MERCURE. Sus, je romps notre trève, et reprends ma parole. SOSIE. N'importe. Je ne puis m'anéantir pour toi, S'avisa-t-on jamais d'une chose pareille'? Ne suis-je pas dans mon bon sens ? Mon maître Amphitryon ne m'a-t-il pas commis Pour m'empêcher d'entrer chez nous ? Ne m'as-tu pas roué de coups? Cesse donc d'insulter au sort d'un misérable; MERCURE. Arrête, ou sur ton dos le moindre pas attire * L'édition de 4682 nous apprend qu'on retranchoit alors ce vers, et le vingtcinq suivants. * Du temps de Molière, le verbe laisser avoit en françois le même régime qu'il a en latin. On diroit aujourd'hui : laisse mon devoir s'acquitter de ses soins. Un assommant éclat de mon juste courroux. Tout ce que tu viens de dire Est à moi, hormis les coups. SOSIE. Ce matin, du vaisseau, plein de frayeur en l'ame, Amphitryon, du camp, vers Alcmène sa femme MERCURE. Vous en avez menti. C'est moi qu'Amphitryon députe vers Alemène, Dont l'humeur me fait enrager; Qui dans Thèbe ai reçu mille coups d'étrivière, Et jadis en public fus marqué par derrière, Pour être trop homme de bien 3. SOSIE, bas, à part. Il a raison. A moins d'être Sosie, Le Sosie de Plaute et celui de Rotrou font bien mention, comme tout-à-l'heure celui de Molière, de la lanterne qu'ils ont en main ; mais celui-ci est le seul à qui il vienne dans l'idée de la prendre à témoin de son départ du port pour la ville, et de la frayeur qu'il a eue sur la route. Ce trait est bien du même homme qui, au commencement de la pièce, personnificit cette lanterne, et lui faisoit jouer le rôle d'Alcmène. (A.) Le port d'Eubée ne prit le nom de port Persique que long-temps après Amphitryon, lorsque les Perses y eurent abordé. 3 Dans Plaute, Sosie, faisant allusion aux coups de fouet qu'on donnoit aux esclaves, dit de Mercure : « S'il a le dos cicatrisé, il ne manque rien à la ressemblance ! » L'usage de marquer les malfaiteurs sur l'épaule n'existoit pas chez les anciens. On ne peut pas savoir tout ce qu'il dit; Afin d'éclaircir ce mystère. (haut.) Parmi tout le butin fait sur nos ennemis, Qu'est-ce qu'Amphitryon obtient pour son partage? MERCURE. Cinq fort gros diamants en noeud proprement mis, SOSIE. A qui destine-t-il un si riche présent? MERCURE. A sa femme; et sur elle il le veut voir paroître. SOSIE. Mais où, pour l'apporter, est-il mis à présent? MERCURE. Dans un coffret scellé des armes de mon maître2. SOSIE, à part. Il ne ment pas d'un mot à chaque repartie; Et de moi je commence à douter tout de bon. Où puis-je rencontrer quelque clarté fidèle, On ne sait pourquoi Molière a substitué ce nœud de diamants, qui est une parure toute moderne, à la coupe de Ptérélas: dont il est question dans Plaute, et qui est consacrée par l'histoire. 2 Les armes, héraldiquement parlant, sont une invention des temps de la chevalerie. Ainsi Amphitryon n'avoit point un cachet blasonné, mais, comme la plu part des anciens, un anneau sur la pierre duquel étoit gravé quelque signe particulier qu'il avoit adopté. (A.) Pour démêler ce que je voi? Ce que j'ai fait tout seul, et que n'a vu personne, C'est de quoi le confondre, et nous allons le voir. Lorsqu'on étoit aux mains, que fis-tu dans nos tentes, MERCURE. D'un jambon... SOSIE, bas, à part. L'y voilà! MERCURE. Que j'allai déterrer Je coupai bravement deux tranches succulentes, Dont je sus fort bien me bourrer; Et, joignant à cela d'un vin que l'on ménage, Pour nos gens qui se battoient. SOSIE, bas, à part. Cette preuve sans pareille En sa faveur conclut bien; Et l'on n'y peut dire rien, S'il n'étoit dans la bouteille '. (haut.) Je ne saurois nier, aux preuves qu'on m'expose, MERCURE. Quand je ne serai plus Sosie, Cette excellente plaisanterie appartient à Plaute ; mais Molière doit peut être à Rotrou de l'avoir rendue si heureusement. Voici les vers de Rotrou : Je suis sans repartie après cette merveille, S'il n'étoit, par hasard, caché dans la bouteille. (A.) Sois-le, j'en demeure d'accord; Mais, tant que je le suis, je te garantis mort, Si tu prends cette fantaisie. SOSIE. Tout cet embarras met mon esprit sur les dents, Mais il faut terminer enfin par quelque chose; MERCURE. Ah! tu prends donc, pendard, goût à la bastonnade? Ah! qu'est-ce-ci? grands dieux! il frappe un ton plus fort, MERCURE, seul. Enfin je l'ai fait fuir, et, sous ce traitement, Mais je vois Jupiter, que fort civilement SCÈNE III. JUPITER, sous la figure d'Amphitryon, ALCMENE, CLEANTHIS, MERCURE. JUPITER. Défendez, chère Alemène, aux flambeaux d'approcher. Qu'il est à propos de cacher. Ce vers est une espèce de justification de la conduite un peu brutale de Mercure. Sosie a reçu le prix de ses mauvaises actions, et il nous a fait rire : que de motifs pour pardonner à l'auteur! La scène est admirable, elle ne cesse pas d'être comique, et cependant c'est une des plus longues scènes qui soient au théâtre. Molière, en imitant Plaute, a eu le secret de rester original. |