ce premier jet qui ne sçauroit être jamais trop rapide, il faut revenir à l'examen et remanier cette Composition dont la facilité doit toujours nous étre suspecte. Imposons-nous avant tout, la loi d'écrire le mieux qu'il nous est poset de cette habitude naîtra la célérité (3).

sible;

(1) Sequitur emendatio, pars studiorum longe utilissima. Nec enim sine causa creditum est stylum non minus agere cum delet. Hujus autem operis est adjicere, detrahere, mutare. De institutione Oratoria. Lib. 10, cap. 4. Nobis prima sit virtus perspicuitas; nihil neque desit, neque superfluat. Lib. 8.

(2) Cito scribendo non fit ut bene scribatur, bene scribendo fit ut cito. Lib. 10, cap. 3.

(3) Omnia enim nostra dum nascuntur placent: alioquin nec scriberentur: sed redeamus ad judicium, et retractemus

Cicéron dit que le Style est le grand Mattre et le principal ressort de l'Eloquence (1). Que personne ne se flatte donc de devenir disert à peu de frais, ou par la seule fatigue d'autrui. Qu'on se persuade bien au contraire, qu'il faut veiller, pálir sur un ouvrage et faire des efforts extraordinaires pour le rendre parfait. Tout Orateur doit se fixer à lui-même un guide, une pratique, une manière qui lui soit propre ; ensorte néanmoins que cet ordre de travail paroisse moins en lui un effet de l'Art et le fruit de l'application, qu'un heureux don de la Nature. L'Art Oratoire, s'il en est un, peut nous indiquer promptement le chemin; mais il se borne à nous découvrir les trésors de l'Eloquence: c'est à nous à sçavoir en faire usage (2). Il est des Mattres

suspectam facilitatem. Primum hoc constituendum est, ut quam optime scribamus: celeritatem dabit consuetudo, Lib. 10, cap. 3.

(1) Stylum Tullius optimum effectorem ac magistrum dicendi vocat. Lib. 10, cap. 3.

(2) Nemo expectet ut tali vel tantum alterius labore sit disertus. Vigilandum ducat, iterum enitendum, pallendum. Est facienda sua cuique vis, usus, dux, ratio; nec tanquam hæc tradita sed tanquam innata. Ars Oratoria, si qua est, viam demonstrare velociter potest : verum ars satis præstat si copias eloquentiæ ponit in medio : nostrum est uti iis scire. Lib. 7, cap. 10.

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