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SCÈNE II.

DORANTE, DORIMÈNE.

DORANTE.

Oui, madame, vous verrez la plus plaisante chose qu'on puisse voir, et je ne crois pas que dans tout le monde il soit possible de trouver encore un homme aussi fou que celui-là. Et puis, madame, il faut tâcher de servir l'amour de Cléonte et d'appuyer toute sa mascarade. C'est un fort galant homme, et qui mérite que l'on s'intéresse pour lui.

DORIMÈNE.

J'en fais beaucoup de cas, et il est digne d'une bonne fortune.

DORANTE.

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Outre cela, nous avons ici, madame, un ballet qui nous 10 revient, que nous ne devons pas laisser perdre; et il faut bien voir si mon idée pourra réussir.

DORIMÈNE.

J'ai vu là des apprêts magnifiques; et ce sont des choses, Dorante, que je ne puis plus souffrir. Oui, je veux enfin vous empêcher vos profusions, et, pour rompre le cours à 15 toutes les dépenses que je vous vois faire pour moi, j'ai résolu de me marier promptement avec vous. C'en est le vrai secret, et toutes ces choses finissent avec le mariage.

DORANTE.

Ah, madame! est-il possible que vous ayez pu prendre pour moi une si douce résolution?

DORIMÈNE.

Ce n'est que pour vous empêcher de vous ruiner; et

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sans cela, je vois bien qu'avant qu'il fût peu vous n'auriez pas un sou.

DORANTE.

Que j'ai d'obligation, madame, aux soins que vous avez de conserver mon bien! Il est entièrement à vous, aussi 5 bien que mon cœur, et vous en userez de la façon qu'il vous plaira.

DORIMÈNE.

J'userai bien de tous les deux. Mais voici notre homme; la figure en est admirable.

SCÈNE III.

M. JOURDAIN, DORIMÈNE, DORANTE.

DORANTE.

Monsieur, nous venons rendre hommage, madame et 10 moi, à votre nouvelle dignité, et nous réjouir avec vous du mariage que vous faites de votre fille avec le fils du Grand Turc.

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M. JOURDAIN, après avoir fait les révérences à la turque. Monsieur, je vous souhaite la force des serpents et la prudence des lions.

DORIMÈNE.

J'ai été bien aise d'être des premières, monsieur, à venir vous féliciter du haut degré de gloire où vous êtes monté.

M. JOURDAIN.

Madame, je vous souhaite toute l'année votre rosier fleuri. Je vous suis infiniment obligé de prendre part 20 aux honneurs qui m'arrivent; et j'ai beaucoup de joie de

vous voir revenue ici, pour vous faire les très humbles excuses de l'extravagance de ma femme.

DORIMÈNE.

Cela n'est rien; j'excuse en elle un pareil mouvement. Votre cœur lui doit être précieux; et il n'est pas étrange que la possession d'un homme comme vous puisse in- 5 spirer quelques alarmes.

M. JOURDAIN.

La possession de mon cœur est une chose qui vous est tout acquise.

DORANTE.

Vous voyez, madame, que M. Jourdain n'est pas de ces gens que les prospérités aveuglent, et qu'il sait, dans sa 10 gloire, connaître encore ses amis.

DORIMÈNE.

C'est la marque d'une âme tout à fait généreuse.

DORANTE.

Où est donc Son Altesse turque! Nous voudrions bien, comme vos amis, lui rendre nos devoirs.

M. JOURDAIN.

Le voilà qui vient, et j'ai envoyé quérir ma fille pour 15 lui donner la main.

SCÈNE IV.

M. JOURDAIN, DORIMÈNE, DORANTE, CLÉONTE,

habillé en Turc.

DORANTE, à Cléonte.

Monsieur, nous venons faire la révérence à Votre Altesse comme amis de monsieur votre beau-père, et l'assurer avec respect de nos très humbles services.

M. JOURDAIN.

Où est le truchement, pour lui dire qui vous êtes, et lui faire entendre ce que vous dites? Vous verrez qu'il vous répondra; et il parle turc à merveille. Holà! Où diantre est-il allé? (A Cléonte.) Strouf, Strif, strof, straf; 5 monsieur est un grande segnore, grande segnore, grande segnore; et madame une granda dama, granda dama. Ahi, lui, monsieur, lui Mamamouchi français, et madame Mamamouchie française. Je ne puis pas parler plus clairement. Bon, voici l'interprète.

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SCÈNE V.

M. JOURDAIN, DORIMÈNE, DORANTE; CLÉONTE, habillé en Turc; COVIELLE, déguisé.

M. JOURDAIN.

Où allez-vous donc? Nous ne saurions rien dire sans vous. (Montrant Cléonte.) Dites-lui un peu que monsieur et madame sont des personnes de grande qualité, qui lui viennent faire la révérence, comme mes amis, et l'assurer de leurs services. (A Dorimène et à Dorante.) 15 Vous allez voir comme il va répondre.

COVIELLE.

Alabala crociam acci boram alabamen.

CLÉONTE.

Catalequi tubal ourin soter amalouchan.

M. JOURDAIN, à Dorimène et à Dorante.

Voyez-vous?

COVIELLE.

Il dit: «Que la pluie des prospérités arrose en tout

20 temps le jardin de votre famille. »

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LUCILE, CLÉONTE, M. JOURDAIN, DORIMÈNE, DORANTE, COVIELLE.

M. JOURDAIN.

Venez, ma fille, approchez-vous et venez donner la main à monsieur, qui vous fait l'honneur de vous demander en mariage.

LUCILE.

Comment, mon père! comme vous voilà fait! Est-ce une comédie que vous jouez?

M. JOURDAIN.

Non, non; ce n'est pas une comédie: c'est une affaire fort sérieuse, et la plus pleine d'honneur pour vous qui se peut souhaiter. (Montrant Cléonte.) Voilà le mari 10 que je vous donne.

A moi, mon père?

LUCILE.

M. JOURDAIN.

Oui, à vous. Allons, touchez-lui dans la main, et rendez grâce au ciel de votre bonheur.

LUCILE.

Je ne veux point me marier.

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