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sévère, pénétrant avec une sagacité merveilleuse le nœud de toutes les intrigues, et possédant à un degré remarquable l'intelligence des affaires. A la finesse propre aux Arméniens, il joignait la gravité et la solennité des manières ottomanes. Chaque matin Grégoire allait visiter Haled, qui le retenait longtemps dans son palais pour délibérer avec lui des affaires de l'Etat. Le vizir était à son tour souvent invité chez les frères arméniens, qui l'égayaient par des fêtes splendides, des illuminations et des festins, luxe d'étiquette inconnu précédemment.

Personne, et les Duzzoglou bien moins encore que tous les autres, ne pouvaient penser qu'Haled nourrissait dans le fond de son cœur des projets sinistres. Cependant il allait porter le premier coup à ses prétendus amis. Voici comme il s'y prit.

Aucun raïa ne peut en droit remplir une fonction publique; il faut être musulman fidèle. Les deux frères arméniens, bien qu'occupant dans la réalité la charge importante de directeurs de la Monnaie, étaient représentés par un Turc, espèce de fonctionnaire fictif, au nom duquel se dressaient tous les actes. Ce Turc, nommé Abd Arrhaman, était un bon et simple vieillard, entièrement dévoué aux Duzzoglou et très-conciliant. Haled voulut l'écarter, et lui substituer une de ses créatures, opposée aux intérêts des Duzzoglou. Il représente donc au sultan qu'Abd Arrhaman est trop vieux, qu'il n'est plus capable d'aucune surveillance, qu'il est gorgé de richesses et entièrement gagné par ceux qu'il doit représenter avec impartialité. Il met en avant un autre personnage, le meïmarbachi, ou grand architecte de l'État, homme parvenu, et conservant contre les Duzzoglou une implacable rancune, parce qu'autrefois il s'était adressé à eux dans une affaire, sans obtenir ce qu'il sollicitait.

Abd Arrhaman est renvoyé et confiné dans un village voisin de Constantinople, et une partie de l'argent qu'il avait amassé pendant son emploi passe dans les coffres du sultan. Les frères

arméniens, étonnés de ce changement. en demandent la raison à Haled, et le prient de s'opposer à la nomination du meïmar-bachi, attendu qu'ils redoutaient ses mauvaises intentions à leur égard. Mais Haled les rassure, et leur conseille de bannir toutes ces vaines inquiétudes, promettant que son autorité aplanirait toutes ces difficultés effrayantes à la première vue, et il ajoute qu'au bout de peu de temps ils trouveront en lui un second Abd Arrhaman.

La loi exige qu'à la nomination d'un nouveau zerpané-émini, ou intendant de la Monnaie, on présente un compte net de l'état financier. Lorsque le meimar-bachi entra dans ses fonctions, la première chose qu'il dit aux Duzzoglou fut de les avertir de se conformer aux règlements, c'est-à-dire, de lui dresser l'état de leurs comptes. Il suffisait ordinairement de faire sur le papier le relevé des sommes contenues dans le trésor de la Monnaie. Les frères arméniens pensèrent d'abord qu'ils n'étaient astreints qu'à cette opération, aussi ne furent-ils pas trop effrayés. Mais quelle surprise fut la leur, lorsqu'en remettant l'état des comptes au meïmar-bachi, celui-ci leur dit : « Le sultan ne se contentera pas d'un simple papier; il veut en argent comptant et sans délai le capital qui a été déposé anciennement entre vos mains.

Il faut savoir qu'en Turquie la monnaie se fabrique au profit du sultan, de même qu'elle est frappée en son nom et à son effigie. C'est lui qui règle et détermine la quantité d'alliage qu'on doit mettre dans l'or, et qui fournit les lingots. Outre ces énormes valeurs d'or et d'argent brut, Mahmoud laissait en dépôt chez les frères arméniens, comme joailliers de la couronne, beaucoup de bijoux et de pierres précieuses. Le capital des fonds confiés aux Duzzoglou pouvait être évalué environ à vingtcinq millions. Comme ils faisaient la banque, ces fonds se trouvaient dispersés et répartis dans plusieurs autres maisons et dans diverses places de l'Europe, notamment en Angleterre et en France. Comment rappeler à l'ins

tant et de si loin toutes ces sommes éparses? comment fermer les crédits ouverts et exiger des payements dont l'échéance était fort reculée? Ces considérations jetèrent les deux frères dans des perplexités étranges; ils tâchaient inutilement de remonter à la cause d'un ordre aussi inconcevable; ils se perdaient dans leurs conjectures. Grégoire ne voit d'autre issue, pour sortir de son embarras, que de courir chez Haled lui demander des explications. Haled simule de la surprise, et dit qu'il arrangera l'affaire près du sultan ; mais qu'il faut saisir le moment favorable de lui parler, et que, pour cela, le délai d'une semaine est nécessaire. Grégoire revient chez lui plus rassuré, mettant toute sa confiance dans le crédit du vizir, son ami.

Le meïmar-bachi, en qualité d'intendant de la Monnaie, allait chaque jour à l'hôtel où elle se fabrique, et l'usage voulait que les deux agents responsables, les deux frères Duzzoglou, ne pussent sortir de la maison ni s'absenter avant le moment du départ du zerpané-émini, lequel avait lieu ordinairement vers les quatre heures du soir. Or, un vendredi que le meïmarbachi était venu, suivant sa coutume, inspecter les ateliers et les bureaux, il demeura plus longtemps dans son cabinet, si bien qu'à huit heures du soir il n'était pas encore sorti, au grand étonnement de toute la maison. Enfin, vers les neuf heures, il descend, et trouve les deux frères qui l'attendaient au bas de l'escalier pour lui présenter leurs hommages, d'après l'étiquette. L'intendant les regarde avec fierté, reçoit silencieusement leurs civilités, et se contente de leur dire, lorsqu'il est monté à cheval : Le sultan ordonne que vous ne quittiez pas l'hôtel des Monnaies. »

«

Ces paroles, qu'il laisse tomber comme une sentence, en poussant son cheval en avant, plongent les deux frères dans la stupéfaction. Ils se regardent, s'interrogent, et trouvent moins que jamais une solution à l'énigme terrible qui pèse sur eux de tout son poids. Ils envoient leurs serviteurs

à la maison chercher quelques provisions. Toute la famille, surprise du retard inaccoutumé de Grégoire et de Serkis, commençait à concevoir des inquiétudes. Elles redoublèrent, quand les serviteurs rapportèrent que leurs maîtres étaient obligés de rester dans l'hôtel des Monnaies par un ordre exprès du sultan. La nuit se passe en allées et venues, et ils ne voient d'autre moyen de sortir de leur incertitude que de s'adresser à Haled, qu'ils croient toujours dans leurs intérêts.

Michel Duzzoglou, leur frère, va le lendemain matin trouver le vizir; il vient, dit-il, de la part de ses frères, chercher des éclaircissements sur un ordre extraordinaire du sultan, en vertu duquel ils sont retenus prisonniers à l'hôtel des Monnaies; il ajoute que Grégoire et Serkis espèrent que leur ami Haled les tirera d'embarras dès que leur position lui sera connue. Michel allait continuer son discours, lorsque Haled l'interrompit froidement et lui dit : « Je sais tout ce que vous pouvez me raconter; mais le sultan est juste, et il absoudra vos frères, s'ils sont innocents, c'est-à-dire, s'ils peuvent rendre leur compte. » Il accompagna ces dernières paroles d'un sourire ironique et d'un air de satisfaction mal déguisé. Michel comprit toute la malice d'Haled, et ce trait lui dévoila le mystère. Il retourne vers ses frères, qui, en entendant la réponse du vizir, sentent clairement, mais trop tard, que le coup part de sa main. Au lieu des consolations et de l'assistance qu'ils attendaient, ils se voient abandonnés, trahis et précipités dans un abîme dont le fond disparaît à leurs regards.

Le samedi matin, les deux frères attendent l'arrivée du zerpané-émini, et lui représentent qu'il n'est pas possible d'acquitter une somme aussi considérable à l'instant même, et qu'on devrait leur accorder un délai. L'intendant, sans fixer le terme, répond qu'ils auront quelques jours pour se pourvoir contre l'arrêt du sultan. Son astuce perfide évitait de ne pas déterminer le jour des comptes, afin de pouvoir les prévenir, dans le cas

où ils seraient en état de s'acquitter. La réponse évasive du zerpanéémini est interprétée favorablement par les frères, qui espèrent, en s'adressant à la générosité et à l'amitié des autres Arméniens, pouvoir se tirer honorablement de ce pas difficile. Ils font un appel aux banquiers de Constantinople, dépêchent des courriers à Angora (*), et prient tous ceux qui pourront venir sur le champ, de se trouver au rendez-vous, pour délibérer sur leur position et les aider dans cette nécessité. La moitié de leurs amis présents à Constantinople vient le lendemain à l'assemblée; l'effroi, la préoccupation qui les agitent, rendent impossible une décision; et cependant les Duzzoglou auraient réussi à réunir le capital nécessaire, sans l'indigne lâcheté du plus riche de leurs parents, Aznavour Ďuzzoglou, homme qui leur devait tout son crédit et toute sa fortune. Au lieu de se sacrifier pour ceux qui étaient le principe et la cause de sa prospérité, il craint de se compromettre aux yeux du pouvoir, et, sans mot dire, il s'esquive de l'assemblée pour courir chez le zerpané-émini, à qui il compte l'affaire dans tous ses détails. « Voici, dit-il, qu'on réclame de moi telle somme pour payer le sultan; suis-je obligé de la fournir? » L'intendant, qui voit dans son refus un moyen plus sûr de perdre ses ennemis, lui répond que non-seulement il n'est point obligé à se mêler des affaires de ses parents, mais qu'il lui défend même, sous peine de la vie, d'y intervenir en rien. La frayeur d'Aznavour redouble, et il ne songe plus

(*) Angora est l'ancienne ville d'Ancyre. Le grand nombre d'Arméniens qui l'habitent, parmi lesquels se trouvent les capitalistes les plus riches et les plus influents de la nation, la rangent en quelque sorte dans la catégorie des villes arméniennes. C'est en l'envisageant sous ce point de vue, que nous nous sommes permis de reproduire dans nos figures le célèbre monument d'Auguste, que les dernières observations des voyageurs portent à faire considérer comme un temple, élevé peut-être sous les auspices de cet empereur. Voy. les figures, 33, 34, 35, 36.

qu'à se renfermer chez lui pour sauver ses trésors (*).

L'assemblée se sépare, après avoir arrêté qu'on demandera un délai de huit jours. On s'adresse imprudemment au zerpané-émini, pour le charger de solliciter cette grâce près du sultan; et l'on aurait dû penser que sa liaison avec Haled, l'unique cause de tous ces maux, ne pouvait permettre d'espérer qu'il plaiderait favorablement leur cause. Bien au contraire, il devait de tout son pouvoir hâter le moment de leur ruine, ce qu'il fit effectivement.

L'ingratitude d'Haled envers les Duzzoglou était d'autant plus noire et plus inexplicable, qu'il avait reçu de leur part des services de tout genre. Lui qui les accusait de dilapidation, avait contribué par ses emprunts réitérés et nullement inscrits sur le cahier des charges, parce qu'ils étaient considérés comme les avances d'un ami à son ami, à rendre leur position plus critique et plus gênante. En effet, il était leur débiteur de fortes sommes, et il espérait par ses basses intrigues éteindre sa dette dans le sang de ses créanciers. Lorsque Michel se présenta derechef chez lui pour l'engager à rendre ce qu'il devait à ses frères, Haled lui répondit avec une impassibilité apparente, qu'il était tout prêt à s'acquitter, et qu'il ferait promptement remettre la somme à l'hôtel des Monnaies. Michel se contenta de cette réponse, et retourna la notifier à ses frères.

Pendant ce temps, Haled, stimulé par la crainte de rembourser les sommes empruntées, s'il n'accélère la condamnation des Duzzoglou, court incontinent près de Mahmoud. Il le trouve

(*) Au moment où il y avait du courage à témoigner quelque intérêt à la famille Duzzoglou, certains hommes parmi les Francs lui donnaient des signes non équivoques de leur attachement. Nous nous plaisons à citer ici le nom de M. Jouannin, attaché à l'ambassade française, et aujourd'hui premier secrétaire-interprète du roi. Il fut pour les Duzzoglou disgraciés, un ami aussi fidèle que durant leur prospérité.

dans la salle de son conseil, et, comme s'il avait des révélations importantes à lui communiquer, il le prie de congédier l'assemblée. Lorsqu'ils sont seuls, Haled élève la voix, et, feignant toujours que le zèle qu'il déploie contre les Duzzoglou est un effet de son attachement à la personne de Sa Majesté, et non un mouvement de son intérêt propre, puisqu'il a été contraint de briser tous les liens d'amitié qui les unissaient, il dit qu'il est temps de prendre une décision, parce que tous les Armé niens s'entendent entre eux, et que les coupables pourront échapper à sa justice, en lui présentant l'argent de leurs parents et de leurs amis; qu'ils doivent porter la peine de leur luxe effréné, eux qui bâtissent des châteaux plus magnifiques que son sérail; que temporiser annoncerait de la faiblesse et indisposerait la masse des fidèles musulmans, lesquels attendent une mesure digne de son courage et de sa justice.

Mahmoud, excité par les paroles de son ministre, entre en fureur, et lui répond qu'il est résolu de sévir contre les coupables, mais qu'il ignore les moyens propres à les atteindre tous. Haled avait un plan de proscription arrêté, et il l'expose au sultan. Il consistait à faire main basse sur toute la famille des Duzzoglou, en y comprenant les parents et les amis compromis dans cette dernière affaire; ils devaient être saisis au milieu de la nuit même, et conduits, les hommes à l'hôtel de la Monnaie, pour être réunis aux trois frères prisonniers, et les femmes au palais du patriarche arménien. Mahmoud approuve le conseil d'Haled, et lui laisse plein pouvoir pour l'exécution.

Vers les onze heures du soir, le bostandji-bachi, ou chef de la police, marche avec une nombreuse brigade à la résidence de la famille Duzzoglou, et pénètre dans la maison. On conçoit aisément quelle frayeur agita toutes ces femmes et ces enfants éveillés en sursaut au milieu de la nuit, et se voyant environnés de gens armés, sur le visage desquels on discernait des intentions hostiles, qui leur révélèrent

trop clairement que leurs tristes pressentiments allaient se réaliser. Le bostandji-bachi les rassure, et, afin que personne ne lui échappe, il leur dit qu'ils n'ont rien à craindre, qu'il veut seulement leur communiquer un ordre du sultan, et qu'il les prie de se réunir tous, sans en excepter un seul, dans l'appartement principal de la maison, afin qu'ils en entendent la lecture. On lui obéit, et, lorsque tous sont rassemblés dans la grande salle, il fait lire le mandat d'arret. A cette lecture, les femmes qui se voient arrachées à leurs maris poussent des sanglots, auxquels les petits enfants mêlent leurs cris et leurs larmes. Il faut céder à la force, malgré le sentiment de son innocence, et suivre ces soldats, qui les conduisent à la mer et les entassent dans une grande barque ou caïque, destinée au transport des briques et des pierres de construction. Pendant le même temps, d'autres agents fouillaient les domiciles des autres victimes de l'infâme cupidité d'Haled. Le nombre des familles arrêtées s'éleva à dix-huit.

Toutes les femmes furent transférées chez le patriarche arménien : qu'on se figure ces dames, élevées dans le luxe et la mollesse, réduites, avec leurs filles ou leurs jeunes enfants, à coucher sur quelques misérables lits de paille, pêle-mêle avec les autres femmes attachées à leur service, n'ayant pour nourriture que du pain noir, privées de lumière et d'air, suffoquées par une odeur infecte, et l'on n'aura encore qu'une bien faible idée des douleurs et des amertumes dont elles étaient abreuvées. Car, à cela, se joignaient les peines morales causées par la séparation de leurs maris, et l'incertitude où on les laissait touchant leur propre avenir. Les satellites qui les gardaient à vue avaient la barbarie d'empêcher les communications avec le dehors, et de ne laisser introduire aucune des choses capables d'adoucir les rigueurs de la détention. La patience chrétienne avec laquelle elles supportaient ces maux était l'unique consolation qui pût les tempérer. Les souffrances du corps impriment d'ordinaire aux âmes

généreuses une énergie nouvelle qui réagit heureusement sur l'organisme; c'est ce qui arriva pour plusieurs de ces jeunes femmes si délicates, toujours languissantes et maladives sur leurs riches sofas et tapis de Perse, et recourant journellement aux ordonnances de la médecine. Alors qu'elles n'avaient que les aliments les plus grossiers et la couche la plus dure, elles recouvrèrent la santé et la force suffisante pour supporter noblement leur infortune.

Les hommes, de leur côté, avaient été enfermés, ainsi que nous l'avons dit, dans l'hôtel de la Monnaie. Ils étaient encore traités avec plus de rigueur. Les trois frères, et quelquesuns de leurs plus proches parents, furent séparés et séquestrés dans une chambre basse et obscure qui avait toute l'apparence d'un cachot. Les autres Arméniens, au nombre de soixante et dix personnes environ, étaient réunis dans un même appartement. Quel triste spectacle pour eux, que la vue des misères qui les frappent d'une manière si soudaine! De l'opulence, des douceurs de la vie intérieure de famille, ils passent à l'extrême dénûment et aux dures privations des prisonniers d'État en Turquie. A peine reçoivent-ils les aliments nécessaires pour apaiser les premiers besoins de la faim; et plusieurs d'entre eux, habitués à se désaltérer dans de riches coupes d'or ou dans les cristaux les plus brillants d'Europe, pressent avidement de leurs lèvres une cruche d'argile, qui ne contient qu'une eau trouble et jaunâtre. Ce qui enfonce le dernier trait dans leurs âmes, c'est la présence du banquier Aznavour, qui n'avait pu acheter son salut au prix de la trahison et de la bassesse. Haled, qui convoitait ses trésors, l'avait porté sur ses tables de proscriptions, et le malheureux partageait la captivité de ceux qu'il aurait peut-être délivrés, en offrant avec dévouement une partie de ses capitaux pour remplir la somme réclamée par le sultan.

Après quelques jours, on fait sortir du Żerpaneh les frères Duzzoglou, et

on les traîne au sérail, où ils sont jetés dans une autre prison secrète et plus intolérable. Le cruel Haled se plaît à torturer ses victimes par les privations de tout genre qu'il leur impose, et par les craintes continuelles qu'il leur inspire, soit en répandant de fausses nouvelles, comme le bruit de la mort de leurs femmes et de leurs enfants, soit en leur faisant envisager leur propre perte comme prochaine et assurée. Ce qui contribua à les jeter dans les plus vives inquiétudes, fut le supplice de l'infortuné Abd-Arrhaman, qu'Haled avait réussi à envoyer à la potence, pour confisquer ses biens. Sa tête, portée au bout d'une pique, fut exposée à la porte du sérail, et on accorda aux frères arméniens le triste privilége de contempler les restes sanglants d'un ami, innocent comme eux, et dont la bouche béante semblait leur jeter de loin une prophétie sinistre. Deux serviteurs, qui avaient la permission de pénétrer dans le cachot, rapportaient chaque jour à leurs maîtres les rumeurs publiques qu'ils recueillaient sur leur passage; et tous ces bruits vagues et discordants ressemblaient au roulement confus et lointain des flots et du vent, signe précurseur de la tempête. Elle ne tarda pas à éclater: Mahmoud, poussé par Haled qui le harcelait sans cesse, dans la crainte qu'il ne vînt à reconnaître la trame secrète de ses fourberies, institua une commission de trois membres, chargés de faire l'inventaire de tous les meubles et immeubles tant des Duzzoglou que des autres Arméniens arrêtés avec eux. Ces trois membres étaient Haled lui-même, le zerpanéémini, et le directeur des douanes. Par leur ordre, on fouille toutes les maisons sur lesquelles on avait apposé les scellés, et on transporte au Zerpaneh meubles, bijoux, trésors, et autres effets précieux qu'on y découvre. Ce qui ne pouvait être déplacé fut laissé sur les lieux et vendu plus tard à l'encan. On ne saurait évaluer la richesse de tous les objets de luxe trouvés dans les palais de ces riches banquiers, et que plusieurs générations

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