Images de page
PDF
ePub

L'œil enchanté sans doute avait séduit l'oreille.
Et qu'avait-il besoin de ce titre emprunté ?
Lui seul réunit tout, force, grâce, fierté;

Il habite, à son choix, les airs, l'onde et la terre;
Modéré dans la paix, valeureux dans la guerre,
Terrible, impétueux, il fond sur ses rivaux;
Leur choc trouble les airs, il agite les eaux :
Tel Antoine jadis, sur les plaines de l'onde,
Disputait Cléopâtre et l'empire du monde.
DELILLE. Les Trois Règnes.

LE COLIBRI.

Enfin, pour achever ces nombreux parallèles,
Avec la lourde autruche et ses mesquines ailes,
Comparez cet oiseau qui, moins vu qu'entendu,
Ainsi qu'un trait agile à nos yeux est perdu;
Du peuple ailé des airs brillante miniature,
Où le ciel des couleurs épuisa la parure;

Et, pour tout dire enfin, le charmant colibri
Qui, de fleurs, de rosée et de vapeurs nourri,
Jamais sur chaque tige un instant ne demeure,
Glisse et ne pose pas, suce moins qu'il n'effleure :
Phénomène léger, chef-d'œuvre aérien,

De qui la grâce est tout, et le corps presque rien ;
Vif, prompt, gai, de la vie aimable et frêle esquisse,
Et des dieux, s'ils en ont, le plus charmant caprice.
LE MÊME. Ibid., ch. VII.

LES ABEILLES.

Mais quel bourdonnement a frappé mes oreilles.
Ah! je les reconnais, mes aimables abeilles.
Cent fois on a chanté ce peuple industrieux;
Mais comment, sans transport, voir ces filles des cieux ?
Quel art båtit leurs murs, quel travail peut suffire

A ces trésors de miel, à ces amas de cire?
Je ne vous dirai point leurs combats éclatants,

Si la mort est donnée à l'un des combattants,
Si ce peuple est régi par une seule reine,
S'il peut d'un ver commun créer sa souveraine,
Si leur cité contient trois peuples à la fois,
Époux, reine, ouvrière, hôtes des mêmes toits;
D'autres décideront mais leur noble industrie,
Mais ces hardis calculs de leur géométrie,
Leurs fonds pyramidaux savamment compassés,
En six angles égaux leurs bâtiments tracés,
Cette forme, élégante autant que régulière,
Qui ménage l'espace autant que la matière,
Cette reine étonnante en sa fécondité,

Qui seule tous les ans fait sa postérité,

Et les profonds respects de son peuple qui l'aime,
Sont toujours un prodige, et non pas un problème :
Aussi de nos savants le regard curieux
Souvent pour une ruche abandonne les cieux.
Les Geer, les Réaumur ont décrit ces merveilles,
Et le chantre d'Auguste a chanté les abeilles.

LE VER LUISANT.

Le mtun. Ibid.

N'oublions point ces vers dont les races brillantes Montrent sur l'Océan des lumières flottantes, Et sous chaque aviron qui fend les flots mouvants, Offrent aux nautoniers des phosphores vivants.

Les bois même, les bois, quand la nuit tend ses voiles,
Offrent aux yeux surpris de volantes étoiles,
Qui, traçant dans la nuit de lumineux sillous,
Partent de chaque feuille en brillants tourbillons.
Les airs sont étonnés de leur clarté nouvelle,
La forêt s'illumine, et la nuit étincelle :
Ils s'arrêtent; soudain meurt ce rapide jour,
Et l'ombre et la clarté renaissent tour à tour.
LE MAME. Ibid.

LES FOURMIS.

Souvent aussi l'instinct varie avec les lieux.
Comparez ces fourmis, moins dignes de nos yeux,
Méconnaissant les arts de la paix, de la guerre,
Durant l'hiver entier sommeillant sous la terre,
Mais qui rodent sans cesse, et d'un amas de grains
Remplissent à l'envi leurs greniers souterrains,
A ces nobles fourmis dont se vante l'Afrique,
En trois classes rangeant leur sage république ;
Peuple heureux d'ouvriers, de nobles, de soldats.
Que de grands monuments dans leurs petits Etats!
De leurs toits dont dix pieds nous donnent la mesure,
Les yeux aiment à voir la ferme architecture;
Sur le cône aplati le buffle quelquefois
Guette pour l'éviter le fier tyran des bois.
Au dedans quelle heureuse et savante industrie
De leurs compartiments règle la symétrie,
Aligne leur cité, dessine leurs maisons,
Leurs escaliers tournants et leurs solides ponts,
Qui partout présentant de faciles passages,
Pour alléger leur peine abrégent leurs voyages!
Au centre, tout entière à la postérité,

Et mêlant la grandeur à la captivité,
Leur noble souveraine, en une paix profonde,
Ne quitte point sa couche incessamment féconde,
Et par son ventre énorme et son énorme poids
Surpasse ses sujets un million de fois.
Quatre-vingt mille enfants la connaissent pour mère;
Au fond de son palais, auguste sanctuaire,
Des serviteurs choisis entre tous ses sujets
Dans sa chambre royale ont seuls un libre accès.
Leur foule emplit ses murs, et par une humble porte
Déposent en leur lieu les œufs qu'elle transporte.
L'ordre règne partout; épars de tout côté
Leurs riches magasins entourent la cité;
Ailleurs sont élevés les enfants de la reine;
La cour habite enfin près de sa souveraine;
Le voyageur, de loin découvrant leurs travaux,
D'une heureuse peuplade a cru voir les hameaux.
O Nil! ne vante plus ces masses colossales,
Des sommets abyssins orgueilleuses rivales ;
L'insecte constructeur est plus grand à mes yeux
Que l'homme amoncelant ces rocs audacieux;
Et quand une fourmi båtit des pyramides,
Nos arts semblent bornés, et nos travaux timides.
LE MENE. Ibid.

LE SERPENT.

Habitant des forêts, et des monts et des champs, Le serpent, à son tour, a des droits à mes chants. Par ses beaux mouvements et sa riche parure, Cher à la poésie ainsi qu'à la peinture,

Le serpent a ses mœurs, ses chagrins, ses beaux jours, | Paresseux en hiver, plein d'ardeur au printemps;

Son port audacieux, ses habiles détours;

Mais il fuit nos regards : dans le sein des broussailles,
Dans les fentes des rocs on le creux des murailles,
Il semble qu'affligé de son triste renom,
Il cache ses remords, sa honte et son poison.

Je n'en décrirai point les nombreuses espèces,
Différentes d'aspect, de penchants et d'adresses :
Je compterais plutôt les sables des déserts,
Les feuillages des bois et les vagues des mers.
Que les variétés de sa race effrayante.

Il court, nage, bondit, gravit, vole ou serpente;
Tantôt, au bruit lointain des agrestes pipeaux,
Caché dans la moisson, il attend les troupeaux,
Et des plis écaillés qu'avec force il déploie
Saisit, étreint, étouffe, et dévore sa proie.
Le chevreau, la brebis, souvent un bœuf entier,
Tout à coup engloutis dans son large gosier,
Se débattent en vain dans sa gueule béante.
Mais bientôt, expiant sa fureur dévorante,
Il s'endort sous le poids de l'énorme festin;
Et, livrant au chasseur un facile butin,
Sous la lourde massue ou le fer du sauvage
Tombe gonflé de sang et gorgé de carnage.
Tantôt, au fond des bois, à l'entour d'un vieux tronc,
Il enlace sa queue et redresse son front.
Ailleurs, au baut d'un arbre où sa race fourmille,
Superbe, il réunit sa hideuse famille.
L'œil voit avec effroi ces milliers d'animaux
Envelopper la tige, entourer les rameaux ;
On croit voir les cheveux de l'horrible Mégère,
Ou les crins hérissés de l'aboyant Cerbère
Qui défend jour et nuit le trône de Pluton,
Ou les serpents tressés dont se coiffe Alecton.

Me préserve le Ciel d'aller dans le bocage Respirer la fraicheur ou dormir sous Tombrage, Lorsqu'en un jour d'été, de son obscur séjour Il sort brûlant de soif, effrayant Talentour! Sur la cime des bois, sur les monts, dans la plaine, Les animaux tremblants l'évitent avec peine : Contre eux il a du Ciel reçu ses yeux ardents, Son étouffante haleine et ses terribles dents. Telle est de son poison la violence extrême, Souvent par sa piqûre il se détruit lui-même; Son venin dans la plaie à peine s'est glissé, La chair tombe en lambeaux, et le sang est glacé. Pour son rapide élan il n'est point de distance; Il part comme l'éclair, atteint comme la lance. Quels contrastes frappants il présente à nos yeux! Reptile sur la terre, étoile dans les cieux, Ici nous déguisant son approche mortelle, Ailleurs faisant crier sa bruyante crécelle, Couvé dans sa coquille ou formé tout vivant, Assaillant furieux, tacticien savant, Sinon astucieux, Polypheme vorace, Victime quelquefois et bourreau de sa race; Formidable aux oiseaux, à l'hôte des forêts, Aux reptiles criards qui peuplent les marais! Du tigre affreux lui-même affrontant la colère; Redoutable poison, remède salutaire ;

↑ Sinon, Grec qui satpar sa fourberie engager les Troyens à faire entrer eux-mêmes dans leur ville le cheval de bois qui recélait dans son sein les principaux guerriers grecs.

Favori d'Esculape, et l'emblème du temps;
Ancien dominateur des forêts d'Amérique,
Détesté dans l'Enrope, adoré dans l'Afrique;
De l'Indien, pour lui toujours hospitalier,
Convive caressant, et démon familier;
Prudent et courageux, vigoureux et flexible,
Célébré par la fable, el maudit par la Bible;
Dans les vers de Milton, organe de Saran,
Il ravit l'innocence à l'épouse d'Adam;
Avec elle il perdit l'homme, hélas ! trop fragile;
Par lui Laocoon 3 est puni dans Virgile,

Et son supplice encore, objet de nos douleurs,
Sur un marbre souffrant nous fait verser des pleurs.
DELILLE. Les Trois Regnes.

LES COQUILLAGES.

Voyez au fond des eaux ces nombreux coquillages;
La terre a moins de fruits, les bois moins de feuillages.
Tout ce que le soleil prodigne de couleurs,
Les sept rayons d'Iris, l'émail brillant des fleurs,
Les jets de la lumière et les taches de l'ombre,
S'épuisent pour former leurs nnances sans nombre.
Dans leurs contours divers quelle variété !
Chacun d'eux à sa grâce et son utilité.
Volates, chapiteaux, fuseaux, navette, aiguilles,
Quelles formes n'ont pas leurs nombreuses familles!
Partout le grand Artiste a varié son plan.

Ici c'est un étui, là se montre un cadran;
L'un en casque brillant est sorti de son moule,
L'autre en vis tortueuse élégamment se roule,
L'autre de l'araignée a la forme et le nom;
Un autre imite aux yeux la trompe ou le clairon;
Là c'est une massue, ailleurs une tiare;
Celui-ci d'un long peigne offre l'aspect bizarre;
L'autre en boîte de nacre est joint à son rocher;
Cet autre est un vaisseau dont le petit nocher,
Son instinct pour boussole, et son art pour étoile,
Est lui-même le mât, le pilote et la voile.
Un autre, moins heureux, sous un toit emprunté,
Est contraint de cacher sa triste nudité,
Et contre ses riveaux dispute une coquille.
Observons des oursins l'épineuse famille,
Qui, de longs javelots s'armant de toutes parts,
Chemine, au lieu de pieds, sur des milliers de dards,
Et de ses aiguillons dirigeant la piqûre,
Atteint ses ennemis, et saisit sa påture.

Le Ntue. Ibid.

LES MONSTRES MARINS ET LEURS COMBAT).

Que de piéges adroits! que de savants combats! Une guerre éternelle arme ce peuple immense. Les uns ont leurs épieux, et les autres leur lance; L'un, d'une enore cachée en de secrets vaisseaux, Noircit l'onde, s'échappe, et s'enfuit sous les excx; D'un large tablier qu'avec force il déploie, L'autre enveloppe, étouffe, et dévore sa proie. Quel nocher n'a connu ce combat si fameux` Qui trouble au loin d'effroi tout l'empire écumeux?

Polyphème, célèbre oyclupe, d'une grandeur démesurée et d'a voracité proportionnée à sa taille.

3 Virgile, dans le 2e livre de l'Enéïde, représente Laocoon, prére de Neptume, et ses deux enfants, dévorés par deux serpents.

Ces fiers dominateurs de la liquide plaine,
Le terrible espadon et l'énorme baleine:
Voyez les s'attaquer, se heurter à la fois,
L'un armé de sa scie et l'autre de son poids.
L'un. agile et fougueux, rapidement s'élance,
Sur son lourd ennemi fond avec violence;
L'autre, avec pesanteur roulant son vaste corps,
De sa queue effroyable arme tous les ressorts;
Et malheur à celui que, d'un coup redoutable,
Frapperait en fureur ce fouet épouvantable :
Son ennemi l'esquive, et, sautant dans les airs,
Tombe plus acharné sur le géant des mers,
Et de son arme affrettse entame la baleine.
Alors de l'Océan l'immense souveraine,
Secouant l'ennemi sur son énorme dos,

Presse, foule, et soulève, et tourmente les flots,
L'horrible scie accroft ses blessures profondes;
Le monstre ensanglanté se débat sur les ondes;
Des bords du Groen'and aux rives de Thule
Il agite en mourant son empire ébranlé.
La mer gronde, et du sein des humides campagnes,
Tout l'Océan s'élève et retombe en montagnes.
DELILLE. Les Trois Règnes.

UN VILLAGE DANS LES ALPES.

Et maintenant il faut que ma plume décrive La demeure sauvage où Dien veut que je vive; Vous devez, dites-vous, savoir où me trouver Quand d'un frère ou d'un fils votre cœur veut rêver, Afin qu'en sé cherchant, nos âmes réunies, Hantent les mêmes bords, vivent des mêmes vies. O mes anges absents, suivez-moi donc des yeux, Je vais vous raconter la maison et les lieux.

Sur un des verts plateaux des Alpes de Savoie, Oasis dont la roche à fermé toute voie, Où l'homme n'aperçoit sous ses yeux effrayés, Qu'abime sur sa tête et qu'able à ses pieds, La nature étendit quelques étroites pentes Où le granit retient la pierre entre ses fentes, Et ne permet qu'à peine à l'arbre d'y germer, A l'homme d'y gratter la terre et d'y semer. D'immenses châtaigufers aux branches étendues Y cramponnent leurs pieds dans les roches fendues, Et pendent en dehors sur des gouffres obscurs Comme la giroflée aux parois des vieux murs; On voit à mile pieds au-dessous de leurs branches La grande plaine bleue avec ses routes blanches; Les moissons jaune d'or, des bois comme un point noir, Et les lacs renvoyant le ciel comme un miroir, La toise de pelouse à leur ombre abritée, Par la dent des chevreaux et des ânes broutée, Épaissit sous leurs troncs ses duvets fins et courts, Dont mille filets d'onde humectent le velours, Et pendant le printemps qui n'est qu'un court sourire Enivrent de leurs fleurs le vent qui les respire. Des monts tout blancs de neige encadrent l'horizon Comme un mur de cristal de ma haute prison, Et, quand leurs pics sereins sont sortis des tempêtes, Laissent voir un pan bleu de ciel pur sur nos têtes. On n'entend d'autre bruit dans cet isolement Que quelques voix d'enfants, ou quelque bêlement De génisse ou de chèvre au ravin descendues, Dont le pas fait tinter les cloches suspendues;

Les sons entrécoupés du nocturne Angelus,
Que le père et l'enfant écoutent les fronts nus,
Et le sourd ronflement des cascades d'écume,
Anquel, en l'oubliant, l'oreille s'accoutume,
Et qui semble, fondu dans ces bruits du désert,
La basse sans répos d'un éternel concert.
Les maisons, au hasard sous les arbres perchées,
En groupes de hameaux sont partout épanchées,
Semblent avoir poussé sans plans et sans dessein,
Sur la terre, avec l'arbre et le roc de son sein;
Les pauvres habitants dispersés dans l'espace
Ne s'y disputent pas le soleil et la place,

Et chacun sous son chêne, att plus près de son champ,
A sa porte au matin et son mur au couchant.
Des sentiers où des bœufs le lourd sabot s'aiguise
Mènent de l'un à l'autre, et de là, vers l'église
Dont depuis deux cents ans à tous ces pieds humains.
Le baptême et la mort ont frayé les chemins.
Elle s'élève seule au bout du cimetière
Avec ses murs épais et bas, verdis de lierre,
Et ses ronces grimpant en échelle, en feston,
Jusqu'au chaume moussu qui lui sert de fronton.
On ne peut distinguer cette chaumière sainte
Qu'au plus grand abandon du petit champ d'enceinte;
Où le sol des tombeaux, par la mort cultivé,
N'offre qu'un tertre ou deux tous les ans élevé,
Que recouvrent bientôt la mauve et les orties,
Premières fleurs toujours de nos cendres sorties;
Et qu'à l'humble clocher qui surmonte les toits
Et s'ouvre aux quatre vents pour répandre sa voix.
DE LAMARTINE.

LE PRESBYTÈRE.

Une cour le précède, enclose d'une haie
Que ferme sans serrure une porte de claie;
Des poules, des pigeons, deux chèvres et mon chien,
Portier d'un seuil ouvert et qui n'y garde rien,
Qui jamais ne repousse et qui jamais n'aboie,
Mais qui faire le pauvre et l'accueille avec joie;
Des passereaux montant et descendant du toit,
L'hirondelle rasant l'auge où le cygne boit,
Tous ces hôtes, amis du seuil qui les rassemble,
Famille de l'ermite y sont en paix ensemble;
Les uns couchés à l'ombre en un coin du gazon,
D'autres se réchauffant contre un mur au rayon,
Ceux-ci léchant le sel le long de la muraille,
Et ceux-là bec quetant ailleurs l'herbe ou la paille;
Trois ruches au midi sous leurs tuiles, et puis
Dans l'angle sous un arbɛe, au nord, un large puits
Dont la chaine rouillée a poli la margelle

Et qu'une vigne étre ut de sa verte dentelle;
Voilà tout le tableau, sept marches d'escalier
Sonore, chancelant, conduisent au palier
Qu'un avant-loit défend du vent et de la neige,
Et que de ses réseaux un vieux lierre protége;
Là, suspendus le jour au clou de mon foyer,
Mes oiseaux familiers chantent pour m'égayer.
Jusqu'ici, grâce aux lieux, au ciel, à la nature,
Ton doux regard de sœur sourit à ma peinture;
Ta tendre illusion dure encor, mais hélas!
Si tu veux la garder, ô ma sœur, n'entre pas!
Mais non, pour vos deux cœurs je n'ai point de mystère,
Pourrai-je devant vous rougir de ma misère ?

Entrez, ne plaignez pas ma riche pauvreté.

Ces murs ne sentent pas leur froide nudité! Des travaux journaliers voilà d'abord l'asile, Où le feu du foyer s'allume, où Marthe file; Marthe, meuble vivant de la sainte maison,

Qui suivit dans le temps son vieux maître en prison,
Pauvre fille, à ces murs, trente ans enracinée,
Partageant leur prospère ou triste destinée,
Me servant sans salaire et pour l'honneur de Dieu,
Surveillant à la fois la cure et le saint lieu,

[maître,
Et qui voyant votre ombre, ô mon Dieu, dans son
Croit s'approcher du ciel en vivant près du prêtre :
Quelques vases de terre, ou de bois, ou d'étain,
Où de Marthe attentive on voit briller la main,
Sur la table un pain noir sous une nappe blanche
Dont chaque mendiant vient dimer une tranche;
Des grappes de raisin que Marthe fait sécher
De leur pampre encor vert décorent le plancher,
La séve en hiver même y jaunit leurs grains d'ambre.
De ce salon rustique on passe dans ma chambre;
C'est elle dont le mur s'éclaire du couchant :
Tu sais que pour le soir j'eus toujours du penchant,
Que mon âme un peu triste a besoin de lumière,
Que le jour dans mon cœur entre par ma paupière,
Et que j'aimais tout jeune à boire avec les yeux
Ces dernières lueurs qui s'éteignent aux cieux.
La chaise où je m'assieds, la natte où je me couche,
La table où je t'écris, l'âtre où fume une souche,
Mon bréviaire vêtu de sa robe de peau,

Mes gros souliers ferrés, mon bâton, mon chapeau,
Mes livres pêle-mêle entassés sur leur planche,
Et les fleurs dont l'autel se pare le dimanche,
De cet espace étroit sont tout l'ameublement.
Non; non! ah! j'oubliais son divin ornement
Qui surmonte tout seul mon humble cheminée,
Ce Christ, les bras ouverts et la tête inclinée,
Cette image de bois du maître que je sers,
Céleste ami, qui seul me peuple ces déserts,
Qui, lorsque mon regard le visite à toute heure,
Me dit ce que j'attends dans cette âpre demeure,
Et, recevant souvent mes larmes sur ses pieds,
Fait resplendir sa paix dans mes yeux essuyés;
Ce Christ! tu le connais? c'est celui que ma mère
Colla dans l'agonie aux lèvres de mon père,
C'est celui que plus tard moi-même en un grand jour
Au pur sang d'un martyrje teignis à mon tour;
D'autres lèvres encore il conserve la trace,
Et Dieu sait de combien de pitié je l'embrasse!

DE LAMARTINE.

* MAISON OU MOURUT MON PÈRE.

Louis, quand vous irez, dans un de vos voyages, Voir Bordeaux, Pau, Bayonne et ses charmants rivages, Toulouse la romaine, où dans des jours meilleurs J'ai cueilli, tout enfant, la poésie en fleurs, Passez par Blois.-Et là, bien volontiers sans doute, Laissez dans le logis vos compagnons de route; Et tandis qu'ils joûront, riront ou dormiront, Vous, avec vos pensers qui haussent votre front, Montez à travers Blois cet escalier de rues

Que n'inonde jamais la Loire au temps des crues;
Laissez là le château, quoique sombre et puissant,
Quoiqu'il ait à la face une tache de sang;
Admirez, en passant cette tour octogone
Qui fait à ses huit pans hurler une gorgone;
Mais passez. Et sorti de la ville, au midi,
Cherchez une tertre vert, circulaire, arrondi,
Que surmonte un grand arbre, un noyer, ce me semble,
Comme au cimier d'un casque une plume qui tremble.
Vous le reconnaîtrez, ami; car tout rêvant,
Vous l'aurez vu de loin sans doute en arrivant.
Sur le tertre monté, que la plaine bleuâtre,
Que la ville étagée en long amphithéâtre,
Que l'église, ou la Loire et ses voiles aux vents,
Et ses mille archipels plus que ses flots mouvants,
Et de Chambord là-bas au loin les cent tourelles,
Ne fasse pas voler votre pensée entre elles.
Ne levez pas vos yeux si haut que l'horizon,
Regardez à vos pieds.

Louis, cette maison Qu'on voit, bâtie en pierre et d'ardoise couverte, Blanche et carrée, au bas de la colline verte, Et qui, fermée à peine aux regards étrangers, S'épanouit charmante entre ses deux vergers: C'est là. Regardez bien: c'est le toit de mon père. C'est ici qu'il s'en vint dormir après la guerre, Celui que tant de fois mes vers vous ont nommé, Que vous n'avez pas vu, qui vous aurait aimé ! Alors, & mon ami, plein d'une extase amère, Pensez pieusement, d'abord à votre mère, Et puis à votre sœur, et dites : « Notre ami Ne reverra jamais son vieux père endormi! Hélas! il a perdu cette sainte défense Qui protége la vie encore après l'enfance, Ce pilote prudent qui, pour dompter le flot, Prête une expérience au jeune matelot! Plus de père pour lui! plus rien qu'une mémoire! Plus d'auguste vieillesse à couronner de gloire!

Plus de récits guerriers! plus de beaux cheveux blancs

A faire caresser par les petits enfants!
Hélas! il a perdu la moitié de sa vie,
L'orgueil de faire voir à la foule ravie
Son père, un vétéran, un général ancien!
Ce foyer où l'on est plus à l'aise qu'au sien,
Et le seuil paternel qui tressaille de joie
Quand du fils qui revient le chien fidèle aboie!
Le grand arbre est tombé; resté seul au vallon,
L'arbuste est désormais à nu sous l'aquilon.
Quand l'aïeul disparaît du sein de la famille,
Tout le groupe orphelin, mère, enfant, jeune fille,
Se rallie inquiet autour du père seul
Que ne dépasse plus le front blanc de l'aïeul.
C'est son tour maintenant. Du soleil, de la pluie,
On s'abrite à son ombre, à sa tige on s'appuie.
C'est à lui de veiller, d'enseigner, de souffrir,
De travailler pour tous, d'agir et de mourir!

Victor Hugo.

1 Ce château, l'un des édifices les plus remarquables que possède la France, fut bâti par François Ier; il est situé à quatre lieues de la ville de Blois.

DÉFINITIONS.

Ce que l'on conçoit bien s'énonce clairement, Et les mots, pour le dire, arrivent aisément. BOILEAU, Art poét., ch. I.

[blocks in formation]

Ce dernier tableau de la strophe est précisément ce que Quintilien a oublié dans la description beaucoup plus ample qu'il a faite du saccagement d'une ville.

En fait de définitions poétiques, rien n'est audessus de celle de la constance de l'homme juste, telle qu'Horace l'a donnée :

Justum ac tenacem propositi virum
Non civium ardor prava jubentium,
Non vultus instantis tyranni

Mente quatit solidá; neque Auster,
Dux inquieti turbidus Adriæ,

Nee fulminantis magna Jovis manus :
Si fractus illabatur orbis,
Impavidum ferient ruinæ.

Ce vieillard qui, d'un vol agile,
Fuit toujours, saus être arrêté;
Le Temps, cette image mobile
De l'immobile éternité.

ROUSSEAU.

Les poëtes eux-mêmes définissent assez souvent à la manière des philosophes, quant à l'exactitude LEÇONS DE LITTÉRATURE.

et à la précision, mais, en image ou en sentiment, avec la langue poétique.

Et qui jamais définira mieux la mort du sage, que La Fontaine poëte l'a fait en un vers ?

Rien ne trouble sa fin; c'est le soir d'un beau jour. La plupart des dénifitions poétiques ne sont que des descriptions: les poëtes en sont pleins, singulièrement Ovide et La Fontaine, le premier dans ses métamorphoses, le second dans ses fables; et l'on a peine à concevoir, en lisant notre fabuliste, que d'une langue assez peu favorable aux peintures physiques, il ait tiré cette multitude de traits fins, délicats et justes, dont il a formé ses définitions. On en verra dans une seule fable deux exemples inimitables; car le pinceau de La Fontaine est malheureusement perdu :

Un souriceau tout jeune, et qui n'avait rien vu,

Fut presque pris au dépourvu.

Voici comme il conta l'aventure à sa mère :
J'avais franchi les monts qui bornent cet État,

Et trottais comme un jeune rat
Qui cherche à se donner carrière,

Lorsque deux animaux m'ont arrêté les yeux;
L'un doux, bénin et gracieux,

Et l'autre turbulent et plein d'inquiétude :
Il a la voix perçante et rude;

Sur la tête un morceau de chair.
Une sorte de bras dont il s'élève en l'air
Comme pour prendre sa volée;
La queue en panache étalée.

Qui ne reconnaît pas le coq?

Sans lui j'aurais fait connaissance
Avec cet animal qui m'a semblé si doux.
Il est velouté comme nous,

Marqueté, longue queue, une humble contenance,
Un modeste regard, et pourtant l'œil luisant.

Je le crois fort sympathisant

Avec messieurs les rats; car il a les oreilles
En figure aux nôtres pareilles.

Le chat peut-il être mieux peint?

Le caractère de la definition poétique, ainsi que de la définition oratoire, est de ne peindre son objet que dans son rapport avec l'intention de l'orateur ou du poëte: de là vient que de la même chose il peut y avoir plusieurs définitions différentes, et dont chacune aura sa vérité et sa justesse rela

27

« PrécédentContinuer »