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Une tête effilée, une croupe arrondie.

On voit sur son poitrail ses muscles se gonfler,
Et ses nerfs tressaillir, et ses veines s'enfler.
Que du clairon bruyant le son guerrier l'éveille,
Je le vois s'agiter, trembler, dresser l'oreille;
Son épine se double et frémit sur son dos;
D'une épaisse crinière il fait bondir les flots;
De ses naseaux brûlans il respire la guerre;

Ses yeux roulent du feu, son pied creuse la terre.

C'est aux lecteurs exercés à faire la comparaison, qui nous mènerait trop loin. J'aime mieux vous offrir la peinture du coq, qui m'a paru ne rien laisser à désirer.

En amour, en fierté, le coq n'a point d'égal.
Une crête de pourpre orne son front royal;
Son œil noir lance au loin de vives étincelles;
Un plumage éclatant peint son corps et ses ailes,
Dore son col superbe, et flotte en longs cheveux;
De sanglans éperons arment ses pieds nerveux;
Sa queue, en se jouant du dos jusqu'à la crète,
S'avance et se recourbe en ombrageant sa tête.

C'est peindre en vers comme Buffon peint en prose.

On voit que l'auteur avait du talent pour la poésie, et ce ne sont pas les seuls endroits de son ouvrage qui le prouvent, quoique ce soient ceux où il y en a le plus. Il lui a manqué un plan plus poétique et une exécution plus soignée et plus forte. Il tombe même quelquefois au point qu'on ne reconnaît plus l'auteur des beaux vers que vous venez d'entendre.

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Font monter les vapeurs au séjour du tonnerre.
Le froid pressant leurs corps par le chaud dilatés,
Les condense, et de l'air ils sont précipités.
Ainsi sur le foyer se forme l'eau-de-vie.
Par un nouveau travail si l'art les fortifie,
L'esprit-de-vin captif du phlegme est séparé, etc.

Et ailleurs :

Invisible et vivant, dans ses langes le germe
De sa captivité voit arriver le terme.

De l'air, qui fut dans l'œuf toujours renouvelé,
Le mouvement vital est alors redoublé.

Par lui l'œuf pénétré diminue et transpire, etc.

On trouve quelquefois trente vers de suite dans ce goût, parce que l'auteur s'est piqué fort mal propos de mettre en vers une physique ou une chimie qui s'y refuse absolument.

à

Et qua

Desperat tractata nitescere posse, relinquit.

(HOR., de Art. poet.)

C'est le précepte dont il aurait dû faire le plus d'usage dans un sujet tel que le sien, et c'est celui qu'il a le plus oublié.

SECTION VI.

Les Mois.

C'est à regret que je suis obligé, pour compléter ce qui concerne les poëmes, de faire ici une mention critique d'un écrivain qui, compté parmi les victimes de la tyrannie révolutionnaire, semblerait ne devoir attendre de nous qu'un tribut de regret bien légitime, et que personne ne lui paye plus volontiers que moi. On voit qu'il s'agit ici de l'infortuné Roucher, massacré par les bourreaux de la France en 1794; et à mesure que cet ouvrage me rapproche de nos malheureux jours, il commence à nous offrir des traces douloureuses et sanglantes, qu'assurément je ne croyais pas devoir jamais rencontrer lorsque je l'entrepris dans des jours de bonheur et de sécurité. Le sujet même, autant que la situation de la France, devait en éloigner toute idée, puisque, dans tous les temps, les gens de lettres ont été, de tous les hommes, les plus généralement étrangers aux révolutions des états. Mais aussi la nôtre a eu ce caractère particulier, qu'elle a été l'ouvrage de la philosophie et des lumières, comme on le dit encore dans la langue qu'elle a introduite, et qui subsiste au moment où j'écris 1. Il est donc tout

1 A la fin de 1797.

simple que ses auteurs en aient couru les dangers, et qu'ils en portent encore le poids, qui même est retombé plus d'une fois sur ceux qui s'en étaient tenus loin. Lemierre, dont j'ai parlé ci-dessus, ne s'en mêla en aucune manière : il n'a pas péri par le glaive, comme Roucher et tant d'autres, mais les dernières années de sa vieillesse ont été affreuses. L'horreur et l'effroi dont il était pénétré lui avaient absolument ôté l'usage de toutes ses facultés; il était tombé dans une stupeur silencieuse et morne, dont rien ne put jamais le tirer. Hors sa respectable épouse qui lui rendit constamment tous les soins de la tendresse et de la religion, l'aspect de toute créature humaine l'épouvantait; et si l'on essayait de lui parler, il ne répondait pas, il frissonnait de tous ses membres. On compte par milliers ceux que la révolution, sans même les atteindre de ses mains meurtrières, a fait périr ainsi dans l'aliénation et le désespoir.

Roucher était bon père, bon mari, bon ami, et je voudrais pouvoir répandre sur son ouvrage l'intérêt qui à cet égard est dû à sa mémoire, ou pouvoir me dispenser d'en parler; mais l'un et l'autre est impossible. Ce serait une omission inexcusable de passer sous silence un poëme qui fit tant de bruit pendant quelques années, et qui ne fut pas moins remarquable par la rapidité de sa chute à l'impression, que par l'éclat de ses succès dans les lectures de société. De plus, ces

presque

lectures prestigieuses furent précisément l'époque où les hérésies littéraires que j'ai déjà combattues dans ce Cours obtinrent une sorte d'empire, à la vérité fort universel, par mais passager, un concours de circonstances qui font bien voir à quoi tiennent les opinions des hommes. Ces paradoxes misérables n'avaient d'abord été qu'une révolte ridicule contre le bon sens et le bon goût, tramée dans la mauvaise littérature, et soutenue dans tous les journaux dont elle disposait; mais ils passèrent alors jusqu'aux académiciens et aux philosophes, divisés par les querelles de la musique. On n'était pas fâché. de mortifier l'auteur des Saisons et le traducteur des Géorgiques, qui n'avaient pas voulu sacrifier à l'idole du jour, à Gluck. On en voulait encore bien davantage à celui qui rappelle ici ces luttes frivoles et furieuses du charlatanisme de la vanité, et qui, rendant hommage au compositeur d'Orphée, d'Iphigénie, comme à celui de Roland et de Didon, ne pouvait concevoir qu'on prétendit ne connaître qu'un seul musicien, comme il n'avait jamais conçu que certaines gens ne voulussent reconnaître qu'un poëte tragique. Cette manie exclusive a toujours été celle des Français, et le sera toujours. Mais heureusement, comme ces engouemens sont une mode, ils passent comme toute autre mode; ils passent avec les intérêts particuliers, et il ne reste jamais que ce qui est à l'é

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