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Les défenseurs de cette troisième opinion invoquent l'autorité de S. Justin, qui dit dans son dialogue avec Tryphon, en parlant des Juifs: Vous ne serez pas assez osés pour soutenir que votre nation n'a jamais manqué de roi ou de prophète, jusqu'à la venue de JésusChrist, il vous serait impossible de le prouver: car si Hérode, sous lequel Jésus est mort, était d'Ascalon, comme vous le dites, vous n'en aviez pas moins un grand-prêtre de votre nation. Ils concluent de ces paroles que S. Justin pensait que Jacob, par le mot Juda, voulait désigner toute la nation juive et non pas seulement la tribu de Juda; mais il n'en est rien; S. Justin n'a en vue, dans ce passage, qu'une seule chose, il veut prouver que cette prophétie concerne le Messie et qu'elle a reçu son application dans la personne de Jésus; pour cela il suffisait à S. Justin de prouver que les Juifs obéissaient à un roi étranger lors de la venue de Jésus; il n'avait pas à donner une minutieuse définition du mot Juda; que ce mot signifiât la nation juive ou la tribu de Juda, son argument n'en conservait pas moins toute sa force: il prend ici le tout pour la partie, ce qu'il n'aurait pas fait s'il avait voulu expliquer rigoureusement la valeur du met Juda. C'est comme si, en parlant d'un homme né à Rome, on disait qu'il est né en Italie; ou bien en parlant d'un prince de Bourbon, on disait que c'est un prince de France; ces locutions sont permises parce que la partie est comprise dans le tout. Ainsi S. Justin a pu dire en parlant du Messie, qui devait naître dans la tribu de Juda, qu'il naîtrait parmi la nation juive. Ce qui prouve que tel est le sens des paroles de S. Justin, c'est le passage qui suit et qui est extrait de la se conde Apologie: C'est à vous à rechercher et à apprendre jusqu'à quand les Juifs ont eu des chefs et des rois de leur nation; vous verrez qu'ils en ont eu jusqu'à la venue de Jésus, notre maître, qui nous a expliqué le sens des prophéties que nous ignorions: ainsi il nous a découvert le sens de celle qui avait été rapportée par Moise, et qui disait que les Juifs ne manqueraient pas de chefs tirés de leur nation, jusqu'à la venue de celui à qui appartient en propre la dignité royale; car Juda est le père des Juifs, c'est de lui qu'ils empruntent leur nom. Dans ce passage, S. Justin entend par Juifs, non toute la nation des Juifs sortie des douze tribus, mais la postérité de Juda. C'est dans le même sens qu'il faut prendre les paroles de S. Athanase, dans son livre de l'Incarnation du Verbe.

V. Quatrième opinion; réfutation de cette opinion. Les défenseurs de cette opinion, parmi lesquels on cite S. Epiphane, S. Cyrille, S. Augustin et quelques modernes, trouvant l'explication précédente trop vague, l'ont restreinte; ils appliquent à la tribu de Juda seulement ce que les autres entendaient des douze tribus; ils pensent que les paroles de Jacob veulent dire que le sceptre ne sortira pas de cette tribu. c'est-à-dire, qu'elle continuera à former un peuple régi par ses propres lois jusqu'à la venue du Messie, et qu'alors elle se trouvera dissoute et dispersée,

ce que l'événement a justifié; car après la destruction définitive du royaume d'Israël, on a vu le royaume de Juda restauré après une semblable destruction, et jouir de tous les priviléges d'un gouvernement indépendant jusqu'à l'arrivée du Messie. Les partisans de cette opinion s'attachent à deux points: ils prétendent que Jacob avait en vue la portion de pays qui devait être un jour le partage de la tribu de Juda; comme dans les promesses qu'il fait à Zabulon, à Issachar et à ses autres enfants, il parle d'après le partage qui doit leur échoir; ainsi Jacob, en parlant à Juda, aurait compris dans la promesse qu'il lui faisait, tout le pays que devaient occuper un jour ses enfants dans la terre promise. Ils prétendent en second lieu, comme le pensaient les défenseurs de l'opinion précédente, que les paroles de la prophétie n'indiquaient pas que la nation juive cesserait d'exister à l'instant même de la naissance du Messie, cette limite devait avoir une latitude morale, comprendre l'intervalle, par exemple, qui se trouve depuis la domination de Pompée ou d'Hérode, jusqu'à la ruine de la ville et du temple de Jerusalem, sous Titus. Les partisans de cette opinion disent que l'Esprit saint préparait déjà l'accomplissement de cette prophétie lors du schisme des dix tribus, quand une portion des Israélites fut désignée sous le nom de royaume d'Israël, et l'autre sous le nom de royaume de Juda, avec la succession des rois légitimes; un de ces royaumes fut détruit et ses débris disséminés au loin et sans retour, tandis que le royaume de Juda fut restauré et conserva, jusqu'à la venue du Messie, son gouvernement particulier et sa législation propre. Il y a cette différence entre cette opinion et la première, ainsi que la troisième dont j'ai parlé, que dans la première on prétend qu'il ne devait jamais y avoir d'interruption dans la succession des rois qui devaient tous être de la tribu de Juda; dans la seconde on prétend qu'il doit toujours y avoir un corps de nation juive, avec son chef ou son roi pris dans la nation juive; au lieu que les partisans de la quatrième opinion se contentent de dire que la tribu seule de Juda doit former cette nation qui sera indépendante jusqu'à la venue du Me sie. La troisième opinion rentre bien un peu dans la quatrième; aussi Péreira,qui l'avait adoptée, la modifia-t-il, en disant qu'il était plus probable et plus croyable que cette prophétie devait s'entendre de toute la tribu de Juda, et il cite à l'appui de ce nouveau sentiment les mêmes raisons qu'on allègue pour défendre la quatrième opinion.

Celle quatrième opinion ne manque pas d'une certaine vraisemblance, j'en conviens; elle est bien plus admissible que les trois autres; cependant il est difficile de croire que le mot scebhet qui est rendu par sceptrum doive signifier le gouvernement civil, l'administration d'un peuple formé de toute une tribu, quand l'auteur ajoute immédiatement: Nec dux de femore ejus, « ni un chef de sa postérité,» paroles qui évidemment ne peuvent se rapporter qu'à certatus individus de cette posté

rité, et non à sa postérité entière. On a cherché à éluder la force de ces mots dux de femore, qui évidemment indiquent une succession par génération, et qui, par conséquent, ne peuvent s'expliquer qu'à des individus, et non à une tribu entière; mais toutes les subtités n'ont pu rien produire de satisfaisant. On est également forcé de convenir que Jacob parle de la même personne dans les deux cas, quand il promet le sceptre et un chef. Or le titre de chef dénote des individus, le mot sceptre doit donc également se rapporter aux indivi dus, et non à la tribu entière de Juda. Ensuite, pour soutenir cette opinion, il faut comprendre avec la tribu de Juda la tribu de Benjamin et les lévites qui composaient le royaume de Juda; et les paroles de la prophétie ne peuvent concerner qu'une seule tribu; car voici comment Moïse rapporte les circonstances de son récit (Gen. XLIX, 28): Ce sont là les chefs des douze tribus d'Israël, et voilà ce qui leur fut dit par leur père lorsqu'il les bénit; il donna à chacun d'eux la bénédiction qui leur était propre ; ainsi Benjamin eut sa bénédiction propre aussi bien que Lévi; donc ce qui est dit à Juda ne regarde que lui, et ne saurait être la part des autres. Inutilement voudrait-on établir une similitude entre ce passage et celui du troisième livre des Rois que j'ai déjà cité, et où il est dit que la scule tribu de Juda resta fidèle, quoiqu'il y eût avec elle une portion de la tribu de Siméon et la majeure partie de la tribu de Benjamin, et de plus quelques familles de la tribu de Lévi; car il est assez ordinaire de désigner le tout par sa partie principale, surtout quand les autres parties ne forment pas des êtres distincts et séparés; ainsi on dit Rome pour désigner l'empire romain, car Rome est inséparable de l'empire romain et des différentes parties qui le composent; si au contraire on medemande quelles sont les plus belles villes de l'empire romain, et que je nomme les villes de Rome et de Constantinople, alors on verra que Rome scule ou Constantinople ne pouvaient pas suffire pour désigner tout l'empire romain. Il en est de même de la tribu de Juda; on peut étendre ce nom aux autres tribus qui s'y trouvent comprises, quand ces autres tribus ne forment pas un tout à part, ce qui avait lieu quand Jacob s'adressait à chacune séparément, pour leur donner à chacune une bénédiction propre. Il ne faut pas oublier ensuite qu'après le retour de la caplivité, les Juifs se trouvaient sous la dépendance des rois de Perse et qu'ils furent tribulaires des rois successeurs d'Alexandre, et qu'on peut dire qu'à dater de cette époque le sceptre leur avait été enlevé, ce qui tend, comme je l'ai déjà dit, à infirmer cette opinion qui, sous ce rapport, se rapprochait de la seconde. Voici enfin une raison qui combat toutes les quatre opinions que je viens d'exposer; leurs partisans prétendent qu'à la venue du Messie le sceptre sera cnlevé de Juda, et que les Juifs cesseront alors de former un royaume, et la particule donec, « jusqu'à ce que,» indique la cessation

une fois que l'événement auquel ce mot est annexé se trouve accompli; or cette interprétation est en opposition manifeste avec les prophéties que je dois bientôt citer, et qui prédisent à la postérité de Juda un règne qui ne doit jamais finir.

VI. Cinquième opinion; réfutation de cette opinion. Cette opinion a pour patrons le cardinal Cajétan et un savant hébraïsant anonyme dont parle Isidore Clarius ( in Gen. XLIX, 10). Les auteurs de cette opinion l'ont conçue d'après les écrits de quelques Juifs modernes ; ils se contentent de l'exposer sans l'appuyer d'aucunes raisons; ce motif m'oblige d'entrer à cet égard dans de plus grands développements. Ils disent que Jacob prédit ici deux choses distinctes et fort importantes: la première, que le Messie naîtra un jour dans la tribu de Juda; la seconde, que cette même tribu sera mise en possession d'un royaume où elle règnera éternellement, et que c'est au Messie qu'elle devra ce privilége; ils voient l'annonce d'un règne éternel promis à la tribu de Juda, dans ces mots : Le sceptre ne sortira pas de Jacob, ni un chef de sa postérité, car si jamais le sceptre et le pouvoir ne doivent sortir de la tribu de Juda, il s'ensuit qu'elle en jouira éternellement ces paroles qu'ajoute Jacob: Donec veriat qui mittendus est, indiquent, selon eux, que c'est le Messie qui méritera le privilége de cette possession, qui ne finira jamais. Il semble que cette seconde partie de la prophétie signifie tout le contraire; tout le monde y verra que Jacob annonce précisément la fin du règne de Juda pour le moment où paraîtra le Messie. Toute Ia difficulté vient du mot aad, que la Vulgate a traduit par donec, «jusqu'à ce que; » ce mot, disent-ils, n'a pas toujours ce sens, il n'exprime pas toujours la fin, la cessation; quelquefois même on l'emploie pour indiquer la suite, la continuation d'une chose; il a quelquefois la signification de intereà. Ainsi, au huitième chapitre de la Genèse (vers.7), il est dit, en parlant du corbeau lâché par Noé hors de l'arche: Il ne rentra pas; cependant les eaux qui étaient sur la terre se séchaient, « donec siccarentur.» Ici le mot donec ne veut pas dire dire jusqu'à ce que, car on ne voit pas que le corbeau rentra après que les eaux furent séchées Au chapitre vingt-huit de la Genèse (vers. 15), Dieu dit à Jacob: Je ne vous quitterai point que je n'aie accompli tout ce que je vous ai dit, Aad ascer, Donec fecero. Dirat-on que le Seigneur devait quitter Jacob après ? On peut voir une foule d'exemples de ce genre recueillis par S. Jérôme ( adv. Helvid.). Cajétan se trompe sur le vrai sens du mot donec, dans la prophétie de Jacob; il lui fait dire avec quelques docteurs juifs mo- i dernes que la tribu de Juda possèdera un grand royaume, que la famille de David en héritera, qu'il passera à sa postérité, et qu'enfin on verra paraître le Messie qui en rendra la durée éternelle, en le continuant au ciel, d'où aucune puissance ne le lui ravira.

Quoique cette opinion de Cajétan qui n'est pas tout-à-fait celle des Juifs, sur lesquels il

s'appuie, ne soit pas tout-à-fait improbable, j'ai pourtant des raisons pour ne pas l'admettre; ainsi elle enlève à la prophétie de Jacob un caractère essentiel que lui ont reconnu non seulement tous les SS. Pères, mais encore tous les anciens Juifs, celui de désigner l'époque de la venue du Messie. Un autre défaut de cette opinion, c'est qu'elle dislingue deux choses dans cette prophétie, le sceptre et le commandement, sceptrum et dur; le sceptre signifierait le royaume temporel, et le commandement signifierait le royaume céleste et éternel; or rien dans la prophétie ne favorise cette interprétation.

VII. Mon opinion sur le sens de la prophétie de Jacob; preuves à l'appui. Jacob annonce quatre points dans cette prophétie : Le sceptre ne se retirera point de Juda, ni le chef de sa postérité, jusqu'à la venue de celui qui doit être envoyé, qui sera l'attente des nations, ou bien, et à qui les nations obéiront. Le premier membre de la prophétie est compris dans ces mots : Le sceptre ne se retirera pas de Juda; voilà la promesse d'un royaume qui ne doit pas finir. Le second membre de la prophétie se trouve dans ces paroles: Le chef de sa postérité, qui promettent à la tribu de Juda un pouvoir temporel et périssable. Le troisième membre est tiré de cet endroit : Jusqu'à la venue de celui qui doit être envoyé, ce qui annonce la fin du règne temporel et du pouvoir que promet la prophétie; enfin le quatrième membre est celui-ci : Il sera l'attente des nations. Ces mots désignent le règne du Messie, qui ne doit pas être borné au pays de Chanaan, mais qui doit s'étendre sur toute la terre et consister dans un règne tout spirituel. C'est pour n'avoir pas assez examiné les diverses parties de cette prophétie, qu'on lui a attribué tant de sens divers, qui n'ont contribué qu'à la rendre obscure. Čajétan a bien deviné pour la première partie de cette prophétie, pour la seconde et pour la quatrième, qui prédisent qu'une domination spirituelle prendra la place d'un pouvoir temporel; mais il s'est trompé sur la troisième partie qui indiquait l'époque où se ferait cette substitution. Les autres opinions trouvent dans cette prophétie la promesse d'un pouvoir temporel et la fixation du moment où apparaîtra le Messie, mais elles se taisent sur le reste; il n'y a pourtant pas d'autre moyen d'expliquer celte prophétie, comme on va le voir. La première partie de l'oracle: Le sceptre ne se retirera pas de Juda, annonce quelque chose de général; elle donne à Juda l'espoir que lui et ses descendants règneront éternellement sur le reste de sa nation; toutefois elle n'indique pas comment ce règne sera éternel, et ne dit pas s'il s'agit d'une suprématie temporelle où spirituelle. La seconde partie de la prophétie est moins vague, elle specifie la nature du pouvoir qu'elle promet; il s'agit a un pouvoir temporel et périssable qui doit se transmettre de génération en génération, dux de femore, un chefde sarace.» Le texte hébreu signifie de inter pedes ejus; Jonathan a traduit de semine ejus; Onkélos et la version de Jérusalem, de filiis ejus. Le mot Mahhaqaq, que la Vul

gate traduit par dux, a une autre signification que le mot scebhet, sceptrum, qui précède. Le mot sceptrum, sceptre, dénote le pouvoir royal; le mot dux désigne tout simplement un droit de supériorité quelconque pour l'exécution des lois et l'administration de la communauté, en sorte qu'il devait toujours subsister un commandement, un pouvoir quelconque exercé par la nation; mais que le pouvoir indépendant et vraiment royal pourrait cesser momentanément jusqu'à la venue du Messie, et alors tout pouvoir, toute forme de gouvernement devait être abolie, selon celle parole du prophète Osée (III, 4): Les enfants d'Israël seront pendant un long temps sans roi, sans prince, sans sacrifice, sans autel, suns éphod et sans théraphim. En abolissant ce pouvoir, le Messie devait en créer un autre d'une autre nature, un pouvoir spirituel, éternel, qui ne se bornerait pas à un temps limité, et ne serait pas circonscrit dans un seul pays; il devait s'étendre sur toute la terre; le prophète Amos l'annonce clairement en ces termes (IX, 8): Les yeux du Seigneur sont ouverts sur le royaume qui s'abandonne au péché; j'en exterminerai les kabitants de dessus la terre, dit le Seigneur; néanmoins je ne ruinerai pas entièrement la maison de Jacob. L'événement a justifié cette prophétie; Dieu a puni la nation juive sans T'exterminer entièrement; il s'est souvenu des paroles de son prophète: Je m'en vais donner mes ordres, et je ferai que la maison d'Israe sera agitée parmi toutes les nations comme le blé est remué par le van ; le prophète annonce ensuite la substitution d'un pouvoir spirituel et éternel qui succédera à ce pouvoir temporel dont il prédit l'abolition; il dit: En ce jour-là je relèverai le tabernacle de David qui est tombé; je refermerai les ouvertures de ses murailles; je rebâtirai ce qui aura été renversé, et je le rétablirai tel qu'il était autrefois, afin que mon peuple possède les restes de

Idumée, et toutes les nations du monde qui seront appelées de mon nom; c'est le Seigneur qui l'a dit et c'est lui qui le fera. Tel est le sens de ces paroles de Jacob : Il sera l'attente des nations. Jacob ici parle d'un règne spirituel, d'un pouvoir qui durera toujours; plasieurs autres prophéties confirment cette interprétation, celles surtout qui concernent la loi que le Messie devra donner aux hommes, et qui se rapportent à l'empire qu'il exercera sur eux; ainsi, on lit dans le Psalmiste (LXXI, 1): 0 Seigneur, donnez au roi votre équité pour juger, et au fils du roi votre justice.....; sa domination s'étendra depuis une mer jusqu'à l'autre, et depuis le fleuve jus qu'aux extrémités de la terre.... Tous les rois l'adoreront, toutes les nations lui seront assu jéties. Cette prophétie ne peut s'entendre de David, ni des rois ses successeurs, car leur royaume ne s'étendait pas jusqu'aux extremités de la terre; ils n'ont pas donné des lois à tous les peuples, à tous les souverains; il faut donc qu'il soit question d'une autre domination, supérieure à tout ce qui avait été connu auparavant, et qui devait être le partage d'un descendant de David. Voici une autre

prophétie sur le même objet (Ps. LXXXVIII, V.21: J'ai trouvé David, mon serviteur, je l'ai oint de mon huile sainte, ma main ne l'ébandonnera point, et mon bras le fortifiera.... Je le traiterai comme mon fils ainé ; je l'élèverai au-dessus des rois de la terre; je lui conserverai toujours ma miséricorde, et l'alliance que Je fais avec lui sera inviolable; j'établirai' sa race pour jamais, et son trône durera autant que les cieux. Celle-ci encore d'Isaïe est fort remarquable (IX, 6, 7): Un petit enfant nous est né, et un fils nous a été donné ; il portera sur son épaule la marque de sa principauté, et il sera appelé l'Admirable, le Conseiller, Dieu le Fort, le Père d'une famille éternelle, le Prince de la prix. L'étendue de son empire et la paix qu'il établira n'auront point de fin il s'assiéra sur le trône de David, et il possèdera son royaume pour l'affermir et le fortifer dans l'équité et dans la justice depuis ce temps jusqu'a jamais. Voilà le royaume de David promis au Messie; une fois qu'il le possèdera ce sera pour toujours; ce royaume n'aura aucune borne; le Messie sera un roi pacifique qui fortifiera son règne dans l'équité, et qui aura pour nom l'Admirable, Dieu le Fort. Daniel parle aussi du règne spirituel du Messie, quand il dit (VII, 13, 14) que l'Ancien des jours a donné au Fils de l'homme la puissance, l'honneur et le royaume; que tous les peuples, toutes les tribus, toutes les langues le serviront; que sa puissance sera une puissance éternelle qui ne lui sera point ôtée, el que son royaume ne sera jamais détruit. Jérémie dit (XXXIII, 20, 21): Voici ce que dit le Seigneur : Si vous pouvez rompre l'alliance que j'ai faite avec le jour et l'alliance que j'ai faite avec la nuit, pour empêcher que le jour et la nuit ne paraissent chacun en son Temps, on pourra rompre aussi l'alliance que j'ai faite avec mon serviteur David, et empécher qu'il ne naisse de lui un fils qui règne sur son trône. Michée a dit ( V, 2): Et vous, Bethleem Ephrata, vous êtes regardée comme un lieu trop peu considérable pour donner des princes à Juda; mais c'est de vous, dit le Seigneur, que sortira mon Fils, pour être le dominateur dans Israël, lui dont la génération est dès le commencement, dès l'éternité. Cette prophétie annonce deux choses qui se retrouvent dans la prophétie de Jacob, que le Messie naîtra dans la tribu de Juda et qu'il possèdera un royaume qui durera éternellement. La même promesse est faite à la sainte Vierge par l'ange Gabriel (Luc, I, 32, 33) : Il sera grand et sera reconnu le Fils du Très-il aut; le Seigneur lui donnera le trône de David, son pre; il regnera dans la suite de tous les siècles sur la maison de Jacob, et son règne n'aura point de fin. Les disciples du Sauveur faisaient allusion à cette promesse quand, après la résurrection, ils lui demandaient (Act. 1, 6): Seigneur, sera-ce en ce temps que rous rétablirez le royaume d'Israel? On lit dans Isaïe (XI, 1): Il sortira un rejeton du tronc coupé de Jessé, et une fleur naîtra de sa racine: l'esprit du Seigneur se reposera sur lui; l'esprit de sagesse et d'intelligence, l'esprit

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de conseil et de force, l'esprit de science et de piété; il sera remp'i de l'esprit de la crainte du Seigneur, et il l'inspirera aux hommes. It ne jugera pas sur ce qui parait aur your, et il ne conda nera pas sur un oui-dire; mais il jugera la cause des pauvres dans la justice, et se déclarera le juste vengeur des humbles qu'on opprime sur la terre; il frappera la terre avec la verge de sa bouche, et il tuera l'impie du souffle de ses livres. Il est bien question dans cette prophétie d'un règne spirituel; c'était déjà assez l'indiquer en disant que ce règne serait éternel. Le passage suivant d'Ezechiel confirme encore le sens que je donne à cet endroit de la prophétie de Jacob (XXI, 26, 27): Voici ce que dit le Seigneur : Otcz-lui le dia deme, ôtez-lai la couronne, elle ne sera plus ce qu'elle a été, je relèverai ce qui est abaissé, jabaisserai ce qui est élevé; j'en ferai voir injustice, l'injustice, dis-je, l'extrême injustice; elle sera privée du droit de juger jusqu'à la venue de celui à qui ce droit doit appartenir et à qui je le donnerai. C'est du roi Sédécias que parle le prophète; il fut, d'après le témoignage de Josèphe (Ant. liv. X, ch.11). le dernier roi de la postérité de David. Le mot que Vulgate traduit par injustice, aaara, en hébreu, signifie perverti, gåté; il est question de la couronne qui est devenue la possession d'un roi méchant, mais qui passera en d'autres mains; la couronne temporaire et périssable de Sédécias deviendra une couronne éternelle, quand viendra celui dont Isaïe a parlé en ces termes (XLII, 1): Je l'ai rempli de mon esprit, il rendra justice aux nations; et l'apôtre S. Jean ( V, 22): Le père ne juge personne, mais il a donné au fils tout pouvoir de juger....; il lui a donné le pouvoir de juger, parce qu'il est fils de l'homme. Dieu déclare qu'il lui donnera le trône des rois de Juda, el cela lorsqu'on verra l'accomplissement de cette parole du prophète Amos ( IX, 11 ) : En ce jour-là je relèverai le tabernacle de David qui est tombé; je refermerai les ouvertures de ses murailles; je rebâtirai ce qui aura été renversé, et je le rétablirai tel qu'il était autrefois. Je termine par cette citation de l'Apocalypse (XI, 15): Les royaumes de ce monde sont enfin soumis à notre Seigneur et à son Christ, lequel règnera dans les siècles des siècles. Ici on voit annoncée sans énigmes el fort clairement la transformation du règne temporaire promis au Messie, en un règne éternel. La prophétie de Jacob qui nous occupe en ce moment contient elle-même l'annonce de cette transformation; elle dit que la postérité de Juda n'aura plus de chef pris dans son sein, que sa puissance temporaire et terrestre cessera à la venue du Messie, qui fondera un nouveau royaume; or ce nouveau royaume doit être d'une nature différente de celui qu'il est destiné à remplacer, autrement il eût fallu dire que le Messic continuerait le royaume de Juda; le mot donec qui indique la cessation de l'objet auquel il se rapporte, ne tombe que sur le second membre de la prophétie, Et dux de femore ejus, qui désinne un pouvoir temporaire et périssable;

il ne s'étend pas au premier membre de la prophétie, non auferetur sceptrum de Juda, paroles qui annoncent un règne qui ne finira jamais ce n'est pas celui-là que le Messie doit abo ir. Le sens que je donne à cette prophétie satisfait toutes les opinions, et coupe court à toutes les difficultés; on y trouve annoncée l'époque de la venue du Messie et la durée éternelle du règne promis à Juda. VIII. Réponse à une première objection. On ne voit pas que depuis Jacob jusqu'à David et après la captivité de Babylone la postérité de Juda ait régné sur la nation juive, ainsi il ne saurait être question, dit-on, dans la prophétie de Jacob, d'une domination que devait toujours exercer la postérité de Juda. Je ne prétends pas que la postérité de Juda devait, d'après la prophétie, posséder toujours le pouvoir de fait, mais le droit de le posséder lui a toujours appartenu; le Messie est rentré dans son droit, a pris possession de ce qui etait son héritage et l'a considérablement augmenté. David ne lui avait laissé qu'un royaume terrestre, borné, temporaire; le Messie l'a changé en un royaume éternel, céleste ou spirituel et à l'abri de toutes vicissitudes. Le royaume de David était si peu stable qu'il n'a pu passer jusqu'à la troisième génération dans sa famille; celui dont a hérité le Messie ne connaît pas de limites, il comprend tous les hommes qui sont les héritiers de Dieu, les cohéritiers de Jésus-Christ (Rom. VIII. 17). Comme David était la figure du Messic, ainsi que je le ferai voir, de même son royaume n'était que la figure du royaume que le Messie devait fonder; ou bien c'est le même royaume que possède d'abord David et ensuite le Messie. La tribu de Juda a pu quelquefois perdre le pouvoir de fait, mais le droit lui restait, ainsi que l'espoir de le recouvrer un jour dans la personne du Messie. Le droit à la couronne est une espèce de royauté. On peut dire que le sceptre n'est pas sorti de la maison des Stuart, en Angleierre, quoique Charles II ait été plusieurs années privé du trône et même exilé de son pays; car il portail partout avec lui le droit à la couronne. C'est ainsi que plusieurs docteurs juifs, et Onkélos, entre autres, ont expliqué la prophétie de Jacob; elle dit qu'il y aura toujours un chef de la postérité de Juda, aaad aaolma,« in æternum. » Le rabbin Selomoh adopte cette explication également, et il cite à l'appui ce passage du prophète Daniel (II, 44) Dans ce jour-là et sous le règne de ces princes le Dieu du ciel suscitera un royaume qui ne sera jamais détruit; ce royaume ne vassera pas à un autre peuple.

IX. Réponse à une deuxième objection. Jacob n'a pu parler d'un royaume spirituel, car les Hébreux n'en ont jamais eu la moindre idée, et quand il y en aurait eu un parmi eux, c'eût été la tribu de Lévi et non la tribu de Juda qui en aurait fourni les chefs; Jacob ne parle que d'un royaume terrestre. La tribu de Juda, qui fut chef de ce royaume durant un temps, l'a perdu, et elle ne l'a plus possédé, pas même à l'époque du Messie, puisque Leroyaume du Messie n'était pas de ce monde;

d'ailleurs le Messie descendait de ce Jéchonias dont les enfants, d'après la prophétie de Jérémie, ne devaient pas régner. La réponse à cette objection est facile. Jusqu'à la venue du Messie, les Hébreux n'ont connu qu'un royaume terrestre et ordinaire ; mais à son arrivée, le Messie remplaça ce royaume par un autre royaume tout spirituel; le premier royaume avait été comme une préparation à un royaume meilleur et d'une nature plus relevée. C'est comme la France sous Pharamond et sous Louis XIV; quoique le royaume ne soit pas composé des mêmes provinces, on n'en dit pas moins que Louis XIV est le successeur de Pharamond; ainsi, le Messie est le successeur de David, avec cet avantage qu'il est véritablement descendant de David, au lieu que Louis XIV n'est pas de la même dynastie que Pharamond. On peut donc dire qu'il y a eu chez les Juifs un royaume spirituel substitué au royaume temporel lors de la venue du Messie: la prophétie de Jacob a en vue ces deux royaumes.

X. Réponse à une troisième objection. La tribu de Juda ne régnait pas sur le peuple hébreu pendant tout le temps qui précède David; ainsi la prophétie de Jacob ne doit pas être entendue dans le sens d'un règue même temporel. Cette objection de Péreira attaque non seulement les divers seus donnés à cette prophétie, mais encore elle va contre le sens qu'il lui donne lui-même. On peut répondre que Jacob ne prédit pas que la tribu de Juda va de suite entrer en possession du pouvoir qu'il lui promet, il annonce au contraire que le terme en est éloigné, car il réunit ses enfants pour leur révéler ce qui doit arriver dans la suite des temps (Gen. XLIX, 1); dans sa prophétie il annonce donc ce qui devra s'accomplir un jour.

XI. Observations préliminaires sur les interprétations de cette prophétie par les docteurs juifs. Après avoir examiné les diverses opinions des commentateurs chrétiens sur le sens de cette prophétie, il reste à voir ce qu'en ont pensé les Juifs. Les uns admettent qu'il y est question du Messie, mais ils ne veulent pas reconnaître que Jésus soit ce Messie; les autres prétendent qu'elle ne concerne aucunement le Messie. Ces deux opinions ont donné naissance a plusieurs autres, qu'un savant juif, Manassès-Ben-Israël a réduites à onze. Je les aurai toutes réfutées, si je viens à prouver que cette prophétie regarde le Sauveur. Et d'abord les paroles suivantes s'appliquent évidemment à Jésus: Pour vous, Juda, vos frères vous loueront, votre main mettra vos ennemis sous le joug, les enfants de votre père se prosterneront devant vous. Ici Jacob parle à Juda, comme le père du Messie; c'est au Messie qu'il s'adresse dans la personne de Juda: comme ailleurs les prophètes donnent au Messie le nom de David, parce que c'est de la famille de David qu'il devra naître, de même en cel endroit, Jacob appelle le Messie Juda: or Jésus a été îoué et adoré par ses frères, car c'est ainsi qu'il nomme ses disciple · il dit

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