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AVANT-PROPOS.

Attaché en 1848 à la Faculté des lettres de Paris, en qualité d'agrégé de philosophie, j'y ai fait pendant six années consécutives un cours libre, gratuit, sans aucun espoir d'avancement, sans autre ambition que de faire mon devoir, en ne laissant point tomber par ma faute une institution qui était une des espérances de la philosophie, et qui avait été représentée avec tant d'éclat par des hommes tels que M. Franck, M. Jules Simon, M. Emile Saisset.

Comme mes maîtres et mes aînés, j'ai toujours tâché dans mes leçons d'éclairer la philosophie par son histoire; mais je me suis placé, si je l'ose dire, à un point de vue particulier, qui peut se définir en peu de mots. En étudiant tour à tour l'histoire de la logique et celle de la psychologie, mon dessein a été de donner satisfaction à un petit nombre d'esprits sérieux qui souhaitent de voir succéder ces histoires spéciales de nos sciences à des généralités un peu vieillies sur les différentes époques et les différents systèmes de la philosophie. C'est avec l'intention de répondre autant qu'il était en moi à ce besoin légitime et chaque jour mieux senti de faire servir l'histoire à l'avancement de chacune des parties de la philosophie, que j'ai pris pour sujet de mes cours d'abord la logique, puis la psychologie. Le moment est peut-être venu de soumettre au public compétent les principaux résultats de cet enseignement. Les Essais dont se

compose ce volume se rattachent tous à la logique : ils résument, en leur conservant parfois leur forme primitive, les leçons que j'ai consacrées aux études logiques en général, mais surtout à la question si essentielle de la méthode.

Deux choses semblent nécessaires de nos jours en philosophie: un caractère moral dans les doctrines qu'elle professe, un caractère scientifique dans la manière dont elle les établit. Telle a été la double préoccupation qui a présidé à la composition de ces Essais, et l'on en remarquera peut-être la trace dans les pages sur la méthode en psychologie ou sur la méthode du panthéisme, et dans la leçon sur le fondement de la propriété que j'ai cru pouvoir y ajouter, d'après les conseils du philosophe éminent qui présidait le concours où elle fut prononcée, et dont je serais fier d'obtenir encore une fois le suffrage. Partout, je l'espère, on reconnaîtra l'amour de la vérité, un inviolable attachement à la philosophie, et le désir sincère de mettre en pratique la belle parole de Cicéron qui sert d'épigraphe à ce livre, en suivant jusqu'au bout la raison, soit qu'elle affirme avec une entière assurance ce qu'elle connaît pleinement, soit qu'arrivée au terme de ses efforts légitimes, elle marque elle-même les limites de la certitude et de la science,

Strasbourg, le 21 décembre 4857.

CH. WADDINGTON.

DE L'UTILITÉ DES ÉTUDES LOGIQUES1.

MESSIEURS,

Au moment de mêler ma faible voix à celle de tant de professeurs renommés et pleins d'autorité, j'éprouve le besoin de vous dire avec quel profond respect j'aborde cette chaire. Les souvenirs que j'y rencontre me paraissent tellement imposants, que jamais, je crois, je n'aurais osé y porter la parole, si je ne m'étais senti soutenu par la bienveillance de mes aînés, par les conseils et les encouragements de mes maîtres. Mais c'est à une source plus haute encore, si je l'ose dire, que j'ai puisé la confiance qui me manquait : c'est dans le propre sentiment de mon devoir que je trouve la force de l'accomplir. Il s'agit en effet de braver un injuste préjugé, en rappelant à la jeunesse qui fréquente cette antique Sorbonne les titres effacés d'une science bien chère aux étudiants d'un autre âge, et que notre temps verrait peut-être utilement refleurir. Il s'agit de faire revivre dans cette Faculté des arts une étude qui a été sa gloire pendant des siècles, et qui

'Discours prononcé à la Sorbonne, le jeudi 12 décembre 4850, pour l'ouverture du Cours complémentaire de philosophie.

n'a pas mérité, que je sache, l'abandon et l'oubli. Peut-être les amis de la philosophie me sauront-ils quelque gré d'avoir entrepris cette œuvre difficile. Puissé-je n'être pas jugé trop inférieur à la tâche que. je me suis imposée!

Il y a quelques années déjà, un savant professeur, membre de l'Institut, a interprété dans une enceinte voisine les Analytiques d'Aristote que, grâce à lui, nous pouvons aujourd'hui lire en français. Mais lorsque ce courageux et unique exemple nous a été donné, il y avait trois siècles que la logique n'avait pas eu à Paris les honneurs de l'enseignement public. Reléguée depuis trois cents ans dans l'intérieur des colléges, et là même réduite à des proportions de plus en plus étroites, elle a eu successivement à lutter contre le mépris, la haine, le dégoût, l'indifférence.

Notre siècle lui-même, tout en reconnaissant le caractère sérieux et élevé de cette étude, l'a traitée jusqu'ici en science morte. On la respecte en général, mais de loin; on l'admire dans le passé, on en fait l'histoire, suivant le goût dominant de notre époque, mais on ne la cultive pas elle-même; on s'attache à ce qu'elle a été, sans paraître songer à ce qu'elle pourrait être. Sans être d'humeur chagrine, on peut dire que notre génération, chaque jour plus insouciante des choses de l'esprit, s'adonne chaque jour davantage à la pratique et à la vie matérielle; il ne nous suffit plus de savoir qu'une chose est noble et belle; nous demandons avant tout si elle est utile et à quoi elle sert. Or, il faut bien l'avouer, entre toutes les sciences qui composent le domaine si vaste de la philosophie, il n'en est pas une peut-être qui ait une plus grande

réputation d'inutilité que la logique. De là cette injurieuse ignorance où l'on se complaît à son égard. Le grand nombre, qui ne sait de quoi il s'agit, en est encore à répéter des plaisanteries, spirituelles jadis, mais qui ont beaucoup vieilli, et qui sont aujourd'hui sans objet; néanmoins les fameux mots Barbara, Celarent, etc., sont encore en possession d'égayer la foule des personnes qui savent lire, et qui sont en général de l'avis du bourgeois gentilhomme, disant à son maître de philosophie: « Ces mots - là sont trop rébarbatifs. » D'autres, plus équitables, consentent à reconnaître que la discipline logique a pu exercer à une autre époque une bienfaisante influence, que par elle l'Université de Paris a été longtemps la capitale de l'Europe philosophique, qu'elle a entretenu la vie au moyen âge, qu'elle a formé l'esprit nouveau, et que notre langue même lui doit en grande partie sa clarté et sa précision; mais, à leurs yeux, c'est une étude qui a fait son temps et qu'il est puéril de vouloir restaurer aujourd'hui. Enfin, l'on rencontre dans le monde quelques hommes éclairés, qui ont entendu dire et qui redisent volontiers que la logique est une science certaine, qu'elle a des parties. comparables à la plus solide et à la plus subtile géométrie; ceux-là considèrent la logique comme la science philosophique la plus autorisée; ils l'estiment sur parole et ne demanderaient pas mieux que de la croire bonne à quelque chose.

Mais comment le public croirait-il à l'utilité d'une étude que les philosophes eux-mêmes renoncent presque tous à défendre ? Que dis-je? ils semblent en ignorer l'objet et le domaine; au moins ne sont-ils pas d'accord

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