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place et se frayer la route l'épée à la main. Tchitchagof, Wittgenstein, et Koutousof qui les suivait, suspendirent leur marche à Vilna; l'hiver triomphait des Russes eux-mêmes. Les différents corps de l'armée française se distribuèrent sur la ligne de la Vistule. Le roi de Naples espérait que le corps de Macdonald, auquel il avait donné l'ordre de se replier sur Tilsitt, changerait sous peu la face des affaires : mais la trahison du général prussien Yorck vint consommer les désastres de cette campagne. Le maréchal, après avoir battu l'avant-garde de Wittgenstein, était entré à Tilsitt, où il s'arrêta pour donner aux Prussiens le temps de le rejoindre après avoir perdu plusieurs jours, il se détermina à se porter sur la Pregel. Ce fut alors qu'il reçut d'Yorck la lettre suivante, que nous rapportons pour montrer combien les alliances qui ne résultent point d'intérêts communs reposent sur des bases fragiles.

Taurogen, le 30 décembre 1812. « Monseigneur,

a Après des marches très-pénibles, il ne m'a pas été possible de les continuer sans être entamé sur mes flancs et sur mes derrières; c'est ce qui a retardé la jonction avec Votre Excellence; et, devant opter entre l'alternative de perdre la plus grande partie de mes troupes et tout le matériel qui seul assurait ma subsistance, ou de sauver le tout, j'ai cru de mon devoir de faire une convention par laquelle le rassemblement des troupes prussiennes doit avoir lieu dans une partie de la Prusse orientale qui se trouve, par la retraite de l'armée française, au pouvoir de l'armée russe.

« Les troupes prussiennes formeront un corps neutre et ne se permettront pas d'hostilités envers aucun parti; les événements à venir, suite des négociations qui doivent avoir lieu entre les puissances belligérantes, décideront sur leur sort futur.

« Je m'empresse d'informer Votre Excellence d'une démarche à laquelle j'ai été forcé par des circonstances majeures.

31 Livraison. (RUSSIE.) T. II.

« Quelque jugement que le monde portera de ma conduite, j'en suis peu inquiet. Le devoir envers mes troupes et la réflexion la plus mûre me la dictent: les motifs les plus purs, quelles que soient les apparences, me guident. En vous faisant, monseigneur, cette déclaration, je m'acquitte des obligations envers vous, et vous prie d'agréer l'assurance du profond respect, etc., etc.

« Le lieutenant général YORCK. » La défection du général Yorck contraignit Murat à se replier sur Posen. Bientôt Macdonald vint se réfugier à Dantzick. Schwartzemberg, ménagé par les Russes dont il n'inquiétait plus les mouvements, établit ses cantonnements sur la limite du grandduché de Varsovie, et Reynier, toujours poursuivi par Sacken, prit position à Wengrod.

L'armée d'invasion était réduite au quart; la Russie était sauvée, et le contre-coup de cette grande réaction allait bientôt ébranler l'édifice mal affermi de la puissance de Napoléon. Les rois de la vieille Europe mesuraient leurs espérances à l'étendue du désastre impérial. Cependant le soldat-empereur menaçait encore; son génie n'avait rien perdu de sa portée et de sa vigueur; mais le prestige de ses armes était détruit; l'Angleterre reprenait son ascendant, et la Russie, comprenant tous les avantages de sa nouvelle position, renouait en silence les fils rompus de la politique de Pierre Ier et de Catherine II.

Nous avons cru devoir donner quelques développements à cette campagne de 1812, dont les résultats ont changé la face du monde; les événements qui ont suivi offrent sans doute une haute signification historique, mais ils ne sont plus que l'expression d'une résistance héroïque, et ils manquent de ce caractère générateur, de cette force d'initiative qui marquèrent la période que nous venons de franchir.

(1813.) L'année 1813 s'ouvrait pour la France sous les plus sinistres auspices. Lord Walpole négociait à Vienne, et ébranlait, sans trop de

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peine, la fidélité du beau - père de Napoléon par des promesses magnifiques. Plus l'Autriche était disposée à profiter de ces offres, plus il lui importait d'endormir les soupçons du cabinet des Tuileries; le général Bubna fut expédié de Vienne à Paris, porteur des protestations les moins équivoques. La médiation de l'Autriche entre la France et la Russie fut acceptée au moment même où l'attitude des Prussiens et de Schwartzemberg ne laissait plus aucun doute sur leur détermination ultérieure. Eugène, que le départ de Murat pour Naples laissait maître de diriger la retraite, évacua successivement Posen et Berlin, vivement pressé par Wintzingerode et Wittgenstein.

La Russie, sans décliner la médiation de l'Autriche, ne voulait traiter que du consentement de l'Angleterre, et demandait des garanties. Dans toutes les négociations de cette époque, M. de Metternich déploya une rare habileté, et les ministres francais furent complétement sa dupe. Au reste, les preuves authentiques d'une intelligence formelle entre les cabinets de Vienne, de Berlin et de Pétersbourg sont désormais acquises à l'histoire; on les trouve dans une lettre de l'empereur d'Autriche au roi de Prusse. Cette pièce, datée du mois de décembre 1812, est rapportée dans le Recueil de pièces officielles, par Schoell.

Cependant les conséquences de la réaction se développaient avec rapidité; M. de Nesselrode concluait un traité avec la Prusse; bientôt l'Allemagne entière se souleva au nom de ces idées d'indépendance et de ces principes de liberté dont la révolution française était le symbole. En Allemagne, comme naguère en France, ces idées et ces principes triomphèrent; ainsi tour à tour vaincus et vainqueurs témoignèrent de l'infaillibilité et de la puissance du système régénérateur.

Par le traité de Kalisch, Alexandre s'engageait à ne pas déposer les armes jusqu'à ce que la Prusse eût recouvré le territoire qu'elle possédait avant la guerre de 1800.

Au mois de mars, le traité de Stock

holm mit les forces de la Suède, déjà détachée de la France, en mesure de prendre à la lutte une coopération active; l'Angleterre céda aux Suédois la Guadeloupe, et la possession de la Norwége devait être le prix de leurs services futurs.

Cependant Blücher et Wintzingerode vinrent prendre position devant Dresde; Wittgenstein et Koutousof s'avançaient en même temps, et menaçaient Davoust du poids de leurs forces combinées. Napoléon, parti de Saint-Cloud le 15 avril, était dans les plaines de Lützen le 1er de mai. Cette victoire, que suivirent bientôt les journées de Bautzen et de Wurtchen, semblait avoir réconcilié la fortune avec l'empereur; l'armistice de Plesswitz donna aux alliés le temps de recevoir de nombreux renforts, et arrêta l'élan de l'armée victorieuse. D'un autre côté, l'Autriche, dont l'attitude hostile n'était plus un mystère, organisait ses armées et ses ressources, et n'en autorisait pas moins ses agents diplomatiques à garder tous les dehors de l'alliance préexistante. Le congrès de Prague n'était qu'un artifice dilatoire; il fut bientôt rompu malgré Napoléon, et probablement à cause de son empressement à traiter; à cette occasion, l'Autriche leva le masque : « Les alliés et l'Autriche, annonçaitelle dans sa déclaration, étaient déjà réunis de principes, avant que les traités eussent déclaré leur union. »> Cette rupture permettait aux alliés de prendre l'offensive, et, en concentrant leurs forces en Bohême, de tourner la base des opérations de l'armée francaise qui s'appuyait sur les places de l'Oder et de l'Elbe. L'or de l'Angleterre était le nerf de ces immenses mouvements; elle paya à la Russie et à la Prusse deux millions de livres sterling pour l'entretien de leurs armées; et, indépendamment de ces avances, on créa pour cinq millions sterling d'un papier-monnaie, dit argent fédératif, et qui fut garanti par les trois puissances. Outre ces stipulations, le gouvernement anglais se réservait de disposer des forces navales

de la Russie; enfin les parties contractantes s'engageaient à ne pas négocier avec l'ennemi commun.

Alexandre, Frédéric, Guillaume et Bernadotte s'étaient réunis à Trachenberg en Silésie, où se trouvaient également les plénipotentiaires d'Autriche et d'Angleterre, pour y concerter un plan d'opérations militaires. Les forces disponibles des alliés s'élevaient alors à huit cent mille hommes. La bataille de Dresde, gagnée par Napoléon, fut sanglante et complète; un boulet français atteignit Moreau, et lui sauva la honte de pénétrer, à la suite de l'étranger, jusqu'au cœur de son pays natal. Il est difficile de décider quels furent les motifs qui le déterminèrent à quitter sa retraite dans le nouveau monde pour venir mettre au service des alliés son épée longtemps inactive. Se laissat-il séduire par l'espoir d'éclipser la gloire de son ancien rival, ou n'eut-il que la faiblesse de céder aux séductions d'Alexandre? Il tomba mortelle ment frappé à côté même de ce prince qu'il accompagnait sur le champ de bataille, et à qui il communiquait en ce moment quelques observations. Transporté dans la petite ville de Lahn en Bohême, ce général supporta avec fermeté l'amputation des deux jambes que le boulet lui avait fracassées. Il eut encore la force d'écrire quelques lignes à l'empereur Alexandre, et mourut sans pouvoir les achever. Ce prince lui avait ôté plus que la vie : il avait compromis sa gloire; profondément ému de cette fin providentielle, il écrivit à la veuve de Moreau une lettre pleine d'égards et de sensibilité, et lui assigna depuis une pension considérable.

Cependant Oudinot avait laissé au prince royal le temps de concentrer ses forces entre Spandau et Berlin. Il fut battu à Gross-Beeren. « Il échoua, dit M. de Boutourlin (Histoire de la campagne de 1813), parce que ses dispositions étaient en opposition avec les vrais principes de l'art. La direction divergente que, de Trebbin, il donna à ses trois corps sur Blankenfeld, Gross-Beeren et Ahrendorf, ne

pouvait manquer de les faire battre en détail. >>

Un retard semblable occasionna l'échec que le corps du duc de Tarente essuya sur la Katzbach, et l'ardeur inconsidérée de Vaudamme eut des suites encore plus désastreuses. Empruntons la relation du colonel Boutourlin.

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A l'approche de Vandamme, le dépôt du grand quartier général allemand et celui du corps diplomatique, les cabinets des souverains alliés et une foule de grands personnages qui s'étaient entassés à Toeplitz, avaient pris la fuite, les uns du côté de Dirtch, les autres du côté de Lahn. Déjà l'avant-garde française n'était plus qu'à une demi-lieue, lorsque l'ennemi, cessant tout à coup de plier, avait opposé la plus vigoureuse résistance.

Le comte Ostermann, commandant les grenadiers de la garde russe s'était placé à travers le chemin. Il avait ordre d'arrêter Vandamme à tout prix. L'armée des alliés descendait alors sur Toeplitz par tous les ravins de la montagne. Sa position était critique. Si Vandamme arrivait avant elle, le sort de plusieurs colonnes était compromis; mais quelques heures de délai pouvaient tout sauver. Ostermann et ses grenadiers avaient compris ce que le salut commun exigeait d'eux. Ils s'étaient montrés dignes d'occuper le poste du péril, et le vallon de Toeplitz était devenu leurs Thermopyles. L'élite de la garde russe s'y était fait tuer: Ostermann avait eu un bras emporté; mais Vandamme n'avait pu forcer le passage.

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Cependant Vandamme, une fois engagé, avait appelé successivement toutes ses forces à son secours. Les sommets de Peterswald avaient été dégarnis, et le premier corps avait fini par se trouver tout entier entre Kulm et Toeplitz, au pied du Geyersberg. Il était trop tard. Ostermann avait gagné le temps nécessaire; déjà Barclay de Tolly était accouru à son aide avec les premières colonnes arrivées. Schwartzemberg n'avait pas tardé à lui en envoyer de nouvelles; Vandamme, forcé

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