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Africain; il les accuse d'avoir mieux aimé arracher avec leur main sacrilege quelquesfeuilles des oracles divins, que d'être forcés de conveuir de l'impiété et de l'impudicité de quelquesuns de leurs ancêtres, chefs dans leur nation.

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XI. Témoignage remarquable de Josèphe sur Jésus-Christ. Son authenticité. S'il en est ainsi, on peut dire qu'ils ont mis la même ruse à retrancher un autre passage, que les isputes des savants ont rendu célèbre, et dans lequel Josèphe parle en termes formels des vertus de Jésus-Christ, de ses miracles, de sa mort, de sa résurrection, des prophéties qui le concernent, des égards que les chrétiens lui témoignaient, de leur foi dans ses paroles. Voici ce passage corrigé sur les exemplaires de la Bibliothèque royale: Il parut en ce temps un homme d'une haute sagesse appelé Jésus, si cependant on peut dire que c'était un homme, tant il opérait de miracles: il enseignait ceux qui prenaient plaisir à être instruits de la vérité; il avait un grand nombre de disciples aussi bien parmi les gentils que parmi les Juifs, c'était le Christ; il fut accusé parmi les premiers de notre nation et condamné par Pilate à être crucifié ceux qui l'avaient aimé durant sa vie ne l'abandonnèrent pas après sa mort; il ressuscita trois jours après sa mort, et se montra à ses disciples. Les prophètes avaient prédit ce miracle et plusieurs autres qui se sont accomplis en lui. Depuis lui, on a toujours vu de ses disciples qu'on nomme chrétiens. Ce passage remarquable aurait été d'une grande autorité en faveur du christianisme si un zèle trop curieux et indiscret n'en avait diminué là valeur. On a recueilli il y a quelques années et réuni en un petit format tout ce que les écrivains modernes on dit à ce sujet. Les uns ont prétendu que ce passage était supposé, et que les premiers chrétiens, par une pieuse fraude, l'avaient ajouté à l'histoire de Josèphe; les autres au contraire soutenaient qu'il était réellement de Josèphe. Pour moi, puisque je ne puis laisser passer cette question sans dire mon avis, que je suis forcé de me prononcer, je dis formellement que je ne puis admettre l'opinion de ceux qui ont révoqué en doute l'authenticité de ce passage. Ce qui me fait penser ainsi, c'est qu'il se trouve dans tous les exemplaires de l'Histoire de Josèphe, soit manuscrits, soit imprimés. Je m'appuie aussi sur l'autorité d'Eusèbe, qui le rapporte comme un passage authentique dans sa Démonstration évangélique et dans son Histoire ecclésiastique. J'ai pour moi encore S. Jérôme, qui l'a traduit en latin dans son livre des Ecrivains ecclésiastiques, au chapitre de Josèphe. Isidore de Péluse en fait mention dans ses Lettres; il est rapporté dans les Histoires d'Hermias, de Sozomène (Hist. lib.I), de Georges Cédrinus (Hist.cont., p.169), de Nicéphore Čalisete (Hist. lib. 1, cap. 39); Suidas en parle dans son dictionnaire (in i), Théodore Métochite dans son Histoire et Hé gésippe dans son livre de la Ruine de Jéru— salem. Depuis ces écrivains il nous a été transmis sans aucune interruption, ce qui suffit, comme je l'ai prouvé, pour établir

l'authenticité d'un écrit. Je fonde encore mon opinion sur la raison; en effet, il n'est pas probable qu'un historien adroit et distingué comme Josèphe, en écrivant l'histoire des Juifs, eût gardé le silence sur un homme qui a fait tant de bruit non seulement dans sa nation, mais dans presque tout l'univers; qui a fondé une secte qui porte son nom; qui a eu plusieurs disciples; qui s'est appelé le Christ cela seul eût dû suffire pour lui attirer l'attention des Juifs, qui étaient dans une grande attente du Christ, et qui ont fait mention dans leurs histoires de tous ceux qui ont pris ce titre. Comment admettre qu'il ait cru devoir faire l'éloge de S. Jean-Baptiste, de S. Jacques, et qu'il n'ait pas voulu parler de Jésus-Christ dont la célébrité était bien plus grande; surtout quand pour faire mieux connaître S. Jacques, il le nomma frère de Jésus appelé Messie qu'il savait être un personnage bien plus important. Loin de m'étonner que Josèphe ait inséré ce passage, je serais bien plus surpris qu'on pût s'imaginer qu'il n'ait pas parlé de Jésus: il n'est personne tant soit peu familier avec les ouvrages de Josèphe qui ne lui reprochât au contraire une lacune, s'il n'avait pas rendu hommage à la grande célébrité de Jésus. Joignez à ces raisons la contexture des phrases et le style qui annoncent un auteur grec, et de plus certaines tournures familières à Josèphe. Toutes ces considérations me font croire que ce passage est authentique, et qu'il est impossible d'en trouver qui offrent plus de garantie de leur authenticité.

XII. Première objection. Réponse. Voyons les objections que nous opposent nos adversaires. Ils disent qu'Origène en plusieurs endroits a soutenu clairement que Josèphe n'a jamais connu Jésus pour le Christ. Ils en disent autant de Théodoret. Ils vont même jusqu'à vouloir que cet écrivain ait appliqué à Vespasien par flatterie ou sincèrement toutes les prophéties qui concernaient le Messie; et comme dans cet endroit Jésus est clairement appelé le Messie: Celui-ci était le Christ, ils prétendent que ces mots ne se trouvaient pas dans les exemplaires de ces écrivains, ou qu'ils les regardaient comme supposés et intercalés. Je réponds qu'Origène et Théodoret ont pu n'avoir que des exemplaires tronqués de Josèphe, des exemplaires qui auraient subi quelques mutilations de la part des Juifs, et je prouverai bientôt que ce n'est pas là une simple supposition, mais bien la vérité; par conséquent ils n'ont pas vu le passage remarquable de Josèphe, et quand ils l'auraient vu, ils auraient pu, ils auraient dû lui donner un sens autre que celui que les paroles parais-· sent indiquer d'abord. Car Josèphe n'a pas voulu dire que Jésus était en effet le Christ qu'attendaient les Juifs; mais qu'on l'appelait communément le Christ. Il a formellement indiqué ce sens ailleurs : Jésus qui est appelé le Christ. Cette manière de qualifier Jésus était assez en usage; ainsi nous lisons dans S. Matthieu (I, 16): de qui est né Jésus qui est appelé Christ. Cette façon de parler est encore employée par les ennemis du Sau

veur: Pilate s'exprime ainsi : Lequel voulezvous que je délivre de Barabbas ou de Jésus qu'on appelle le Christ? Et peu après : Que ferai-je donc de Jésus qu'on appelle Christ (XXVII, 17, 22) ? Des gardes impies s'écrient : Christ, prophétise-nous qui t'a frappé (XXVI, 68)? Les princes des prêtres et les scribes se disaient l'un à l'autre: Que ce Christ, que ce roi d'Israël descende maintenant de la croix (Marc XV, 32). Les païens ne le counaissaient que sous le nom du Christ. Suétone, dans sa Vie de l'empereur Claude, dit: Il chassa de Rome les Juifs que le Christ poussait à de fréquentes émeutes (ch. 25). Tacite s'exprime ainsi : Son nom est le Christ, celui qui fut supplicié sous le gouverneur Ponce-Pilate. Pline dans sa lettre à Trajan, et Lampride dans sa Vie d'Alexandre Sévère, ne parlent pas différemment. C'est ce qui a fait appeler ses disciples chrétiens. Ecoutons Eusèbe dans sa Démonstration évangélique : Il est le seul entre tous les Hébreux qui recevaient une onction corporelle qui ait été appelé par tout le monde Christ (oint), et il a rempli tout l'univers de ses disciples qui tiraient de lui leur nom de chrétiens( ch. 29 et 43). Il dit dans le premier livre de son Histoire (ch. 3): Une preuve frappante et évidente qu'il y avait en lui une vertu surnaturelle et divine, c'est qu'il est le seul de tous les hommes qui aient jamais paru sur la terre qu'on a appelé le Christ, et que ce nom lui a toujours été donné indistinctement par les Grecs et les Barbares. Done Josèphe en disant, il était le Christ, a voulu sous-entendre ces mots, Celui qu'on appelle le Christ. Nous avons un exemple remarquable d'une ellipse semblable dans l'inscription placée au-dessus de la croix du Sauveur; car Pilate en écrivant Jésus de Nazareth, roi des Juifs (Jean XIX, 19, 21), sous-entendait ces mots, qui se disait tel, que les chefs et les princes des Juifs demandaient qu'on ajoutât. Josèphe appelait Jésus-Christ comme Pilate l'appelait, roi des Juifs. C'est ainsi que l'entend S. Jérôme, car il a traduit le passage de Josèphe par ces mots : et on le croyait le Christ. Il s'attachait à la pensée de l'auteur, et il avait son texte sous les yeux. On voit d'après cela qu'Origène et Théodoret ont pu dire que Josèphe n'a pas reconnu le Christ dans Jésus, et que cet historien a fait à un autre personnage l'application des prophéties concernant le Messie. On insiste: si Josèphe n'a pas cru que Jésus était le Messie, il a dû le regarder comme un fourbe et un imposteur, puisqu'il se serait vanté faussement d'être le Messie, bien loin d'en faire l'éloge et de l'égal or presque à Dieu. Pour moi je trouve que Josèphe s'est conduit en parfait historien, qui raconte les événements tels qu'ils se sont passés, quoiqu'ils puissent lui être contraires, et ne cherche qu'à être vrai, sans émettre son opinion. Voilà ce qu'a fait Josèphe : il a écrit que Jésus a fait des miracles, a donné des préceptes aux hommes, s'est attiré plusieurs disciples; qu'il a été appelé le Christ et a passé pour l'être; qu'il a été accusé par les chefs de sa nation, condamné par Pilate à être crucifié; qu'il est ressuscité et s'est

montré à ses disciples après sa mort; que les prophéties se sont accomplies en lui, et que les chrétiens tirent de lui leur nom et leur religion. Tout cela était si évident du temps de Josèphe, qu'il n'aurait pu le taire sans se rendre coupable d'une odieuse partialité. II ne parle pas de ce qu'il pensait lui-même à cet égard, de ce que pensaient les chrétiens et les Juifs. Quand il dit que la doctrine de Jésus était embrassée par tous ceux qui aimaient la vérité, il n'entend pas faire croire par là qu'il regarde comme vrai tout ce que Jésus disait; il veut dire seulement que les disciples de Jésus se glorifiaient d'aimer la vérité, et qu'ils affectionnaient cette gloire par-dessus tout. Au reste si on veut absolument que Josèphe ait penché pour les chrétiens, j'y consens, pourvu qu'on m'accorde que dans le passage qui nous occupe il ne le fait pas voir. Nous le trouverons encore ailleurs employant adroitement le même art.

XIII. Deuxième objection. Réponse. On nous objecte en second lieu que les premiers défenseurs du christianisme n'ont jamais défendu la religion en invoquant ce puissant témoignage, ni S. Justin, ni Tertullien, ni tant d'autres; pas même Photius, qui a fail un abrégé de Josèphe et nous en a laissé une critique; ni Joseph Ben-Gorion, qui a calqué son Histoire des Juifs sur celle de Josèphe, fils de Mathias : or assurément ils auraient parlé de ce passage s'ils l'avaient connu ou regardé comme authentique. Mais les Juifs, qui l'avaient supprimé dans un grand nombre d'exemplaires dès les premiers temps, avaient des raisons pour en agir ainsi; comme nous avons bien des motifs de soupçonner qu'ils ont fait pour les passages relatifs à la mort de S. Jacques et de S. Jean-Baptiste, et aux témoignages en faveur de Jésus, dont j'ai déjà parlé. Ce qui confirme notre conjecture, c'est le reproche adressé par Baronius aux Juifs, d'avoir effacé ce témoignage de Josèphe en faveur de Jésus dans un ancien manuscrit qui contenait la traduction en hébreu de l'Histoire grecque de Josèphe. Casaubon a voulu affaiblir ce reproche de Baronius par des conjectures qu'il a imaginées, pour faire croire à sa fausseté; mais il a été peu juste envers un savant connu pour son exactitude et sa probité scrupuleuse; car il était question d'un fait et non d'un point de droit, et il faut être bien aveuglé par l'esprit de parti pour ne pas vouloir ajouter foi aux assertions d'un homme aussi honorable que Baronius, et de taxer d'inexactitude un homme aussi scrupuleux. Or, d'après le témoignage d'un savant moderne qui a eu plus de sincérité, ce manuscrit dont parle Baronius se trouve à la Bibliothèque du Vatican et le justifie pleinement. Nous avons encore à l'appui de notre conjecture, entre autres reproches du même genre, celui de S. Justin (Dial. cum Tryph), qui se plaignait que les Juifs ne se génaient pas pour arracher d'une manière sacrilege certains passages dans leurs livres sacrés, quand ils y rencontraient des endroits qui pouvaient leur nuire. Dès lors il n'est pas étonnant que les écrivains chrétiens qui

se servaient d'exemplaires falsifiés et privés surtout de ce passage si remarquable, n'aient pus'en prévaloir. C'est sans doute sur un de ces exemplaires qu'aura travaillé Photius. Et encore je verrais une autre raison pour qu'il n'en eût pas parlé : il peut être difficile de croire qu'un homme d'une aussi grande érudition et qui écrivait avec tant de soin, eût pu ignorer que ce passage se trouvait dans plusieurs autres exemplaires. I pouvait le savoir par Eusèbe (Hist. liv. IV, ch. 18) et d'autres. Mais s'il n'en a pas parlé, c'est que son but n'était pas de donner un abrégé de tout le livre des Antiquités de Josèphe. Qu'on lise son CCXXXVII chapitre, on y verra très-peu de chose sur Hérode. S'il faut dire que le passage de Josèphe sur Jésus est falsifié, parce que Photius le passe sous silence, il faudra donc soutenir que les quatorze premiers livres des Antiquités sont également falsifiés, car il n'en parle pas non plus : il donne fort peu de chose de cet ouvrage ; aussi n'a-t-il pas intitulé son livre, Morceaux extraits de Josèphe, mais simplement, Morceau extrait, au singulier. Encore n'a-t-il pas voulu s'assujettir à une rigoureuse servilité ; il rapporte des choses qui ne sont pas dans Josèphe, comme en cet endroit : Cet Hérode est fils d'Antipater l'Iduméen et d'une femme arabe (son véritable nom était Cypris). Sous son règne le Christ notre Dieu est né d'une vierge pour le salut du genre humain ; Hérode entraîné par sa colère contre lui, abandonna le culte du vrai Dieu, et fit mourir un grand nombre de petits enfants. Si nous retranchons à Josèphe tout ce que ne rapporte pas Photius, nous ne devons pas, pour être justes, lui attribuer tout ce que dit Photius: il s'ensuivra que Josèphe aura écrit que Jésus est Dicu, qu'il est né d'une vierge, qu'il est le sauveur du genre humain; et il aura parlé du massacre des innocents par Hérode, parce que Photius rapporte toutes ces choses. Que nos adversaires choisissent entre les deux partis, ou de reconnaître le passage de Josèphe, quoique Photius ne le rapporte pas, ou de reconnaître dans Josèphe tout ce que rapporte Photius. Photius avait déjà parlé des Antiquités de Josèphe au LXXVI chapitre, mais il se borne à en citer le commencement et la fin, et s'étend ensuite sur Josèphe lui-même ; faudra-t-il en conclure qu'excepté le commencement et la fin les Antiquités Judaïques sont controuvées? Ajoutez encore que les savants se sont souvent plaints de ce que Photius s'éfait amusé à faire des extraits sur des sujets frivoles et peu importants, et qu'il avait négligé les meilleurs auteurs, les plus utiles, pour s'attacher à ce qu'il y avait de plus superficiel. Scaliger dans ses Lettres (ep. 401 ad Rhodoman.) lui reproche d'avoir négligé les livres de Diodore, où il aurait trouvé les antiquités des Assyriens, des Chaldéens et des Phéniciens, et de lui avoir préféré les Babyloniques de Jamblique. Je ne vois pas davantage ce qu'un homme sensé pourra conclure du silence de Ben-Gorion. D'abord Scaliger a fort bien prouvé (Elench. Triber. 4,5) que l'histoire juive qu'on lui attribue,

n'est pas de lui, mais de quelque Juif moderne; plusieurs savants depuis ont également prouvé ce fait. D'ailleurs l'auteur voulait, non pas traduire fidèlement l'histoire grecque de Josèphe, mais se contenter d'un abrégé; est-il étonnant qu'un auteur rusé ait omis un passage aussi remarquable et qu'il n'ait pas voulu lui donner une nouvelle autorité en le rapportant. Ainsi l'auteur, quel qu'il soit, avait deux raisons pour ne pas rapporter le passage de Josèphe; il voulait être court, et favoriser sa nation. Au reste j'ai déjà dit qu'il y a peu à craindre d'un argument négatif.

XIV. Troisième objection. Réponse. On nous fait une autre objection de ce qué ce passage se trouve peu lié dans le récit de Josèphe avec ce qui précède et ce qui suit; mais elle mérite peu d'attention. Il est ordinaire aux historiens d'accumuler des événements divers et qui ont entre eux peu de connexité, pour varier leur récit, sans égard à l'ordre dans lequel ils sont arrivés. S'ils n'en agissaient pas ainsi, ils priveraient leurs lecteurs d'un grand attrait, et s'ôteraient à eux-mêmes la facilité d'embellir leur histoire; ils s'embarrasseraient d'une. infinité de difficultés, ils perdraient un temps précieux à enchaîner tous les faits, et iraient même contre les règles de l'histoire qui obligent un auteur à s'attacher plutôt à l'ordre des temps qu'à la suite des événements. C'est ainsi qu'a fait Josèphe, et il a eu raison l'histoire qui suit immédiatement dans son livre arriva avant la mort de JésusChrist; cependant il n'en a pas moins observé l'ordre des temps, car il ne parle pas seulement de la mort de Jésus, il rapporte tout cé qui concerne sa vie, ses occupations, ses actions diverses; il rapproche tout comme dans un seul cadre, et le raconte au temps où les événements sont sensés se passer: il ne se fatigue pas à rapporter chaque chose en son temps. Casaubon a démontré (adv. Baron. Exerc. XI, ad. annum xx1, ch. 12) que c'était la méthode des historiens les plus distingués.

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XV. Quatrième objection. Réponse. Il est dit dans le passage de Josèphe que Jésus s'était fait plusieurs disciples parmi les Gentils; or, dit Blondel (ep. ad Arnold), ce fait est faux. Car parmi les païens il n'y eut qu'une ou deux femmes qui s'attachèrent à lui; c'est possible, mais ses apôtres ne tárdèrent pas à convertir des peuples entiers: or Josèphe parle de son temps où il voyait le christianisme faire de grands progrès, cl il attribuait avec raison à Jésus ce que ses apôtres faisaient par lui et en vertu de la mission qu'il leur avait donnéc.

XVI. Cinquième objection. Réponse. Blondel ajoute que des chrétiens composés indistinctement de Juifs et de Gentils ne forment pas à proprement parler une nation, que ce mot ne saurait leur convenir. Je laisse aux grammairiens le soin d'expliquer la valeur du mot employé par Josèphe, il n'en est pas moins certain qu'on a pu appeler les chretiens une nation par métaphore. Et puis

pourquoi exiger un si scrupuleux choix d'expressions grecques d'un helléniste juif. XVII. Sixième objection. Réponse. Blondel dit qu'il est absurde de supposer que Joséphe, qui devait pencher plus pour les croyances des païens que pour celles des apôtres, eût reconnu que les prophètes avaient prédit toutes les circonstances relatives à la vie, à la mort et à la résurrection de Jésus-Christ. Mais ce qu'il a dit doit avoir le même sens que le passage déjà cité: Il était le Christ, ce qui signifiait : Puisqu'on croit qu'il est le Christ, les prophéties qui ont promis le Messie à notre nation ont trouvé en lui leur accomplissement.

XVIII. Réponse spéciale aux objections de Tannegui-Lefèvre, sur le témoignage de Joséphe en faveur de Jésus. Je vais maintenant répondre à mon concitoyen Tannegui-Lefèvre, homme très-instruit et d'un esprit brillant et orné. Ayant eu le malheur de quitter le sein de l'Eglise où il était né et où il avait été élevé; entraîné par la légèreté de son âge, il voulait dans un âge plus mûr revenir à cette Eglise et abjurer ses erreurs sur lesquelles il avait ouvert les yeux. C'est luimême qui m'en a fait l'aveu dans ses lettres, peu avant sa mort; et je dois le publier ici à son honneur, quoique la mort l'ait surpris sans qu'il ait pu accomplir son dessein. Il a composé une longue lettre contre l'authenticité de ce témoignage; il y reproduit les arguments que je viens de réfuter, il en ajoute de nouveaux. Examinons-les séparément. Il remarque d'abord que Josèphe était de la race des prêtres, très-attaché à la secte des pharisiens (laquelle était surtout l'objet des attaques de Jésus-Christ), que dès lors il était peu probable que Josèphe eût loué une personne qui maltraitait si fort les gens de son parti. Mais saint Paul était aussi pharisien et un ennemi très-acharné du christianisme, qu'il a fini par embrasser; au contraire Josèphe, qui était de la race des prêtres et ami des pharisiens, a cru que Vespasien était le Messie, lui le plus mortel ennemi des Juifs, du moins Josèphe a feint de le croire. Ensuite en homme érudit il s'en prend à la différence du style, il trouve celui-ci froid, décousu, et prouvant dans celui qui l'aura ajouté au texte un travail pénible et peu naturel. Qu'il est heureux d'avoir l'odorat si fin, et de flairer si vite ce que nous autres, avec la plus grande application, nous ne pouvons pas même soupçonner. Je déclare que je n'y découvre aucune différence, et qu'un œuf ne ressemble pas plus à un œuf, (que ce passage au reste du texte de Josephe. Enfin, il trouve à redire à ces mots : Un certain Jésus. Cette manière de s'exprimer, ditil, s'applique à un homme dont on fait peu de cas, et la suite, au contraire, contient un éloge magnifique de Jésus. Il est vrai que les exemplaires de l'Histoire d'Eusèbe portent ces mots: Un certain Jésus ; mais ils ne se trouvent pas dans sa Démonstration évangélique (liv. III, ch. 5), ni dans les exemplaires de Josèphe que j'ai surtout consultés, ni dans saint Jérôme, qui traduit ainsi : Dans ce temps vi

vait Jésus, homme d'une sagesse remarquable, ni dans Isidore de Péluse, ni dans Nicéphore, ni dans Métochite, ni dans Hégésippe. Ainsi on devrait effacer ce mot dans l'Histoire d'Eusèbe. Au reste, qu'on l'y laisse ; j'admets que le mot soit dans l'original, je soutiens qu'il n'ôte rien à la dignité de la personne à qui il est appliqué. Est-ce que saint Luc rabaissait Zacharie lorsqu'il disait (Luc. V, 5). Dans les jours d'Hérode il y eut un certain prêtre nommé Zacharie. Saint Paul rabaissaitil Ananie, lorsqu'il dit la même chose de lui (Act.XXII, 12)? Saint Luc parle ainsi de l'orateur Tertulle (Act. XXIV, 1). Saint Justin emploie la même expression à l'égard de l'apôtre saint Jean (Dial. cum Triph.); saint Augustin qualifie ainsi Cicéron (Conf. lib. III, ch. 4); Hippolyte perd-il de sa dignité, lorsqu'Ovide lui fait dire (Métaph. liv. XV): Auriez-vous appris qu'un certain Hippolyte a succombé à la mort? Josèphe ajoute : Si toutefois on doit l'appeler un homme, car il opérait des miracles. Voici comment Lefèvre raisonne à cette occasion: Josèphe ne veut pas qu'on appelle Jésus un homme, il veut donc qu'il soit un Dieu; or, jamais les Juifs n'ont pensé que le Messie serait Dieu; il devait aussi regarder comme des dieux Moïse, Élie, Élisée et les autres hommes qui ont fait des miracles. Mais je nie d'abord que les Juifs n'aient jamais cru que le Messie serait Dieu; je démontrerai le contraire plus tard dans ma neuvième proposition. D'ailleurs Josèphe pouvait parler ici par métaphore et d'une manière oratoire, pour rehausser l'éclat des prodiges opérés par Jésus et célébrer ses bienfaits; c'est comme s'il eût dit : Jésus a fait de si grandes merveilles, qu'il paraissait plutôt un Dieu qu'un homme. Arnobe a pu dire: : Quand il serait vrai que Jésus est né homme, cependant, à cause de ses nombreux bienfaits qu'il a répandus sur les hommes, on devrait l'appeler un Dieu. Tigellius (Ap. Philostr. Vit. Apoll. lib.IV, c. 15) et Hiéroclès (Ap. Euseb. in Hier.) ont dit qu'Apollonius de Tyane avait une nature surnaturelle, qu'il ressemblait à la divinité, à cause des prestiges avec lesquels il fascinait les yeux du vulgaire; quelques-uns même ont dit que c'était un dieu. Les héros des premiers temps passaient pour des dieux à cause de leurs exploits et des services qu'ils rendaient aux hommes. De là le proverbe : L'homme est un dieu pour l'homme. Pline a dit (Pline, liv. II, ch. 7): Celui-là est Dicu pour des hommes qui rend service aux hommes. C'est là aussi l'origine de tous les dieux du paganisme. C'est pourquoi encore la plupart des rois et des chefs des peuples ont reçu les honneurs divins. Danaus, dans Eschyle (Supplic. V, 9, 87), ordonne à ses filles d'immoler des victimes aux habitants d'Argos, et de les honorer comme des dieux, en reconnaissance de l'accueil qu'elles en ont reçu. Les Spartiates élevèrent un temple à Lycurgue comme à un dieu. Les habitants de Thasos mirent Agésilas au rang de leurs dieux pour reconnaitre les services qu'il leur avait rendus. Athènes en fit autant pour Antigone et Démetrius,

ot

quelque temps auparavant pour Alexandre, que le peintre Apelle représenta armé de la foudre. Les Rhodiens, d'après le conseil d'Hammon, firent un dieu de Ptolémée et lui consacrèrent un bois, en reconnaissance des secours qu'il leur avait fournis contre Démétrius. Antiochus fut surnommé le Dieu pour avoir délivré les habitants de Milet de la tyrannie de Timarque. Les habitants de Syracuse donnèrent les titres de sauveur, de dieu, à Dion, pour les avoir affranchis de la tyrannie de Denys-le-jeune. Le philosophe Théodore fut appelé dieu, le médecin Ménécrate fut surnommé Jupiter. L'école de Pythagore fit un dieu de ce philosophe, et ses disciples Charondas, Zaleucus, Timarate, Théælète, Hélicaon, Aristocrate et Phytius, reçurent les honneurs divins de la part de leurs concitoyens, en mémoire des sages lois dont ils avaient enrichi leur constitution. Les Mages immolèrent des victimes à Platon après sa mort, le croyant d'une nature supérieure à celle des mortels. Les Romains, pour récompenser les services rendus à la patrie par Siccius Dentatus, l'appelèrent père, sauveur, dieu. La jeunesse de Falisque donna le même nom à Camille, qui punit la trahison dont elle devait être victime. On a rendu les honneurs divins, même de leur vivant, à Auguste, à Tibère et à Antonin-le-Pieux. Dioclétien, Caligula, Domitien, se firent reconnaître pour des dieux; aussi la flatterie les appcLait-elle des dieux, les décorait-elle du nom de Jupiter-Tonnant, et appelait-elle leurs palais le ciel. Sénèque lui-même poussa la bassesse jusqu'à donner ces noms & Caligula et à Claude; car tout philosophe qu'il était dans ses écrits, il n'en était pas moins avide d'honneurs et de richesses, et les moyens les plus honteux ne l'arrêtaient pas quand il les fallait employer. Les auteurs anciens sont remplis de ces locutions, il est inutile d'en citer ici un plus grand nombre. Lefèvre prétendra-t-il que les païens pouvaient en agir de la sorte, mais qu'il n'en était pas de même des Juifs qui adoraient le vrai Dieu, qui savaient que ce Dieu avait dit (Exode XXXIV, 14) Le Seigneur s'appelle le Dieu jaloux; qu'Hérode s'étant laissé rendre les honneurs divins, fut puni pour cette impiété. Cependant souvent dans l'Écriture les premiers magistrats sont appelés dieux. Leur religion n'empêcha pas les Sichémites, dans la lettre qu'ils écrivirent à Antiochus Epiphane, de l'appeler dieu. Les chrétiens eux-mêmes ont employé cette expression. Saint Grégoire de Nazianze dit que le chrétien devient fils de Dieu, héritier de Jésus-Christ et dieu luimême ; il exhorte le chrétien à être un dieu pour les pauvres en imitant la miséricorde de Dieu. L'auteur des Commentaires sur les Psaumes, qui portent le nom de saint Jérôme, dit (Comment. in Ps. CXV, 11): Tant que nous sommes hommes nous nous laissons aller au mensonge; quand nous serons des dieux, nous ne mentirons plus. Si quelqu'un est saint, il devient un dieu; quand il est devenu dieu, il cesse d'être homme et ne ment plus. Bocce dit aussi (Cons. lib. III, Pros. 10): DEMONST. EVANG. V.

Dieu est un par nature, mais il y a plusicure dieux qui sont dieux par leur participation à la divinité. Lorsque les Vénitiens se virent accablés par Louis XII, roi de France, ils députèrent en ambassade, vers l'empercur Maximilien, Antoine Justinien pour implorer son secours. Cet ambassadeur pour mieux disposer l'empereur à son égard lui dit que les Vénitiens le regardaient comme un dieu et avaient pour lui la même vénération. C'est Guichardin qui nous rappelle ce fait (Hist. d'Italie, liv. VIII). On connaît l'épitaphe de Matthieu Corvin, roi de Pannonic: Cette urne renferme les cendres de Corvin: ses exploits en faisaient un dieu, sa mort a prouvé qu'il n'était qu'un homme. Lefèvre désapprouve cette phrase du passage de Josèphe qu'il trouve traînante et de mauvais goût: Il enseignait la vérité à ceux qui prenaient plaisir à en être instruits. Pour moi je la trouve simple et naturelle, sans prétention et bien rendue. Il ajoute qu'il est déraisonnable de dire: Puisque les prophètes avaient prédit ces miracles et plusieurs autres qui se sont accomplis en sa personne. Il aurait dû remarquer que toute personne qui aurait dit, comme venait de le faire Josèphe, que Jésus était ou passait pour être le Christ, qu'il était ressuscité trois jours après sa mort, devait aussi dire qu'il avait ou passait pour avoir accompli en lui les prophéties concernant le Messie. Je l'ai déjà prouvé dans ma sixième définition. Après avoir trouvé que dans le passage dont je défends en ce moment l'authenticité, on donne trop d'éloges à Jésus, Lefèvre change tout-à-coup son plan d'attaque; il prétend que pour un historien qui aurait cru que Jésus était le Messie, il n'en dit pas assez de bien. Si Josèphe était l'auteur de ce passage, continue-t-il, il aurait dû s'étendre sur ce qu'était le Christ; expliquer aux Grecs, pour qui il écrivait, le genre de ministère auquel il se livrait.D'abord Lefèvre se trompe; il a cru voir dans la préface de Josèphe : J'ai entrepris cette histoire dans l'espoir que tous les Grecs lui trouveront de l'intérêt. Ce n'était pas pour les Grecs que Josèphe écrivait, mais pour les Romains, comme le savent tous ceux qui connaissent les circonstances de la vie de Josèphe. Lefèvre a été trompé par le mot λues, qui doit s'entendre de tous les païens et non pas des Grecs seulement; c'est dans ce sens que ce mot est pris par tous les hellénistes et les anciens auteurs chrétiens. Au reste cette objection qu'il nous fait va servir à confirmer notre opinion. Je conviens que Josèphe aurait dû expliquer ce qu'était le Christ, et qu'il l'aurait fait s'il avait cru que Jésus était le Messie. Comme il n'a pas donné cette explication, j'en conclus qu'il n'admettait pas que Jésus fût vraiment le Christ, mais qu'il était seulement surnommé le Christ; il n'avait pas à donner les motifs qui le faisaient surnommer ainsi.

En comparant le témoignage de Josèphe sur Jésus et son témoignage sur S. JeanBaptiste, Tannegui - Lefèvre cherche avec mauvaise foi à établir une grande différence entre ces deux témoignages; moi qui n'ai (Trois.)

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