PROLOGUE'. MERCURE, sur un nuage; LA NUIT, dans un char trainé dans l'air par deux chevaux. MERCURE. Tout beau! charmante Nuit, daignez vous arrêter. Et j'ai deux mots à vous dire De la part de Jupiter. LA NUIT. Ah! ah! c'est vous, seigneur Mercure! Qui vous eût deviné là dans cette posture? MERCURE. Ma foi, me trouvant las, pour ne pouvoir fournir Pour vous attendre venir. LA NUIT. Vous vous moquez, Mercure, et vous n'y songez pas2: Un prologue est une préface récitée à des spectateurs, Les anciens en ont fait un fréquent usage. C'étoit un moyen d'expliquer le sujet qu'on alloit représenter, et de mettre le public dans la confidence et dans les intérêts de l'auteur. Mais ce moyen, trop facile, nuit toujours à l'illusion de la scène et à la vraisemblance de l'action. Voilà sans doute ce qui l'a fait rejeter des theâtres modernes. Aujourd'hui l'exposition du sujet doit se trouver au premier acte. C'est là que l'auteur peut hasarder même des invraisemblances, et que le public est prêt à tout pardonner à celui qui l'amuse. Molière, en arrangeant Amphytrion pour la scène françoise, a dû suivre l'exemple de Plaute, dont il reproduisoit et traduisoit la pièce. Il a donc composé un prologue suivant l'usage ancien; mais dans cette petite scène, comme dans beaucoup d'autres, il n'a pas seulement égalé son modèle, il l'a surpassé, Ce vers devrait rimer avec le précédent, ou avoir une désinence féminine. Cette négligence se reproduit plusieurs fois dans le cours de la pièce. Les dieux sont-ils de fer? MERCURE. LA NUIT. Non; mais il faut sans cesse Garder le decorum de la divinité. Il est de certains mots dont l'usage rabaisse Et que, pour leur indignité, Il est bon qu'aux hommes on laisse. MERCURE. A votre aise vous en parlez; Et vous avez, la belle, une chaise roulante Et je ne puis vouloir, dans mon destin fatal, De leur impertinence extrême, Comme un messager de village; Moi qui suis, comme on sait, en terre et dans les cieux, Le fameux messager du souverain des dieux; Et qui, sans rien exagérer, Par tous les emplois qu'il me donne, Aurois besoin, plus que personne, LA NUIT. Que voulez-vous faire à cela? Qu'on voit faire à ces messieurs-là. Mais contre eux toutefois votre ame à tort s'irrite, MERCURE. Oui; mais pour aller plus vite, LA NUIT. Laissons cela, seigneur Mercure, MERCURE. C'est Jupiter, comme je vous l'ai dit, Qu'un nouvel amour lui fournit. Ses pratiques, je crois, ne vous sont pas nouvelles': Pour mettre à bout les plus cruelles. Commande aux troupes thébaines, Il en a pris la forme, et reçoit là-dessous Dans la possession des plaisirs les plus doux. L'état des mariés à ses feux est propice: L'hymen ne les a joints que depuis quelques jours; Et la jeune chaleur de leurs tendres amours A fait que Jupiter à ce bel artifice Pratiques au pluriel se dit des intrigues ou des menées sourdes d'une personne. Il est encore d'usage. La phrase ses pratiques ne vous sont pas nouvelles, pour dire ne sont pas une nouveauté pour vous, est un latinisme dont Molière a enrichi la langue. Un an après Molière, Racine se servit de la même locution dans le vers suivant de Britannicus : Cette offense en son cœur sera long-temps nouvelle. S'est avisé d'avoir recours. Son stratagème ici se trouve salutaire : Mais, près de maint objet chéri, LA NUIT. J'admire Jupiter, et je ne comprends pas MERCURE. Il veut goûter par-là toutes sortes d'états; Et c'est agir en dieu qui n'est pas bête. S'il ne quittoit jamais sa mine redoutable, LA NUIT. Passe encor de le voir, de ce sublime étage, Dans celui des hommes venir, Prendre tous les transports que leur cœur peut fournir, Et se faire à leur badinage, Si, dans les changements où son humeur l'engage, A la nature humaine il s'en vouloit tenir. Mais de voir Jupiter taureau, Serpent, cygne, ou quelque autre chose, |