Images de page
PDF
ePub

s'y ajouter par la suite. Ce sont ces graines qui, avec l'avoine, ont contribué à fixer, très loin vers le Nord, des populations agricoles. Les trouvailles archéologiques en donnent la preuve. On discerne distinctement ces spécimens d'ancienne agriculture dans l'empreinte qu'ils ont laissée sur la pâte encore molle de poteries qui ne datent pas de moins que de l'époque néolithique.

Ces vents d'Ouest qui, par la Manche, la Mer du Nord et la Baltique, prolongent jusqu'au Nord du lac Ladoga les influences océaniques, compensent la faiblesse de l'insolation et la brièveté des étés par une douceur relative de température qui restreint les risques de gelées, et qui surtout engendre une humidité favorable à l'herbe. Dans la rapide croissance des prés, le développement des parties tendres des ajoncs et autres plantes de l'Ouest, la vache laitière de proportions modestes trouve des conditions aussi propices que le porc dans les pays à graines, que le mouton dans la zone mi-pastorale et mi-agricole qui borde les contrées arides. Cette facilité à trouver sa subsistance en a fait une propriété accessible aux plus pauvres, comme la chèvre en d'autres pays. Par là a commencé de se généraliser en Europe l'usage alimentaire du lait, auquel les grands peuples agriculteurs de l'ExtrêmeOrient sont obstinément restés réfractaires. Une céréale longtemps dédaignée par les peuples du Midi, l'avoine, a dû aux mêmes circonstances de climat sa fortune. Sans avoir une maturité aussi rapide que l'orge, elle dispose néanmoins jusque dans l'intérieur de la Scandinavie d'une durée suffisante entre les gelées de printemps et d'automne. C'est elle qui, dans la zone des herbages, devient de plus en plus la céréale favorite; soit qu'elle fournisse à l'homme une nourriture combinée avec le laitage, le porridge cher aux Écossais; soit qu'elle serve à l'engraissement du bétail bovin, hôte naturel de cette zone de cultures. Enfin, ce type de genres de vie, déjà constitué dans le NordOuest de l'Europe, s'est enrichi d'un auxiliaire inattendu avec une plante venue du Pérou, la pomme de terre. Moins bornée dans ses exigences que l'avoine, ayant aussi des préférences pour un régime doux et pluvieux, elle a fourni un appoint de premier ordre aux besoins nouveaux nés de la civilisation contemporaine.

Il fallait en effet une série d'acquisitions supplémentaires pour assurer l'existence de populations dont les rangs n'ont cessé de s'épaissir depuis un siècle et demi environ. Là où l'insuffisance des chaleurs d'été s'opposait au rendement des céréales, comme en Irlande ou dans les Grass Counties d'Angleterre, là également où les tourbières et marécages laissés par les anciens glaciers durent être colonisés comme en Scandinavie et dans le Nord de l'Allemagne, de nouveaux groupes.

d'habitants se sont formés et ont grossi. Nulle part, en ces deux derniers siècles, l'Europe n'a vu un plus rapide accroissement de population. Il a coïncidé, comme effet et cause, avec le développement de la grande industrie et des agglomérations urbaines. C'est justement au seuil de cette zone, entre 50° et 55o de latitude, que s'échelonnent les principaux bassins houillers où l'emploi de la force mécanique de la vapeur a localisé les principaux foyers industriels du monde. Une énorme demande de moyens de nourriture a été le résultat de cette révolution démographique. Non seulement les produits du monde entier ont été attirés vers les ports d'approvisionnement, mais une impulsion extraordinaire a été donnée sur place aux cultures que favorisait le climat et que réclamaient les exigences des habitants. Par exemple, la pomme de terre servit au XVIIIe siècle à la colonisation d'une partie de la Prusse; elle rend possible aujourd'hui l'existence de petits groupes de cultivateurs au seuil des régions arctiques.

On peut donc suivre de nos jours une évolution qui se propage dans l'Europe septentrionale, et de là se communique à d'autres contrées en vertu de certaines analogies de conditions générales. Ce fut jadis à la faveur des changements économiques qui suivirent la conquête romaine, que le blé, la vigne et d'autres cultures du Sud acquirent une expansion nouvelle qui les porta jusqu'à leurs extrêmes limites au Nord. Le christianisme, à son tour, contribua à les reculer; la vigne gagna encore vers le Nord un terrain qu'elle n'a pu conserver, et ce n'est qu'à la fin du XIIe siècle que la culture du blé atteignit la Norvège. De même, nous assistons aujourd'hui à l'extension d'un type de nourriture qui a des origines lointaines, mais dont le développement est récent. Dans ce régime, la pomme de terre, comme les cultures propices à l'élevage, la viande de boeuf et les produits de fabrication laitière jouent un rôle capital. Les statistiques attestent ce mouvement. En Finlande, tandis que, dans ces dernières années, une sensible diminution s'est manifestée dans les vieilles cultures d'orge et de seigle, on constate l'augmentation notable de la pomme de terre et de l'avoine. Danemark, Suède méridionale, Finlande, Néerlande deviennent producteurs et exportateurs de plus en plus actifs de beurre et fromage, comme la Sibérie occidentale, le Canada et peut-être demain le Sud du Chili. Car la consommation de ces produits s'accroît sans cesse, non seulement dans les contrées où ils constituent une culture naturelle, mais partout où va se multipliant et s'accroissant la vie urbaine ; la production du lait et le développement des villes apparaissent comme deux faits synchroniques et connexes. Des causes géographiques et sociales se combinent ainsi dans un résultat commun.

[blocks in formation]
[ocr errors]

Le Riz. L'Asie des moussons, de l'Inde orientale à la Chine, a aussi créé ses types d'alimentation. A la faveur des pluies d'été, de l'impulsion puissante qu'elles impriment à la végétation, se développe tout un groupe de plantes nourricières, capables de parcourir en quelques mois leur cycle et de parvenir simultanément à maturité. C'est dans ce groupe que le peuplement humain, si précoce dans cette partie du globe, a trouvé les éléments de systèmes réguliers de subsistance. Il y a parmi elles une céréale particulièrement désignée par la célérité de sa croissance et par sa valeur nutritive sans égale sur un espace restreint recueilli peut-être à l'état sauvage dans les cavités lacustres (jhils) que laissent après elles les crues périodiques des grands fleuves de l'Inde, le riz est devenu la plante de culture par excellence. C'est d'elle que s'est emparée l'industrie humaine, pour en multiplier à un degré incroyable les variétés, pour en tirer, par une série d'opérations réclamant un emploi minutieux de main-d'œuvre, le bénéfice de plusieurs récoltes annuelles. L'aménagement des eaux dans les cadres disposés pour les recevoir, le degré d'immersion de la plante, la transplantation et le repiquage à la main de chaque brin, sans parler des manipulations qui suivent la moisson (égrenage, décorticage, etc.), exigent des hommes tout le concours d'attentions, de soins, d'expériences lentement amassées, de collaboration familiale ou sociale, dont ils sont capables.

Ce n'est donc pas assez de dire que le riz est pour des centaines de millions d'hommes la base de nourriture; c'est aussi, dans les régions où cette culture s'est implantée comme prépondérante, un symbole de civilisation. Le contraste est frappant, sous ce rapport, entre les peuples hindous, malais et chinois, chez lesquels s'est implanté le travail méthodique, et les peuples tropicaux mélanésiens ou papous, auxquels la moelle farineuse du palmier-sago ou l'arbre à pain fournissent, à moins de frais, une nourriture élémentaire qui leur suffit.

[ocr errors]

Type chinois. Quelle que soit la contrée où la culture du riz ait pris naissance, elle a conquis, dans la direction tracée par les moussons asiatiques, une zone si étendue que le tribut qu'elle fournit à l'alimentation s'accroît d'une grande variété de suppléments suivant les contrées. Il s'associe dans l'Inde du Nord à diverses espèces de mils aux noms très anciens (jowari, bajri, ragi) et à certaines céréales ou légumineuses fournies, grâce à la douceur de l'hiver, par la récolte

du printemps qui précède les premières semailles de riz. Le poisson d'eau douce, dans les deltas, les basses vallées, les terres successivement noyées et découvertes, s'ajoute comme moyen de nourriture, le même compartiment devenant tour à tour vivier et rizière. Comme ailleurs le faucon a été utilisé pour la chasse, l'ingénieux Chinois a su, par des procédés appropriés, utiliser les services du cormoran pour la pêche. Le canard, volatile naturel de ces régions amphibies, lui fournit, avec le porc, le seul supplément de nourriture carnée qui s'ajoute à son ordinaire; car il ignore l'élevage et il laisse aux montagnards et aux barbares des steppes la nourriture lactée. La mer est, pour les populations des provinces maritimes du Sud, Canton et Fo kien, une grande pourvoyeuse de ces produits divers qui sont pour nous la principale originalité de la cuisine chinoise. Mais le Chinois est loin d'être au même degré que le Japonais un ichthyophage. C'est à son sol fécond et minutieusement amendé qu'il emprunte le principal de sa subsistance. Aussi excellent maraîcher que médiocre arboriculteur, il use avec avidité des végétaux, céleris, navets ou échalotes qu'obtient son travail à la bêche. Mais toutefois, dans ce climat qui ne tarde pas, en s'avançant au Nord, à avoir ses rigueurs, le besoin d'une nourriture plus substantielle que le riz se fait sentir; le riz, d'ailleurs, cesse au Nord du 32o degré de latitude, d'être la culture principale. Le supplément nécessaire est emprunté à diverses espèces de doliques ou haricots auxquels se prête merveilleusement le Nord de la Chine et qui, de temps immémorial, sont entrés dans l'alimentation populaire. Le soja mérite, entre autres plantes déjà signalées au même titre, la reconnaissance de l'humanité. Sa graine joint à ses qualités nutritives des propriétés oléagineuses qui permettent d'en tirer des préparations analogues à l'huile et au beurre, et d'en composer un fromage végétal (teou-fou) qui fournit un aliment transportable et qui est, parmi ces populations si denses, une ressource particulièrement appréciée du bas peuple.

Type japonais. Parmi les emprunts que le Japon a faits à la Chine, le riz et le thé sont peut-être ceux qui ont le plus pénétré dans les habitudes, affecté le fond même de la civilisation. Leur introduction paraît relativement récente. C'est vers le commencement de l'ère chrétienne que furent entrepris, sous l'impulsion d'un empereur novateur, les travaux d'irrigation et les aménagements nécessaires à la diffusion de la culture du riz. Quant à la culture et à l'usage du thé, ils paraissent contemporains de l'introduction du bouddhisme entre le ixe et le xiie siècles. C'est comme signes de civilisation supérieure,

[graphic]

30

30

[ocr errors]
[ocr errors]

GRANDES CULTURES DE CÉRÉALES

1. Blé dominant. - 2. Pays du mouton. 3. Maïs dominant. 4. Riz dominant. 5. Millet (doura) dominant.

VIDAL-LABLACHE, Géographie humaine. PL. I.

[blocks in formation]
« PrécédentContinuer »