Images de page
PDF
ePub
[blocks in formation]

doux. Ce sont des flambeaux vivants qu'elle répand dans les prairies; voyez cette mouche qui luit d'une clarté semblable à celle de la lune, elle porte avec elle le phare qui doit la guider. Tandis qu'elle s'élance dans les airs, un ver rampe au-dessous d'elle; vous croyez qu'il va disparaître dans l'ombre; tout à coup il se revêt de lumière comme un habitant du ciel; il s'avance comme le fils des astres : tout s'illumine, et ces reflets éclatants, ces flammes célestes qui rayonnent autour de lui, éclairent les doux combats, les extases et les ravissements de l'amour.

AIME MARTIN. Préambule des Harmonies de la nature.

LE SERPENT.

Jetons les yeux sur ce que la nature a créé de plus faible, sur ces atomes animés, pour lesquels une fleur est un monde, et une goutte d'eau un ocean. Les plus brillants tableaux vont nous frapper d'admiration. L'or, le saphir, le rubis, ont été prodigués à des insectes invisibles. Les uns marchent le front orné de panaches, sonnent la trompette, et semblent armés pour la guerre; d'autres portent des turbans enrichis de pierreries, leurs robes sont étincelantes d'azur et de pourpre. Ils ont de longues lunettes, comme pour découvrir leurs ennemis, et des boucliers pour s'en défendre. Il en est qui exhalent le parfum des fleurs, et sont créés pour le plaisir. On les voit avec des ailes de gaze, des casques d'argent, des épieux noirs comme le fer, effleurer les ondes, voltiger dans les prairies, s'élancer dans les airs. Ici on exerce tous les arts, toutes les industries; c'est un petit monde qui a ses tisserands, ses maçons, ses architectes. On y reconnalt les lois de l'équilibre et les formes savantes de la géométrie. Je vois parmi eux des voyageurs qui vont à la découverte, des pilotes qui, sans voile et sans boussole, voguent sur une goutte d'eau à la conquête d'un nouveau monde. Quel est le sage qui les éclaire, le savant qui les instruit, le héros qui les guide et les asservit ? Quel est le Lycurgue qui a dicté des lois si parfaites? Quel est l'Orphée qui leur enseigna les règles de l'harmonie? Ont-ils des conquérants qui les égorgent, et qu'ils couvrent de gloire? Se croient-ils les maîtres de l'univers, parce qu'ils rampent sur sa surface? Contemplons ces petits ménages, ces royaumes, ces républiques, ces hordes semblables à celles des Arabes : une mite va occuper cette pensée qui calcule la grandeur des astres, émouvoir ce cœur que rien ne peut remplir, étonner cette admiration accoutumée aux prodiges. Voici un insecte impur qui s'enveloppe d'un tissu de soie, et se repose sous une tente; celui-ci s'empare d'une bulle d'air, s'enfonce au fond des eaux,│reau. Objet d'horreur ou d'adoration, les hommes et se promène dans son palais aérien. Il en est un ont pour lui une haine implacable, ou tombent deautre qui se forme, avec un coquillage, une grotte vant son génie. Le mensonge l'appelle, la prudence flottante, qu'il couronne d'une tige de verdure. Une le réclame, l'envie le porte dans son cœur, et l'éloaraignée tend sous le feuillage des filets d'or, de quence à son caducée. Aux enfers, il arme le fouet pourpre et d'azur, dont les reflets sont semblables des Furies; au ciel, l'éternité en fait son symbole. à ceux de l'arc-en-ciel. Mais quelle flamme bril- I possède encore l'art de séduire l'innocence. Ses lante se répand tout à coup au milieu de cette mul-regards enchantent les oiseaux dans les airs; et, titude d'atomes animés? Ces richesses sont effacées sous la fougère de la crèche, la brebis lui abandonné par de nouvelles richesses. Voici des insectes à qui l'aurore semble avoir prodigué ses rayons les plus

Ses mouvements diffèrent de ceux de tous les autres animaux : on ne saurait dire où gît le principe de ses déplacements; car il n'a ni nageoires, ni pieds, ni ailes; et cependant il fuit comme une ombre, il s'évanouit magiquement; il reparaît, disparaît encore, semblable à une petite fumée d'azur, ou aut éclairs d'un glaive dans les ténèbres. Tantôt il se forme en cercle, et darde une langue de feu; tantôt, debout sur l'extrémité de sa queue, il marche dans une attitude perpendiculaire, comme par enchantement. Il se jette en orbe, monte et s'abaisse en spirale, roule ses anneaux comme une onde, eircule sur les branches des arbres, glisse sous l'herbe des prairies ou sur la surface des eaux. Le labyrinthe avait moins de sinuosités que les méandres tracés par ce reptile. Ses couleurs sont aussi peu déterminées que sa marche; elles changent à tous les aspects de la lumière; et, comme ses mouvements, elles ont le faux brillant et les variétés trom│peuses de la séduction.

Plus étonnant encore dans le reste de ses mœurs, il sait, ainsi qu'un homme souillé de meurtre, jeter à l'écart sa robe tachée de sang, dans la crainte d'être reconnu. Par une étrange faculté, il peut faire rentrer dans son sein les petits monstres que l'amour en à fait sortir. Il sommeille des mois entiers, fréquente les tombeaux, habite des lieux inconnus, compose des poisons qui glacent, brûlent ou tachent le corps de sa victime des couleurs dont il est lui-même marqué. Là, il lève deux têtes menaçantes; ici, il fait entendre une sonnette; il siffle comme un aigle de montagne, mugit comme un tau

son lait.

CHATEAUBRIAND, Génie du christianisme.

LE SERPENT DEVIN.

étouffée sous les efforts multipliés de ce monstrueux reptile.

Si le volume de l'animal expiré est trop considé

grande ouverture de sa gueule, la facilité qu'il a de l'agrandir et l'extension dont presque tout son corps est susceptible, il continue de presser sa proie mise à mort; il en écrase les parties les plus compactes; et, lorsqu'il ne peut point les briser avec facilité, il l'entraîne, en se roulant avec elle, auprès d'un gros arbre dont il renferme le tronc dans ses replis; il place sa proie entre l'arbre et son corps; il les environne l'une et l'autre de ses nœuds vigoureux; et, se servant de sa tige noueuse comme d'une sorte de levier, il redouble ses efforts, et parvient bientôt à comprimer en tous sens, et à moudre, pour ainsi dire, le corps de l'animal qu'il a immolé.

C'est surtout dans les déserts brûlants de l'Afri-rable pour que le devin puisse l'avaler, malgré la que qu'exerçant une domination moins troublée, le serpent devin parvient à une longueur plus considé rable. On frémit lorsqu'on lit, dans les relations des voyageurs qui ont pénétré dans l'intérieur de ⚫ cette partie du monde, la manière dont cet énorme serpent s'avance au milieu des herbes hautes et des broussailles, ayant quelquefois plus de dix-huit pouces de diamètre, et semblable à une longue et grosse poutre qu'on remuerait avec vitesse. On aperçoit de loin, par le mouvement des plantes qui s'inclinent sur son passage, l'espèce de sillon que tracent les diverses ondulations de son corps; on voit fuir devant lui les troupeaux de gazelles et d'autres animaux dont il fait sa proie; et le seul parti qui reste à prendre dans ces solitudes immenses, pour se garantir de sa dent meurtrière et de sa force funeste, est de mettre le feu aux herbes déjà à demi brûlées par l'ardeur du soleil. Le fer ne suffit pas contre ce dangereux serpent, lorsqu'il est parvenu à toute sa longueur et surtout lorsqu'il est irrité par la faim. On ne peut éviter la mort qu'en couvrant un pays immense de flammes qui se propagent avec vitesse au milieu de végétaux presque entièrement desséchés, en excitant ainsi un vaste incendie, et en élevant, pour ainsi dire, un rempart de feu contre la poursuite de cet énorme animal.

Il ne peut être en effet arrêté ni par les fleuves qu'il rencontre, ni par les bras de mer dont il fréquente souvent les bords; car il nage avec facilité, même au milieu des ondes agitées; et c'est en vain, d'un autre côté, qu'on voudrait chercher un abri sur de grands arbres; il se roule avec promptitude jusqu'à l'extrémité des cimes les plus hautes; aussi vit-il souvent dans les forêts. Enveloppant les tiges dans les divers replis de son corps, il se fixe sur les arbres à différentes hauteurs, et y demeure souvent longtemps en embuscade, attendant patiemment le passage de sa proie. Lorsque, pour l'atteindre, ou pour sauter sur un arbre voisin, il a une trop grande distance à franchir il entortille sa queue autour d'une branche, et suspendant son corps allongé à cette espèce d'anneau, se balançant, et tout d'un coup s'élançant avec force, il se jette comme un trait sur sa victime, ou contre l'arbre auquel il veut s'attacher.

[ocr errors]

Lorsqu'il aperçoit un ennemi dangereux, ce n'est point avec ses dents qu'il commence un combat qui alors serait trop désavantageux pour lui; mais il❘ se précipite avec tant de rapidité sur sa malheureuse victime, l'enveloppe dans tant de contours, la serre avec tant de force, fait craquer ses os avec tant de violence, que, ne pouvant ni s'échapper, ni user de ses armes, et réduite à pousser de vains mais d'affreux hurlements, elle est bientôt

Lorsqu'il a donné ainsi à sa proie toute la souplesse qui lui est nécessaire, il l'allonge en continuant de la presser, et diminue d'autant sa grosseur; il l'imbibe de sa salive, ou d'une sorte d'humeur analogue qu'il répand en abondance. Il pétrit, pour ainsi dire, à l'aide de ses replis, cette masse devenue informe, ce corps qui n'est plus qu'un composé confus de chairs ramollies et d'os concassés. C'est alors qu'il l'avale en la prenant par la tête, en l'attirant à lui, et en l'entraînant dans son ventre par de fortes aspirations plusieurs fois répétées; mais, malgré cette préparation, sa proie est quelquefois si volu mineuse qu'il ne peut l'engloutir qu'à demi; il faut qu'il ait digéré, au moins en partie, la portion qu'il a déjà fait entrer dans son corps pour pouvoir y faire pénétrer l'autre; et l'on a souvent vu le serpent devin, la gueule horriblement ouverte et remplie d'une proie à demi dévorée, étendu à terre, et dans une sorte d'inertie qui accompagne presque toujours sa digestion. LACEPEDE. Ovipares.

LE LÉZARD GRIS.

Le lézard gris paraît être le plus donx, le plus innocent et l'un des plus utiles des lézards. Ce joli petit animal, si commun dans le pays où nous écrivons, et avec lequel tant de personnes ont joué dans leur enfance, n'a pas reçu de la nature un vêtement aussi éclatant que plusieurs autres quadrupèdes ovipares; mais elle lui a donné une parure élégante: sa petite taille est svelte, son mouvement agile, sa course si prompte qu'il échappe à l'œil aussi rapidement que l'oiseau qui vole. Il aime à recevoir la chaleur du soleil; ayant besoin d'une température douce, il cherche les abris; et, lorsque, dans un beau jour de printemps, une lumière pure éclaire vivement un gazon en pente, ou une muraille qui augmente la chaleur en la réfléchissant, on le voit s'étendre sur ce mur, ou sur l'herbe nouvelle, avec une espèce de volupté. Il se pénètre avec délices de

cette chaleur bienfaisante, il marque son plaisir par de molles ondulations de sa queue déliée; il fait briller ses yeux vifs et animés; il se précipite comme un trait pour saisir une petite proie, ou pour trouver un abri plus commode. Bien loin de s'enfuir à l'approche de l'homme, il paraît le regarder avec complaisance; mais au moindre bruit qui l'effraye, à la chute seule d'une feuille, il se roule, tombe, et demeure pendant quelques instants comme étourdi par sa chute; ou bien il s'élance, disparaît, se trouble, revient, se cache de nouveau, reparaît encore, et décrit en un instant plusieurs circuits tortueux que l'œil a de la peine à suivre, se replie plusieurs fois sur lui-même, et se retire enfin dans quelque asile, jusqu'à ce que sa crainte soit dissipée.

LE DRAGON.

LACÉPEDE.

A ce nom de dragon, l'on conçoit toujours une idée extraordinaire. La mémoire rappelle, avec promptitude, tout ce qu'on a lu, tout ce qu'on a oui dire sur ce monstre fameux; l'imagination s'enflamme par le souvenir des grandes images qu'il a présentées au génie poétique : une sorte de frayeur saisit les cœurs timides, et la curiosité s'empare de tous les esprits. Les anciens, les modernes ont tous parlé du dragon: consacré par la religion des premiers peuples, devenu l'objet de leur mythologie, ministre des volontés des dieux, gardien de leurs tresors, servant leur amour et leur haine, soumis au pouvoir des enchanteurs, vaincu par les demidieux du temps antique, entrant même dans les allégories sacrées du plus saint des recueils, il a été chanté par les premiers poëtes, et représenté avec toutes les couleurs qui pouvaient en embellir l'image principal ornement des fables pieuses, imaginées dans des temps plus récents; dompté par les héros, et même par les jeunes héroïnes qui combattaient pour une loi divine; adopté par une seconde mythologie qui plaça les fées sur le trône des anciennes enchanteresses; devenu l'emblème des actions éclatantes des vaillants chevaliers, il a vivifié la poésie moderne ainsi qu'il avait animé l'an

cienne.

Proclamé par la voix sévère de l'histoire, partout décrit, partout célébré, partout redouté, montré sous toutes les formes, toujours revêtu de la plus grande puissance, immolant ses victimes par son regard, se transportant au milieu des nuées avec la rapidité de l'éclair, frappant comme la foudre, dissipant l'obscurité des nuits par l'éclat de ses yeux etincelants; réunissant l'agilité de l'aigle, la force du lion, la grandeur du serpent, présentant même quelquefois une figure humaine, doué d'une intelligence presque divine, et adoré de nos jours dans de grands empires de l'Orient, le dragon a été tout, il s'est trouvé partout, hors dans la nature.

Il vivra cependant toujours, cet être fabuleux,

|

dans les heureux produits d'une imagination féconde. Il embellira longtemps les images hardies d'une poésie enchanteresse; le récit de sa puissance merveilleuse charmera les loisirs de ceux qui ont besoin d'être quelquefois transportés au milieu des chimères, et qui désirent de voir la vérité parée des ornements d'une fiction agréable. Mais, à la place de cet être fantastique, que trouvons-nous dans la réalité? Un animal aussi petit que faible, un lézard innocent et tranquille, un des moins armés de tous les quadrupèdes ovipares, et qui, par une conformation particulière, a la facilité de se transporter avec agilité, et de voltiger de branche en branche dans les forêts qu'il habite. Les espèces d'ailes dont il a été pourvu, son corps de lézard, et tous ses rapports avec les serpents, ont fait trouver quelque sorte de ressemblance éloignée entre ce petit animal et le monstre imaginaire dont nous avons parlé, et lui ont fait donner le nom de dragon par les naturalistes.

LE REQUIN.

LE MÊME.

Ce formidable squale parvient jusqu'à une longueur de plus de dix mètres (trente pieds, ou environ); il pèse quelquefois près de cinquante myriagrammes (mille livres), et il s'en faut de beaucoup que l'on ait prouvé que l'on doit regarder comme exagérée l'assertion de ceux qui ont prétendu qu'on avait pêché un requin du poids de plus de cent quatre-vingt-dix myriagrammes (quatre mille livres).

Mais la grandeur n'est pas son seul attribut; il a reçu aussi la force et des armes meurtrières; et, féroce autant que vorace, impétueux dans ses mouvements, avide de sang, insatiable de proie, il est véritablement le tigre de la mer. Recherchant sans crainte tout ennemi, poursuivant avec plus d'obstination, attaquant avec plus de rage, combattant avec plus d'acharnement que les autres habitants des eaux; plus dangereux que plusieurs cétacés, qui presque toujours sont moins puissants que lui; inspirant même plus d'effroi que les baleines, qui, moins bien armées et douées d'appétits bien différents, ne provoquent presque jamais ni l'homme, ni les grands animaux; rapide dans sa course, répandu sous tous les climats; ayant envahi, pour ainsi dire, toutes les mers, paraissant souvent au milieu des tempêtes, aperçu facilement par l'éclat phosphorique dont il brille, au milieu des ombres des nuits les plus orageuses; menaçant de sa gueule énorme et dévorante les infortunés navigateurs exposés aux horreurs du naufrage, leur fermant toute voie de salut, leur montrant, en quelque sorte, leur tombe ouverte, et plaçant sous leurs yeux le signal de la destruction. il n'est pas surprenant qu'il ait reçu le nom sinistre qu'il porte, et qui, réveillant tant d'idées lugubres, rappelle surtout la mort dont il

est le ministre. Requin est, en effet, une corruption de requiem, qui désigne depuis longtemps, en Europe, la mort et le repos éternel, et qui a dû être souvent, pour des passagers effrayés, l'expression de leur consternation, à la vue d'un squale de plus de trente pieds de longueur et des victimes déchirées ou ensanglantées par ce tyran des ondes. Terrible encore lorsqu'on a pu parvenir à l'accabler de chaînes, se débattant avec violence au milieu de ses liens; conservant une grande puissance lors même qu'il est déjà tout baigné dans son sang, et pouvant, d'un seul coup de sa queue, répandre le ravage autour de lui à l'instant même où il est près d'expirer, n'est-il pas le plus formidable de tous les animaux auxquels la nature n'a pas départi des armes empoisonnées? Le tigre le plus furieux, au milieu des sables brûlants; le crocodile le plus fort, sur les rivages équatoriaux ; le serpent le plus démesuré, dans les solitudes africaines, doivent-ils inspirer autant d'effroi qu'un énorme requin au milieu des vagues agitées?

LACEPEDE. Histoire naturelle des poissons, t. Ier.

JÉRUSALEM.

1

Jérusalem! La ville, rétrécie du côté de Sion, se sera sans doute agrandie du côté du nord pour embrasser, dans son enceinte, les deux sites qui font sa honte et sa gloire : le site du supplice du Juste, et celui de la résurrection de l'Homme-Dieu!

Voilà la ville du haut de la montagne des Oli viers! Elle n'a pas d'horizon derrière elle, ni du côté de l'occident, ni du côté du nord. La ligne de ses murs et de ses tours, les aiguilles de ses nombreux minarets, les cintres de ses dômes éclatants, se découpent à nu et crùment sur le bleu d'un ciel d'Orient; et la ville, ainsi portée et présentée sur son plateau large et élevé, semble briller encore de toute l'antique splendeur de ses prophéties, ou n'attendre qu'une parole pour sortir tout éblouissante de ses dix-sept ruines successives, et devenir cette Jérusalem nouvelle qui sort du sein du désert, brillante de clarté!

WESTMINSTER '.

LAMARTINE.

Le catholicisme avait bâti cette grande église, pour une grande religion; pour que tout un peuple y vint entendre la parole de Dieu, chantée de toute la force de la voix humaine; pour que l'on sentit sa petitesse dans le temple de Dieu; pour que le cantique immense des générations rassemblées sous les voûtes ne fit pas éclater l'édifice. Le protestantisme, en s'emparant de Westminster, l'a retreci pour sa religion de salon, pour ses chants de femmes et d'enfants de chœur, pour ses prédications devant un petit auditoire, pour cette poignée de fidèles auxquels le ministre lit la prière, d'une voix grave et posée, sans accent, sans vibration. On a coupé par la moitié la nef du vieux temple, et on y a fait une enceinte en planches avec des siéges et des ban

Au delà des deux mosquées et de l'emplacement du temple, Jérusalem tout entière s'étend et jaillit, pour ainsi dire, devant nous sans que l'œil puisse en perdre un toit ou une pierre, et comme le plan d'une ville en relief que l'artiste étalerait sur une table. Cette ville, non pas comme on nous l'a représentée, amas informe et confus de ruines et de cendres sur lesquelles sont jetées quelques chaumières d'Arabes, ou plantées quelques tentes de Bédouins; non pas comme Athènes, chaos de poussière et de murs écroulés où le voyageur cherche en vain l'ombre des édifices, la trace des rues, la vision d'une ville; mais ville brillante de lumière et de couleur!quettes, pour une centaine de fidèles; l'autre moitié - présentant noblement aux regards ses murs intacts et crénelés, sa mosquée bleue avec ses colonnades blanches, ses milliers de dômes resplendissants sur lesquels la lumière d'un soleil d'automne tombe et rejaillit en vapeur éblouissante; les façades de ses maisons teintes, par le temps et par les étés, de la couleur jaune et dorée des édifices de Pæstum ou de Rome; ses vieilles tours, gardiennes de ses murailles, auxquelles il ne manque ni une pierre, ni une meurtrière, ni un créneau; et enfin, au milieu de cet océan de maisons et de cette nuée de petits dômes qui les recouvrent, un dôme noir et surbaissé, plus large que les autres, dominé par un autre dome blanc : c'est le Saint-Sépulcre et le Calvaire : ils sont confondus et comme noyés, de là, dans l'immense dédale de dômes, d'édifices et de rues qui les environnent, et il est difficile de se rendre compte ainsi de l'emplacement du Calvaire et de celui du sépulcre, qui, selon les idées que nous donne l'Évangile, devraient se trouver sur une colline écartée, hors des murs, et non dans le centre de

est vide; la terre consacrée commence à cette misérable clôture de menuiserie, qui a été faite pour la pourriture, tandis que les murs, qui ont été faits pour l'éternité, et par la main des générations, ne sont ni sacrés, ni profanes, si ce n'est que des rangées de tombeaux en font un objet de veneration pour le voyageur. Le protestantisme n'avait pas la voix assez forte pour remplir ces grandes allées, ni pour monter jusqu'à ces voûtes; il a fallu un edifice mutilé à une religion mutilée; il a fallu moins d'espace à la raison qu'à la foi.

Les tombeaux de Westminster ne montrent pas moins vivement la lutte des deux religions dans la même église. C'est le catholicisme qui l'a bâtie; c'est encore le catholicisme qui déploie sur les tombeaux le plus grand caractère. Je n'entends point parler ici de l'art; il y a des coups de ciseau plus habiles dans les monuments du protestantisme; il

4 Abbaye célèbre, en Angleterre, pour ses monuments fundbres.

n'y a dans ceux-là que la foi, souvent sans art; mais on y sent une force de main-d'œuvre et je ne sais quelle certitude d'une autre vie qui remuent profondément. Ces effigies des rois de la race pormande, couchées tout armées sur la pierre de la tombe, les mains jointes, toutes dans la même attitude, toutes conçues par la même idée, quoique les siècles aient porté quelques perfectionnements dans l'exécution; ces femmes, ces enfants, ces fidèles serviteurs, qui sont rangés autour du tombeau, à genoux, les mains jointes comme celles du mort, qui ne pleurent point, mais qui prient, parce que les larmes passent, et non la foi, et que l'homme peut plutôt prier que pleurer toujours; tous ces personnages qui représentent le drame de la mort, mais qui ne le jouent pas, comme cela se voit dans certains monuments du protestantisme; toute cette naïveté d'un art dont les maîtres n'étaient que de simples ouvriers, exerce un singulier empire sur l'imagination et le cœur. Ce sont bien là des morts qu'on a voulu faire; il y a bien dans ces membres la roideur du cadavre, rien ne bat plus sous cette armure, ces yeux sont serrés pour ne plus se rouvrir; le tombeau est scellé, tout est fini; mais l'artiste a mis dans ces mains jointes et tendues vers le ciel une pensée, la pensée qu'avait le défunt avant de rendre son âme à Dieu, celle qui inspirait l'artiste et le dédommageait souvent de ses travaux, celle qu'avaient les serviteurs et les enfants du mort, et le peuple qui avait suivi ses funérailles, et les prêtres qui répandaient de l'eau bénite sur ces restes, la pensée que Dieu se laisse désarmer par la priere.

L'OURAGAN DANS LE DÉSERT.

NISARD.

Figurez-vous des plages sablonneuses, labourées par les pluies de l'hiver, brûlées par les feux de Feté, d'un aspect rougeâtre et d'une nudité affreuse. Quelquefois seulement des nopals épineux couvrent une petite partie de l'arène sans bornes; le vent traverse ces forêts armées sans pouvoir courber leurs inflexibles rameaux; çà et là des débris de vaisseaux pétrifiés étonnent les regards, et des monceaux de pierres, élevés de loin en loin, servent à marquer le chemin aux caravanes.

Nous marchâmes tout un jour dans cette plaine. Nous franchimes une autre chaîne de montagnes et nous découvrîmes une seconde plaine, plus vaste et plus désolée que la première.

La nuit vint. La lune éclairait le désert vide; on n'apercevait, sur une solitude sans ombre, que l'ombre immobile de notre dromadaire, et l'ombre errante de quelques troupeaux de gazelles. Le silence n'était interrompu que par le bruit des sangliers qui broyaient des racines fletries; ou par le chant du grillon qui demandait en vain, dans ce sable inculte, le foyer du laboureur.

Nous reprimes notre route avant le retour de la lumière. Le soleil se leva dépouillé de ses rayons et semblable à une meule de fer rougie. La chaleur augmentait à chaque instant. Vers la troisième heure du jour, le dromadaire commença à donner des signes d'inquiétude; il enfonçait ses naseaux dans le sable et soufflait avec violence. Par intervalle l'autruche poussait des sons lugubres; les serpents et les caméléons se hâtaient de rentrer dans le sein de la terre. Je vis le guide regarder le ciel et pâlir. Je lui demandai la cause de son trouble, « Je crains, dit-il, le vent du midi : sauvons-nous ! » Tournant le visage au nord, il se mit à fuir de toute la vitesse de son dromadaire. Je le suivis : l'horrible vent qui nous menaçait était plus léger que nous.

Soudain, de l'extrémité du désert accourt un tourbillon. Le sol, emporté devant nous, manque à nos pas, tandis que d'autres colonnes de sable, enlevées derrière nous, roulent sur nos pas. Égaré dans un labyrinthe de tertres mouvants et semblables entre eux, le guide déclare qu'il ne reconnaît plus sa route; pour dernière calamité, dans la rapidité de notre course, nos outres remplies d'eau s'écoulent. Haletants, dévorés d'une soif ardente, retenant fortement notre haleine dans la crainte d'aspirer des flammes, la sueur ruisselle à grands flots de nos membres abattus. L'ouragan redouble de rage; il creuse jusqu'aux antiques fondements de la terre, et répand dans le ciel les entrailles brûlantes du désert. Enseveli dans une atmosphère de sable embrasé, le guide échappe à ma vue. Tout à coup j'entends son cri, je vole à sa voix : l'infortuné, foudroyé par le vent de feu, était tombé mort sur l'arène et son dromadaire avait disparu.

En vain j'essayai de ranimer mon malheureux compagnon; mes efforts furent inutiles. Je m'assis à quelque distance, tenant mon cheval en main, et n'espérant plus que dans celui qui changea les feux de la fournaise d'Azarias en un vent frais et une douce rosée. Un acacia qui croissait dans ce lieu me servit d'abri. Derrière ce frèle rempart j'attendis la fin de la tempête. Vers le soir le vend du nord reprit cours; l'air perdit sa chaleur cuisante; les sables tombèrent du ciel et me laissèrent voir les étoiles, inutiles flambeaux qui me montrerent seulement l'immensité du désert.

CHATEAUBRIAND. Les Martyrs.

JÉSUS-CHRIST PEINT PAR RAPHAEL.

La tête du Sauveur des hommes paraissait sortir des ténèbres que figurait un fond noir... Une auréole de rayons étincelait vivement autour de sa chevelure, d'où cette lumière semblait sortir. Sous le front, sous les chairs, il y avait une éloquente conviction qui s'échappait de chaque trait par de pénétrants effluves... Ses lèvres vermeilles venaient de faire entendre la parole de vie, et le spectateur en cher

« PrécédentContinuer »