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Où les noirs ouragans, poussés en tourbillons,
Font siffler et mugir leurs voix tempétueuses
D'où s'échappe la foudre en flèches tortueuses.

Ces six vers sont cruellement disparates; ils font mal. Était-ce donc à ces horreurs, à ces menaces de la nature que devait conduire ce beau tableau des belles nuits? Tant cet homme a de peine à marcher droit quand il n'y a personne devant lui pour le conduire! Mais grâce pour cette fois; car ce qui précède était fort bon, et ce qui suit, et qui aurait dû suivre immédiatement, vaut encore

mieux.

J'oserai plus je veux par-delà tous les cieux,
Je veux encor pousser mon vol ambitieux,
Traverser les déserts, où, pâle et taciturne,
Se roule pesamment l'astre du vieux Saturne;
Voir même au loin sous moi dans le vague nager
De la comète en feu le globe passager;
Ne m'arrêter qu'aux bords de cet abîme immense
Où finit la nature, où le néant commence,
Et, de cette hauteur dominant l'univers,
Poursuivre dans leurs cours tous ces orbes divers,
Ces mondes, ces soleils, flambeaux de l'empyrée,
Dont la reine des nuits se promène entourée.
J'arrive. De clartés quel amas fastueux!
Quels fleuves, quels torrens, quels océans de feux!
Mon âme à leur aspect, muette et confondue.
Se plongeant dans l'extase, Ꭹ demeure perdue.
Et voilà le succès qu'attendait mon orgueil!
Insensé, je croyais embrasser d'un coup d'œil
Ces déserts où Newton, sur l'aile du génie,
Planait, tenant en main le compas d'Uranie.
Je voulais révéler quels sublimes accords

Promènent dans les airs tous les célestes corps;
Et devant eux s'abîme et s'éteint ma pensée.

Le fond de toutes ces idées est partout; mais du moins il y a connexion entre la lumineuse sérénité des nuits d'août et l'élévation des conceptions astronomiques; et l'espèce d'extase qui les suit, et la réflexion qui les termine, sont naturelles et justes. C'est là que s'offrait de soi-même un bel épisode sur la naissance de l'astronomie dans les plaines de Sennaar, sous le ciel pur de la Chaldée. Il y a pourtant ici quelques taches. J'arrive est froid, et de plus vous avez vu qu'il est parasite dans les vers de l'auteur: Je les vois eût été beaucoup meilleur. Quels fleuves n'est pas non plus le mot propre : océans et torrens, oui; mais l'aspect des plus hauts cieux n'offre aucun rapport avec les fleuves. Quels accords promènent est encore plus impropre : gouvernent me semble l'expression qui rend l'idée, car les accords sont ici pour les lois de l'harmonie céleste. Roucher est bien rarement pur une page suite; mais ici les fautes sont peu de chose devant les beautés, et en total le morceau lui fait beaucoup d'honneur.

de

Nous n'en trouverons plus guère de ce genre; car depuis le mois d'août, la seconde moitié de l'ouvrage ne va plus que de mal en pis. Je m'arrêterai pourtant en décembre, à la complainte de l'auteur sur la destruction de ces bois épais qui

couvraient autrefois la fontaine de Budé, à Hières, près de la petite rivière de ce nom. J'ai habité dans ma jeunesse ce charmant pays, et tous ceux qui le connaissent ont regretté, comme Roucher, et la délicieuse solitude de la fontaine de Budé, et les beaux ombrages qui l'environnaient.

J'ai vu sous le tranchant de la hache acérée,
J'ai vu périr l'honneur de ta rive sacrée.

Tes chênes sont tombés, tes ormeaux ne sont plus.
Sur leur front jeune encor trois siècles révolus
N'ont pu du fer impie arrêter l'avarice.
D'épines aujourd'hui ta grotte se hérisse:
Ton eau, jadis si pure, et qui de mille fleurs
Dans son cours sinueux nourrissait les couleurs,
Ton eau se perd sans gloire au sein d'un marécage.
Fuyez, tendres oiseaux, enfans de ce bocage,

:

Fuyez l'aspect hideux des ronces, des buissons,
Flétrirait la gaieté de vos douces chansons.
Vous, bergers innocens, vous qui dans ces retraites
Cachiez les doux transports de vos ardeurs secrètes,
Oh! comme votre amour déplore ces beaux lieux!
De vos rivaux jaloux comment tromper les yeux?
Et moi, qui, mollement étendu sur la mousse,
M'enivrais quelquefois d'une extase si douce,
Hélas! je n'irai plus y cadencer des vers;

Il faudra que j'oublie, et ces ombrages verts,
Et la grotte où du jour je bravais les outrages, etc.

Le morceau pouvait, je crois, être meilleur; mais le ton et les mouvemens en sont naturels, et la versification n'est pas mauvaise, malgré quelques fautes. Il fallait surtout, pour amener les outrages du jour, donner une épithète au jour.

L'hiver règne, et la neige,

Suspendue en rochers dans les airs qu'elle assiége,
Oppose aux feux du jour sa grisàtre épaisseur.
De sa chute prochaine un calme précurseur
S'est emparé des airs: ils dorment en silence.
La nuit vient: l'aquilon d'un vol bruyant s'élance,
Et, déchirant la nue où pesait enfermé

Cet océan nouveau goutte à goutte forme,

La neige au gré des vents, comme une épaisse laine,
Voltige à gros flocons, tombe, couvre la plaine,
Déguise la hauteur des chènes, des ormeaux,

Et confond les vallons, les chemins, les hameaux.
Les monts ont disparu, leur vaste amphithéâtre
S'abaisse, tout a pris un vêtement d'albâtre, etc.

Aux rochers près, qui ne peuvent absolument figurer les brouillards épais qui précèdent la neige, cette description est généralement bonne. L'auteur y a emprunté fort à propos une image très-juste, dat nivem sicut lanam, qui est dans les psaumes; mais je n'approuverai pas déguise la hauteur, qui ne peint rien.

Pour clore ces citations, encore un morceau sur les beautés et les ressources de l'hiver dans les climats du Nord. Il est plus original que les derniers que j'ai rapportés, et il a de l'éclat.

Ces climats, il est vrai, par le nord dévastés,
Ainsi que leurs horreurs ont aussi leurs beautés.
Dans les champs où l'Irtis a creusé son rivage,
Où le Russe vieillit et meurt dans l'esclavage,
D'éternelles forêts s'allongent dans les airs.
Le jai, simple roseau de ces vastes déserts,
S'incline en se jouant sur les eaux qu'il domine.

Fière de sa blaucheur, là s'égare l'hermine;
La martre s'y revêt d'un noir éblouissant;
Le daim sur les rochers y paît en bondissant;
Et l'élan fatigué, que le sommeil assiége,
Baisse son bois rameux, et s'étend sur la neige.
Ailleurs, par des travaux et de sages plaisirs,
L'homme bravant l'hiver, en charme les loisirs.
Le fouet dans une main, et dans l'autre des rénes,
Voyez-le en des traîneaux emportés par deux rennes,
Sur les fleuves durcis rapidement voler.

Voyez sur leurs canaux les peuples s'assembler,
Appeler le commerce, et proposer l'échange
Des trésors du Catay, des Sophis et du Gange.
Là brillent à la fois le luxe des métaux,
Et la soie en tissus, et le sable en cristaux,
Toute la pompe enfin des plus riches contrées.
Là même quelquefois les plaines éthérées,
Des palais du midi versent sur les frimas
le ciel refuse à nos climats :

Un éclat que

D'un

groupe de soleils l'Olympe s'y décore, etc.

Rénes et rennes, dont l'un est très-long et l'autre très-bref, riment d'autant plus mal, que les deux mots sont plus ressemblans. C'est, je crois, la seule imperfection de ce morceau, qui se termine aux aurores boréales et à l'épisode dont j'ai parlé plus haut. Je ne le transcrirai pas, parce qu'il n'est qu'une traduction; mais cette traduction est élégante.

L'examen des notes me mènerait trop loin, et n'est pas même du sujet qui nous occupe. Il y règne une érudition très-peu éclairée et une philosophie très-erronée. Roucher a voulu s'y mesurer encore avec Racine le fils, dans la traduction en

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