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le contre-coup que l'être intelligent qui sait les employer à ses fins, en utiliser les suggestions, y modeler ses habitudes et ses genres de vie. Ce n'est pas seulement par ses intempéries, mais par sa tonalité générale qu'agit le climat ; et le climat n'est pas le seul facteur : le sol, le relief, les formes qui engendrent les surfaces et les contacts de terres et d'eau, voilà l'ensemble qui agit sur les hommes.

Les peuples s'adaptent, ou pour mieux dire s'assouplissent à leurs habitats successifs. Sur ces mélanges qui forment trait d'union entre des races éloignées et diverses, l'influence du milieu garde le dernier mot. A la suite des sélections qu'elle opère, un résidu subsiste, qui se montre capable de résistance et de durée.

L'Asie centrale, autant qu'elle se révèle aux recherches, est, avec ses Uzbeks, ses Tadgiks, ses Dunganes, un champ de mélange entre races. L'extrême Nord du vieux continent, comme le constate Nordenskiold, a subi le contre-coup de ces mélanges. En Europe comme en Asie, la zone entrecoupée de clairières et de forêts, qui s'étend entre 50° et 55o de latitude voit se succéder Mongols, Turcs, Finnois et Slaves. Les Mongols buriates, les Morves et Tchérémisses finnois dela Haute-Volga subissent une russification continue. Ce phénomène n'est pas différent de celui que l'histoire nous fait pressentir vers l'Ouest au contact des Germains et des Slaves. Toutes ces transformations ethniques se poursuivent le long d'une zone offrant les mêmes conditions à la vie agricole.

Quand, par faveur rare, les lueurs de l'histoire permettent de plonger un peu plus loin dans le passé, comme dans le monde méditerranéen, que discernons-nous ? Les témoignages d'arrivées successives du centre ou du Nord de l'Europe. Sous les noms de Gètes, Thraces, Bithyniens, etc., des peuples descendent ainsi des Carpathes au Bosphore et de là en Asie Mineure. Le xie siècle avant notre ère vit l'ébranlement répercuté du Nord au Sud, d'un bout à l'autre de la Grèce, par les invasions doriennes ; « en Italie, nous dit Pline l'Ancien, les Étrusques poussèrent les Ombriens, avant d'être eux-mêmes poussés par les Gaulois ». Ceux-ci apparaissent au Ie siècle sur les bords du golfe du Lion, puis en Espagne. De tout cela, la nature, par voie combinée d'éliminations et d'adaptations, a fait un ensemble qui subsiste, incorporé au milieu. Les nouveaux arrivants ont plus ou moins payé leur tribut aux étés dévorants, aux longues sécheresses, aux exhalaisons malsaines et aux fermentations putrides; mais il s'est formé de ces éléments différents et successifs un composé ethnique, qui, sans avoir le caractère de races homogènes, présente des traits communs.

II

LA DIFFUSION DES INVENTIONS

(Instruments et animaux domestiques)

Il y a dans l'ensemble des zones tempérées une région qui se distingue comme particulièrement propre à la diffusion des inventions, c'est la grande région continentale qui s'étend à travers l'ancien monde dans l'hémisphère nord. Les outils ou instruments et tout ce qui constitue les manifestations extérieures d'une civilisation y sont en usage sur de grandes surfaces; la domestication des animaux s'étend parallèlement à l'usage des outils ; les modes d'existence, nourriture, vêtement, habitat présentent les mêmes analogies. On est en présence de faits de grande envergure, embrassant des aires considérables, et cela bien avant les moyens de communications des temps modernes. Ils sont en état pour ainsi dire de ventilation perpétuelle.

C'est entre 25o et 60o de latitude Nord que cette région peut être circonscrite. La plupart des inventions sur lesquelles a vécu une grande partie de l'humanité s'y réalisent.

La charrue. Prenons pour exemple un instrument dont l'aire de diffusion s'étend à travers l'ancien monde depuis la Mauritanie jusqu'en Chine, la charrue. Au Sud de l'Air, dans le Soudan, elle fait place à la culture à la houe, l'outil des populations agricoles du centre africain.

Cette limite exprime un rapport naturel : tandis que le domaine de la culture à la bêche est celui des régions où peu d'espace suffit pour fournir beaucoup de nourriture, où les arbres, les racines sont les principaux produits, la charrue n'a pu prendre naissance que dans les régions où l'herbe l'emporte sur l'arbre, où il existe des espaces découverts assez étendus dans leur continuité pour permettre de multiplier les graines.

Par quelles séries de suggestions, d'efforts et de perfectionnements le bâton pointu qui sert à enfoncer la semence dans le sol s'est-il transformé en la branche noueuse armée d'un soc qui fut la charrue, nous l'ignorerons toujours, de même que nous ne pouvons fixer le moment où le joug a été adapté à cet instrument et des animaux attelés à ce joug. Nous voyons le bœuf usité comme animal de trait en Chaldée et nous savons quels rites traditionnels se rapportent en Chine au labour.

Maintenant encore, dans les spécimens les plus simples, comme la charrue berbère, les éléments essentiels sont combinés le soc et le coutre de fer s'adaptent à la flèche et à un double emmanchement, dont l'un sert à l'homme pour diriger l'instrument et l'autre sert de timon pour l'attelage. Ce type est allé de bonne heure se compliquant suivant les contrées ; et, sans qu'il soit nécessaire d'évoquer nos charrues perfectionnées et tracteurs mécaniques, déjà, au 1er siècle de notre ère, Varron, Pline et les agronomes latins décrivaient avec surprise, dans les plaines du Nord de la Gaule, la charrue à roues.

La roue. L'invention de la roue ne fut pas moins décisive. Nous ignorons comment et à quelle époque l'idée de traîner un fardeau supporté par des rouleaux cylindriques a pris naissance; mais cette forme ingénieuse, quoique très primitive, de traînage, coexiste, d'après les monuments assyriens, avec la roue, le char de guerre, l'attelage du cheval. Il a donc fallu que cette donnée primitive fit place à l'idée de la roue, soit pleine comme on la voit encore en Bosnie et au Pays Basque, soit évidée comme déjà la montrent les représentations antiques. Entre les roues disposées symétriquement, s'interpose un essieu soutenant la caisse qui représente le char. Mais, à partir du moment où ce type essentiel est créé, que de modifications et d'adaptations diverses viennent s'y greffer!...

Voilà des exemples doublement significatifs. D'abord ils ont une valeur de localisation. Puis ils nous montrent des inventions qui, de quelque point initial, se sont répandues, communiquées, perfectionnées. Rien de pareil ne nous a frappé dans les civilisations écloses à l'ombre des silves tropicales. Nous discernons ainsi que, sur des espaces étendus, l'esprit inventif a travaillé sur un thème commun; que, sans s'en écarter, il a réussi à l'adapter aux conditions diverses de relief et de sol. Et par là se glisse encore un élément géographique. Ce que l'on peut saisir à travers ces inventions, à défaut de dates et de noms qui ne sont que légendes, ce sont les conditions naturelles qui ont plié, dans un sens ou un autre, des inventions, legs de temps

immémorial mais resté vivant et perfectible. Ce qui apparaît distinctement, c'est une suite d'applications diverses portant sur un type déterminé, une activité coordonnée de progrès qui ne paraît guère dans le matériel plus uniforme et plus figé de la plupart des sociétés tropicales.

Les transports par animaux de trait. Le moment où le transport par animaux se substitue au transport par hommes, est décisif dans l'évolution des sociétés.

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La charrue, le charriot supposent l'emploi de la force animale. Il n'y a aucune raison de croire, - tout au contraire, - que l'appropriation de certains animaux à nos besoins de culture et de transport ait été l'œuvre d'une seule et même contrée particulière. Tout indique que la domestication de ces animaux herbivores dociles et sociables sur lesquels est fondée l'économie rurale ou pastorale, s'est opérée en des points assez différents. On devine toutefois que certaines contrées ont été particulièrement propices. Où pouvait mieux se nouer cette familiarité, aidée de curiosité réciproque, qui a rapproché de l'homme les hordes dans lesquelles il a choisi ses auxiliaires, qu'au seuil même des steppes, là où, par les cultures d'irrigation, l'homme avait réussi à concentrer des ressources, à créer autour de lui l'abondance? L'Égypte, la Chaldée, les jardins ou paradis de l'Asie occidentale jouèrent pour les animaux le même rôle que pour les plantes. L'homme sut y composer un monde vivant à son usage. L'acclimatation de plantes utiles y fut systématiquement poursuivie depuis une haute antiquité : « J'ai fait, dit l'Ecclésiaste, des jardins et des clos où j'ai mis toutes sortes d'arbres. » Là furent, pour cette raison, les rendez-vous d'animaux divers, les points d'attraction qui groupèrent animaux et plantes. Nos regards sont ainsi ramenés sur ces parties de la terre, fertiles, mais encadrées de sécheresses, qui eurent le privilège, ainsi que nous avons dit, de réaliser pour la première fois le phénomène de densité du peuplement humain. Ce n'est guère ailleurs que put se combiner ce fécond ménage, dont l'absence, en certaines parties de la terre, a pesé lourdement sur la civilisation.

Cette région comprend tout l'espace qui s'étend entre le Soudan et l'Asie centrale, de la Nubie à la Mongolie, de l'Iran et de l'Inde septentrionale à l'Asie Mineure. Ainsi les antiques sociétés qui fleurissent en Égypte et dans l'Asie occidentale durent à leur situation le grand avantage de pouvoir concentrer à leur profit les produits de deux faunes différentes. Du Nord leur vinrent le cheval et le chameau ; l'âne au contraire se répandit par le Sud.

III

GENRES DE VIE ET DOMAINES DE CIVILISATION

Il se forme, à la longue, des domaines de civilisation absorbant les milieux locaux, des milieux de civilisation imposant une tenue générale qui s'imprime dans beaucoup d'usages de la vie. L'Islam, l'Hindouïsme, la Chine représentent des types de civilisation supérieure dont l'imitation s'étend bien au delà des limites des régions naturelles. L'Européen joue le même rôle, le Yankee tend à le prendre en Amérique. Comme l'extérieur est toujours ce qui est le plus facile à saisir, ce n'est qu'en emprunts superficiels que consistent ces imitations. Les chefs des peuplades Gonds, Bhils et autres sauvages de l'Inde centrale, adoptent, pour s'imposer à leurs congénères, le costume et l'extérieur des Radjpoutes; au Soudan, à côté de peuplades bien sommairement vêtues, des personnages drapés dans de longues bandes de coton cousues ensemble, chaussés de babouches en cuir jaune ou rouge, se distinguent comme affiliés à l'Islam, comme participant à des avantages d'une civilisation supérieure.

L'appât de jouissances nouvelles, l'illusion de se renouveler soimême en participant, ne fût-ce que par des signes extérieurs, à un état social plus élevé, exerce sur les groupes, comme sur les individus un infaillible effet d'attraction. C'est un phénomène semblable à celui qui entraîne l'exode vers les villes. Il y a souvent maladresse et gaucherie dans ces efforts pour s'assimiler à des voisins plus civilisés, pour s'approprier le fruit d'œuvres d'autrui créées en dehors de sa sphère propre. N'importe une forme de civilisation capable de rayonner autour d'elle devient une source de forces qui agissent par elles-mêmes, indépendamment des conditions immédiates de milieu. Mais pour cela une condition essentielle est la connaissance réciproque qu'engendre la facilité des rapports, la fréquence des communications, l'absence d'isolement. C'est parce que, comme on l'a vu, ces rapports

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