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bre, le poignard et le plète, sorte de fouet terminé par une plaque de cuir, complètent leur accoutrement, sur lequel ils jettent quelquefois un manteau à longs poils (voir pl. 8, no 3). Ils tirent leurs cottes de mailles du pays des Abases, ou de la tribu des Koubitchi, dans le Daghestan. Leur habit civil consiste en un petit bonnet ouaté ayant la forme d'une couronne fermée, en un surtout très-court, sur la poitrine duquel il y a, de chaque côté, une rangée de petites poches à cartouches, et en bottes rouges à talon haut. Les princes et les Ouzden seuls ont le privilége de combattre à cheval.

Chez cette nation, les hommes ont l'air martial et fier, la taille élancée et svelte, les cheveux et les yeux noirs, et le teint brun. On connaît la réputation de beauté des Circassiennes; elle est peut-être un peu exagérée, mais ce n'est pas la faute de la nature, qui leur a donné des yeux larges et brillants, des traits généralement beaux et réguliers, et un profil grec, que couronnent les lignes suaves d'un front gracieux; ici encore, ce sont les mœurs qu'il faut en accuser. On peut dire, en effet, que les jeunes Circassiennes font tous leurs efforts pour s'enlaidir. D'abord, elles portent, dès l'âge de la puberté, des camisoles de peau tellement serrées, que leur respiration en est gênée. Ce vêtement incommode leur couvre la poitrine et le buste jusqu'aux hanches, et il a pour but d'empêcher le développement de la gorge, car il serait honteux à une jeune fille de ressembler à une femme mariée. C'est à l'époux seul qu'il est réservé d'enlever ces fâcheuses entraves: armé du quindjal (*), son premier soin, dans fa nuit des noces, est de couper la camisole de sa fiancée, non sans danger de la blesser.

Une taille mince et droite étant, dans les idées de ce peuple, une des plus indispensables conditions de la beauté, les jeunes filles mangent fort

(*) Poignard à fil tranchant.

peu, de crainte d'engraisser. Elles se teignent les ongles en rouge, et cherchent enfin à effacer leurs formes sous un amas de voiles et de bijoux, la plupart d'assez mauvais goût. Elles se coiffent de ce ridicule bonnet, en forme de melon, dont se servent les hommes dans le costume civil; elles portent aussi des culottes, et font usage de souliers montés sur de petites planchettes carrées, de la hauteur d'un demi-pied.

Les Tcherkesses font surtout consister leur luxe dans le nombre et la propreté de leurs armes. A peine levés, ils les examinent, les nettoient, renouvellent les amorces des armes à feu, et les suspendent symétriquement aux murs de la pièce principale de leur cabane. Quant au poignard, ils ne s'en dessaisissent jamais, et même ils s'éloignent rarement de chez eux, pour une simple promenade, sans avoir une paire de pístolets à la ceinture, un sabre au côté, et un fusil sur l'épaule. INDUSTRIE. - L'industrie de cette nation est des plus limitées; elle possède pourtant de nombreux haras d'une très-belle race de chevaux dont elle trouve un abondant débouché sur le marché de Tiflis. On évalue à 20,000 le nombre des chevaux circassiens qui se vendent annuellement sur cette place. La généalogie des meilleures races est connue dans toute la contrée; elle influe singulièrement sur le prix des individus. La noblesse d'un cheval est indiquée par une marque particulière à sa race; il porte sur une cuisse cette honorable cicatrice. Mais on a constaté, depuis quelques années, plus d'un exemple de supercherie à cet égard; inconvénient qui était jadis inconnu car alors les Tcherkesses y mettaient la plus grande bonne foi, et Pallas assure même qu'une fraude de ce genre était punie de mort. Ils élèvent encore des abeilles, des moutons, des chèvres, des buffles et des bœufs.

Quelques cabanes en claies d'osier, enduites d'argile, recouvertes en paille, et disposées quadrangulairement avec une cour commune dans le centre, forment leurs villages.

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LANGUES.-Nous placerons ici une observation qui, bien qu'elle concerne plus particulièrement les Tcherkesses, peut s'appliquer à la plupart des nations caucasiennes. Leurs idiomes, aussi variés que leurs noms, ont un trait caractéristique commun, c'est qu'ils sont plus difficiles à prononcer qu'aucune autre langue du monde (*). Ils offrent à la fois des syllabes fortes et gutturales, des diphthongues modifiées à l'infini, des claquements et un gazouillement que l'écriture ne saurait traduire et que la pensée ne peut comparer à rien. Et cependant l'art de la mélodie n'y est pas inconnu. Les Tcherkesses ont notamment plusieurs airs nationaux qui portent l'empreinte de leur caractère belliqueux. Il en est un qu'ils affectionnent surtout et dont ils entonnent le refrain, Oriracha, dans toutes les circonstances un peu importantes.

Privés des moindres notions de l'écriture, ils conservent leurs traditions historiques dans des chansons que le temps a tellement dénaturées, qu'on ne saurait plus y reconnaître les véritables traditions auxquelles elles doivent leur origine.

Les tribus tcherkesses sont trèsnombreuses. La plus importante est celle des Abazeks, chez laquelle on trouve quelques esclaves et déserteurs russes. Indépendamment de leurs propres sujets, les princes de la Kabardah tiennent sous leur domination plusieurs peuplades d'origine tatare, mais dont la race s'est embellie par le mélange avec le sang géorgien et tcherkesse. Ces tribus sont établies à la source du Kouban et des rivières les plus voisines de ce fleuve; ce sont les Bassians et les Karatchai, ou Tcherkesses noirs. Cette dernière nation a des mœurs infiniment plus douces que celles des peuplades voisines; elle professe l'islamisme, se livre à l'agriculture et à l'éducation des chevaux; elle cultive le tabac, l'orge et le blé, fait de l'excellente bière, et commerce

(*) Voy. Pallas, Guldenstaedt, Reineggs, Potochi, Balbi, J. Klaproth, etc.

avantageusement avec les Nogaïs, les Souanes et les Abases.

Les autres peuples montagnards dont il nous reste à parler sont les Lesghi, les Ossètes et les Tchetchenses; tous se divisent en une infinité de tribus qui, pour la plupart, prennent leur nom de la montagne ou de la rivière la plus voisine.

LESGHI. Le pays compris entre le Koi-sou, l'Alazan et la mer Caspienne, ordinairement appelé, sur nos cartes, Daghestan septentrional, est connu également des Tatares sous le nom de Lesghistan. Strabon et Plutarque ont parlé des Lesghi, qu'ils appellent Leghes. On aurait tort de voir une seule nation sous cette dénomination, qui n'est que le mot générique par lequel on désigne diverses peuplads, voisinés l'une de l'autre, qui se ressemblent par des mœurs féroces et des habitudes de brigandage, mais qui d'ailleurs ne parlent pas la même langue et ne forment nullement un corps homogène.

Ces peuples paraissent être un mélange de diverses nations européennes et asiatiques; ils sont cruels, pillards et audacieux. On les voit quelquefois se hasarder jusqu'aux environs de Tiflis pour y enlever les bestiaux et les paysans: ils descendent de leurs montagnes ordinairement vers le printemps, et se répandent dans les campagnes, où leur présence est un fléau plus dangereux que les ravages des loups et des tigres. Embusqués dans les ruines des vieilles chapelles, ou derrière d'épais taillis, ils attendent leur proie avec une persévérance que la faim, la soif, ni l'intempérie de l'air ne sauraient dompter. Quand ils ont fait un prisonnier, ils le garrottent avec les cordes qui leur servent de ceinture, le traînent précipitamment à leur suite, traversent les localités les plus âpres, les buissons épineux, les rivières et les précipices, jusqu'à ce qu'ils l'aient mis en sûreté. Là, ils font prévenir sa famille et lui demandent une rançon souvent exorbitante: à défaut de paiement, le malheureux prisonnier est soumis, pendant dix an

nées, à toutes les peines du plus dur esclavage. C'est ainsi que, depuis plusieurs siècles, ces brigands se jouent de la vie et de la liberté des hommes. Les Russes ont fait contre eux quelques expéditions heureuses; mais contrariés par la nature du pays, où leurs ennemis trouvent des retraites inaccessibles, ils ont dû capituler avec eux, et accorder des subsides annuels à leurs princes. Le khan des Avars, la plus belliqueuse des tribus lesghines, reçoit un traitement de 40,000 francs. Ce prince réside à Khoun-Dzakh; il peut armer de 8 à 10,000 hommes. Les Kasi-koumouks n'en peuvent mettre sur pied que 6000 environ, mais ce sont les ennemis les plus acharnés des Russes. Les Lesghi du bourg de Koubitchi sont renommés pour la fabrication des cottes de mailles en acier: on les connaît dans tout le Caucase sous le nom persan de dzereb-kerân (fabricants de cuirasses). A Barchly, réside un khan qui prend le titre d'ougmei sa tribu est celle des Kaitak; elle arme de 7 à 8000 hommes. Á Akoucha, les habitants sont plus industrieux et moins féroces que leurs voisins; ils sont pasteurs, et fabriquent un drap assez estimé dans le Caucase.

OSSÈTES. L'an 633 avant J.-C., les Scythes traversèrent le Caucase sous les ordres de Madyès; ils conduisirent, ainsi que nous l'apprend Diodore de Sicile, une colonie de Mèdes en Sarmatie. Cette colonie, établie dans la partie centrale du Caucase, au nord de la Géorgie, a donné naissance aux peuples appelés Alains et Azes dans le moyen âge; aujourd'hui, c'est la nation qui prend elle-même le nom d'Iron, que les Géorgiens connaissent sous celui d'Ossi, et nous sous celui d'Ossètes. Leurs mœurs se rapprochent trop de celles des montagnards lesghi pour que nous puissions nous étendre davantage à leur sujet. Nous ajouterons toutefois qu'ils sont d'une taille élevée, qu'ils ont l'air martial et imposant, et que leur costume, dégagé du pesant accoutrement des Tcherkesses, est celui qui convient le

plus à un peuple montagnard : de grands bas de cuir à jarretières, un surtout court et dégagé, un bonnet à bourrelet, une ceinture garnie de pistolets et de poignards, un fusil en bandoulière, et un bâton fourchu pour poser le fusil et tirer plus juste, en sont les principales parties.

TCHETCHENSES.-Les tribus appelées Mitzdjeghi par les Caucasiens, et Tchetchenses par les Russes, sont établies dans le Caucase depuis une antiquité fort reculée. Parmi elles, la nation des Ingouches se fait remarquer par quelques coutumes bizarres, celle, par exemple, de marier les morts, associant ainsi les jeunes gens des deux sexes qu'ils supposent devoir se convenir dans le ciel. Ils stipulent une dot, que paie, en cette circonstance, le père du fiancé; car c'est un usage général dans ces contrées que le mari apporte une dot à son beau-père.

Les Ingouches sont païens et fort superstitieux; ils attribuent à leurs actions la plus grande influence sur la destinée des morts de leur famille. Lorsqu'un créancier veut être payé de son débiteur, il le menace d'aller tuer un chien sur le tombeau de ses morts, ce qui réduirait ceux-ci à un affreux désespoir. Voleurs comme tous leurs voisins, ils portent à un plus haut degré que ceux-ci l'avidité et la scélératesse. On en a vu s'efforcer de plaire à de jeunes filles, les séduire et les enlever ensuite pour les vendre à des étrangers; des fils dénaturés ont porté plus d'une fois une main sacrilége sur leurs vieux pères, et, entraînant de vive force ces vieillards désarmés, ils les ont vendus pour quelques mesures de sel ou quelques aunes de drap.

Ce peuple se distingue encore de ses voisins par l'emploi du bouclier.

Les Tchetchenses ont été tour à tour chrétiens et musulmans. Aujourd'hui, leur religion paraît n'être plus qu'un théisme entremêlé d'abus grossiers et de superstition. Ce sont des brigands plus féroces et plus déterminés encore que les Lesghi eux mêmes. Quand ils ne peuvent garder un prisonnier, ils ne le renvoient pas sans

lui avoir coupé le nez ou les oreilles. Il y a peu d'années qu'ils enlevaient fréquemment des sujets russes; mais ces accidents sont devenus beaucoup plus rares depuis que le gouvernement a cerné les retraites de ces déterminés voleurs par des postes de Cosaques.

RÉGION DES STEPPES.

Les Turcomans, les Nogaïs, les Koumouks et les Kalmouks dont il va être ici question n'habitent pas exclusivement les steppes de la région caucasienne; et cependant nous avons eu des motifs suffisants pour les comprendre dans cette catégorie, puisque ces nations étaient toutes, dans l'origine, nomades et habitantes des plaines, qu'elles le sont encore pour la plupart, et que les autres y sont disséminées en partie, de sorte qu'il serait impossible de les rattacher aux groupes des peuples montagnards.

Les Turcomans sont d'origine turque (*); leur langue a même conservé une pureté remarquable. Ils descendent de ces Turcomans qui, soumis jadis aux Kalmouks sur les bords du Jaïk, refusèrent d'en suivre les hordes. Devenus sujets de la Russie, ils furent transportés dans la steppe du Kislar. Ils errent avec leurs troupeaux dans cette immense plaine sablonneuse qui s'étend depuis le Térek et la Kouma jusqu'à la mer Caspienne. A l'imitation des anciens Scythes Hamaxobiens, ils portent leurs tentes sur des chariots, et se font suivre par leurs grands troupeaux de chevaux, de chameaux et de bestiaux de toute espèce.

Leur nourriture consiste en víande de mouton, en lait aigri, et en une petite quantité de farine de gruau qu'ils achètent des Russes. Le manque d'eau potable est un fléau dont ils éprouvent souvent toute la rigueur. À cela près, leur sort est assez heureux; ils ne paient aucune imposition et ne sont tenus qu'au service militaire et à une

(*) Ne confondez pas, ainsi qu'on le fait habituellement, les Turcs avec les Tatares dont l'origine est mongole.

contribution de chevaux de chasse.

Les Turcomans sont bien faits, vifs, braves, courageux, mais paresseux, comme tous les peuples nomades. Il y a dans leur manière de se vêtir un luxe qui ne manque pas d'étonner les voyageurs qui descendent des montagnes du Caucase. Ils portent des surtouts en étoffes cramoisies ou diversement bariolées, et galonnés d'or, noués autour des reins par une riche ceinture, des bonnets ronds garnis de peaux d'agneaux noirs, et des bottines jaunes d'une forme élégante. Les carquois et les arcs dont ils se servent sont particulièrement ornés (voy. pl. 8, n° 5) (**). Enfin, ils montent de beaux chevaux qu'ils manient avec des femmes est aussi riche, mais il est une grace remarquable. Le costume moins pittoresque; un bonnet semblable à celui des Tcherkesses, une chaussure exhaussée sur deux planchettes, et, le plus souvent, un anneau placé dans les narines, sont des ornements qui nous semblent de mauvais goût.

Kislar, ville de neuf mille ames, sur la rive gauche du Térek, est la résidence de plusieurs riches négociants arméniens qui y ont fait bâtir dernièrement une assez belle église.

(**) Nous avons réuni dans les trois planches numéros 8, 9 et 12, les costumes les plus remarquables de la région caucasienne; en voici l'explication :

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Planche 8.-N° 1. Circassienne de condition noble, coiffée du bonnet à couronne et montée sur une chaussure qui tient le milieu entre le socque et l'échasse. No 2. Noble circassien, en habit civil; bonnet ouaté en forme de melon, justaucorps de

drap, portant des poches à cartouches sur la poitrine. N° 3. Noble circassien en habit de guerre. N° 4. Circassien à cheval, convert du bourka. Son fusil est enveloppé d'une fourrure. N° 5. Turcoman.

Planche 9. N° 1. Jeune fille circassienne. No 2. Abase. No 3. Jeune Mingrélienne. No 4. Prince iméréthien. No 5. Prince géorgien. No 6. Mingrélien dans un chariot d'osier.

Planche 12. -No 1. Dame géorgienne. No 2. Bayadère tatare du Chirvan. No 3. Lesghi en habit de guerre. No 4. Ingousche, No 5. Princesse mingrélienne.

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