Comp Seto Année Scolaire REVUE DES COURS ET CONFÉRENCES Honorée d'une souscription du Ministère de l'Instruction publique LA REVUE PARAIT TOUS LES JEUDIS DIRECTEUR N. FILOZ LA REVUE PUBLIE CETTE ANNÉE : Cours de MM. Émile Faguet et Augustin Gazier ; Cours de M. Alfred Croiset. Leçon de M. G. Desdevises du Dezert. Cours de M. Victor Egger; leçons de M. E. Articles de MM. Emile Boutroux et Emile Cours de M. Charles Seignobos. Cours de M. Maurice Besnier. Conférences de M. N.-M. Bernardin, G. Des- SUJETS DE DEVOIRS, LEÇONS ET COMPOSITIONS. RENSEIGNEMENTS DIVERS. PARIS SOCIÉTÉ FRANÇAISE D'IMPRIMERIE ET DE LIBRAIRIE ANCIENNE LIBRAIRIE LECÈNE, OUDIN ET Cle 15, RUE DE CLUNY, 15 1904 Tout droit de reproduction réservé Eustache Deschamps était encore à Reims en 1359, quand le roi d'Angleterre assiégea cette ville, et ne put la prendre. Peu après, nous le voyons à Orléans, où était la seule grande école de droit de la France du nord; d'après ce qu'il nous dit, il y aurait perdu beaucoup de temps, et, nous parlant d'étudiants de dixième année, il semble avouer qu'il était du nombre, et qu'il ne s'amenda qu'à l'âge de trente-six ans : Quant je me vi en l'aage de vingt ans... Et par seize ans me plunga en celle onde Il n'y a la probablement qu'une sincérité relative: les poètes d'ailleurs veulent tous passer pour d'anciens mauvais sujets, qui ont perdu leur jeunesse et fait de détestables études. Ne voyons-nous pas un poète contemporain, entré jeune encore à l'Académie, avouer, à toutes les distribu tions de prix qu'il préside, qu'il fut jadis un très mauvais élève, et conseiller vivement à ses jeunes auditeurs de ne pas l'imiter? Aussi, malgré ses aveux, Eustache Deschamps ne me paraît pas être un de ces poètes qui ont perdu tant de temps à l'amour, comme il le dit dans la Prière aux Dames: Dames, dames que j'ay longtemps servi Depuis qu'Amours m'ont donné cognoissance. Il a dû faire des études fort sérieuses, et appris le droit d'une manière très convenable, puisqu'il exerça plusieurs fonctions qui en demandaient une assez grande connaissance. En 1367, il entre au service royal comme messager; mais, malgré l'estime que fait de lui Charles V, il est payé fort irrégulièrement, et il lui arrive parfois d'être arrêté en voyage par manque d'argent. Le service du roi l'entraîne dans nombre de pays; il voit la Bohême, la Hongrie, la Lusace, la Moravie ; il court même quelques dangers qui semblent l'avoir moins effrayé que la cuisine de Bohême, dont il nous fait une saisissante description : Poivre noir, choulz pourriz, poreaulz, Char enfumée, noir et dure ;... Mal couchier, noir, paille et ordure, Il compare ces pays à la douce France, si bien policée sous Charles V, à ce moment si court, hélas ! qui correspond à une petite trêve, séparant le désastre de Poitiers de la folie de Charles VI : Quant j'ay la terre et mer avironnée Et visité en chascune partie Jherusalem, Egipte et Galilée... Valent trop mieulx ce que les François ont : Riens ne se puet comparer a Paris. Comme on le voit, il semble avoir rapporté de ses voyages à l'étranger plus d'amour pour son pays. Je ne prends toutefois pas au sérieux des ballades où Deschamps raconte avoir fait beaucoup d'autres voyages et couru bien d'autres dangers. Vers 1372, de nouvelles fonctions l'attachent à Paris et à la cour: il est nommé huissier d'armes de Charles V. C'était alors celui qui approchait le plus près du souverain, qui assistait à son lever et à son coucher, et passait la nuit couché lui-même devant la porte de la chambre royale. En fait, l'office était déjà plus honorifique que réel, et c'étaient de simples valets qui remplaçaient l'huissier d'armes. Deschamps le regrette: « On leur ôte leurs droits de jour en jour », dit-il; et d'ailleurs il est étrange que les charges semblent avoir perdu de leurs privilèges, sitôt qu'il les avait. Il fut successivement huissier d'armes, écuyer, bailli de Valois, maître des eaux et forêts, général des finances, et, malgré toutes ses fonctions, il ne fut jamais riche; les gages, en effet, étaient nuls, et il cria misère jusqu'à son dernier jour. Son meilleur temps fut certainement celui qu'il passa auprès du sage Charles V ; il a loué ce roi dans mainte ballade, et de son vivant et après sa mort. Il est vrai que le père grandit considérablement en comparaison du fils qui lui succéda, Charles VI. Sous lui, Paris est devenu la première ville du monde, et Deschamps, qui aime beaucoup donner des détails précis, mêle la louange de l'artisan parisien à l'éloge de la ville elle-même : Mais elle est bien mieulx que ville fermée... De touz les ars c'est la flour, quoy qu'on die. Deschamps se marie en 1373 ; il a de ce mariage un fils et une fille, et perd sa femme après trois ou quatre années de vie commune. Pourquoi cette union fut-elle malheureuse? Pourquoi parle-t-il toujours du mariage et de sa femme avec colère? Pourquoi enfin son dernier ouvrage, le Miroir du Mariage, en est-il une satire très violente? On ne sait rien à ce sujet ; ce qu'il y a de certain, c'est qu'il dit beaucoup de mal de sa femme : Or est sur moy de femme li venins Il semble qu'elle fut plus vieille que lui; et nous trouvons dans son œuvre beaucoup de poésies dirigées soit contre elle, soit contre les enfants qu'elle lui donna. Car Eustache Deschamps ne se console pas de la femme par les enfants : ceux-ci lui pèsent autant que la mère. « Heureux, s'écrie-t-il, ceux qui n'ont ni fils ni fille », d'abord parce qu'un fils coûte beaucoup à élever, puis parce que ce fils ne vous gardera aucune reconnaissance des sacrifices que vous aurez faits pour lui. Pour élever des filles, c'est, dit-il, bien pis encore, et il nous ferait facilement croire qu'il y avait beaucoup d'avarice dans son fait. Cependant, quand il marie sa fille, il la dote de terres, de biens et même d'une ballade : Fille que j'ay, puis que vous fustes née Dix-sept ans nourrie et gouvernée A mon pouvoir bien et honnestement, Et par aage vous ay donné mary, Terre et argent comme père doit faire, Que devons-nous penser de la disposition satirique et haineuse de Deschamps pour la famille et le mariage? Elle est un peu affectée; mais elle |