Rome debout encor comme un grand souvenir, Mais à moi, mais à moi ma ville bien-aimée, Où se baignent ses monts, gigantesques (répieds; Comme des flambeaux à ses pieds! A moi ma Liége aimée ! à moi ma Liége sainte! Et mieux que le passant nous nous en souvenons. De toutes ses beautés le ciel nous la fit belle. Qui chante sous son ciel d'étoiles pailleté. Elle a sa Meuse où vont flottant les voiles grises, Ses tours, écueils de l'air, où, dans leurs longs voyages, Se déchirent les plis du manteau des nuages, Ses églises aux toits brodés. Reine de nos cités, chaque saison lui donne, [tomne. Mai ses plus belles fleurs, ses plus beaux fruits l'au- On y revient toujours quand on l'a pu quitter. Pas une fleur ne manque à sa verte couronne. Et coule dans l'airain les hymnes de Grétry. O Liége! tu couvas cet aigle aux grandes ailes Néron dort!... Dans le sang Rome entière est baignée; A ses longues fureurs la terre abandonnée Et ces pâles flatteurs dont sa cour se compose, Peuvent respirer un moment. Il dort, lâches Romains, et vos poignards stériles, Vains discours! la peur règne en leur âme éperdue: Cependant l'assassin, enivré de carnage, Poursuis, Néron, poursuis : encor quelques victimes. Hâte-toi de grossir la liste de tes crimes; Occupe tes derniers instants. Les destins ont compté les forfaits de ta vie : Tu ne peux espérer la ressource du brave; Égaré, haletant, le monstre se réveille. A l'aspect de sa perte il pleure, il se lamente, Et ces infâmes pleurs, qu'arrache l'épouvante, Sont desséchés par la fureur. C'est en vain que toujours sa terrible puissance, Levant un bras de fer, sut imposer silence A l'insolente Vérité. Le pouvoir des tyrans finit avec leur vie : Le despote tremblant sur les bords de l'abime, Se livre avec plus de fureur : Inutiles efforts! Sous son dais solitaire Dans l'horreur de la nuit il retrouve sa mère, Le désespoir et la terreur. Ph. LESBROUSSART. DISCOURS ET MORCEAUX ORATOIRES. ÉLOQUENCE POÉTIQUE. PRÉCEPTES DU GENRE. C'est en poésie que l'éloquence est une enchanteresse, et l'enchantement qu'elle opère, c'est l'illusion et l'intérêt. Ailleurs elle ne cherche à plaire, à émouvoir, que pour persuader; ici, le plus souvent, elle ne persuade qu'afin de plaire et d'émouvoir. A cela près, ses moyens sont les mêmes et du côté de l'illusion, et du côté de l'intérêt. La poésie n'est que l'eloquence dans toute sa force et avec tous ses charmes. Voyez, dans l'Iliade, la harangue de Priam aux pieds d'Achille; dans l'Eneide, celle de Sinon; dans Ovide, celle d'Ajax et d'Ulysse; dans Milton, celle de Satan; dans Corneille, les scènes d'Auguste et de Cinna; dans Racine, les discours de Burrhus et de Narcisse au jeune Néron; dans la Henriade, la harangue de Potier aux états, etc. C'est tour à tour le langage de Démosthène, de Cicéron, de Massillon, de Bossuet, à quelques hardiesses près, que la poé sie autorise, et que l'eloquence elle-même se permet quelquefois. L'éloquence du poëte est l'éloquence exquise de l'orateur appliquée à des sujets intéressants, féconds, sublimes; et les divers genres d'eloquence que les rhéteurs ont distingués, le délibératif, le démonstratif, le judiciaire, sont du ressort de l'art poétique comme de l'art oratoire; mais les poëtes ont soin de choisir de grandes causes à discuter, de grands intérêts à débattre. Auguste doit-il abdiquer ou garder l'empire du monde ? Ptolémée doit-il accorder ou refuser un asile à Pompée; et, s'il le reçoit, doit-il le défendre, doit-il le livrer à César vif ou mort? Voilà de quoi il s'agit dans les délibérations de Corneille. Il n'est point de spectateur dont l'âme ne reste comme suspendue, tandis que de tels intérêts sont balancés et discutés avec chaleur. Ce Que dans tous vos discours la passion émue Aille chercher le cœur, l'échauffe et le remue. BOILEAU. Art poét., chap. III. qui rend encore plus théâtrales ces sortes de délibérations, c'est lorsque la cause publique se joint à l'intérêt capital d'un personnage intéressant, dont le sort dépend de ce qu'on va résoudre; car il faut bien se souvenir que l'intérêt individuel d'homme à homme est le seul qui nous touche vivement. Les termes collectifs de peuple, d'armée, de république, ne nous présentent que des idées vagues; Rome, Carthage, la Grèce, la Phrygie, ne nous intéressent que par l'entremise des personnages dont le destin dépend du leur. Quelquefois aussi celui qui parle ne veut que répandre et soulager son cœur. Par exemple, lorsque Andromaque fait à Céphise le tableau du massacre de Troie, ou qu'elle lui retrace les adieux d'Hector, son dessein n'est pas de l'instruire, de la persuader, de l'émouvoir : elle n'attend, ne veut rien d'elle. C'est un cœur déchiré qui gémit, et qui, trop plein de sa douleur, ne demande qu'à l'épancher. Rien de plus naturel, rien de plus favorable au développement des passions. On a reproché à notre scène tragique d'avoir trop de discours et trop peu d'action : ce reproche bien entendu peut être juste. Nos poëtes se sont engagés quelquefois dans des analyses de sentiments aussi froides que superflues; mais si le cœur ne s'épanche que parce qu'il est trop plein de sa passion, et lorsque la violence de ses mouvements ne lui permet pas de les retenir, l'effusion n'en sera jamais ni froide ni languissante. La passion porte avec elle, dans ses mouvements tumultueux, de quoi varier ceux du style; et si le poëte est bien pénétré de ses situations, s'il se laise guider par la nature, au lieu de vouloir la conduire à son gré, il placera ces mouvements où la nature les sollicite; et, laissant couler le sentiment à pleine source, il en saura prévenir à propos l'épuisement et la langueur. La douleur est de toutes les passions la plus eloquente, ou plutôt c'est elle qui rend éloquentes toutes les autres passions, et qui attendrit et rend pathétique toute espèce de caractère : douce et tendre, sombre et terrible, plaintive et déchirante, furieuse et atroce, elle prend toutes les couleurs Du haut de la tribune et du haut de la chaire, elle remue tout un peuple; du théâtre, où elle domine, elle trouble tous les esprits, elle transperce tous les cœurs. Celui qui sait la mettre en scène et faire entendre ses accents, n'a pas besoin d'autre langage. Ce n'est pourtant pas ce que j'appelle l'eloquence de la douleur. Cette éloquence pure et sublime est celle que Sophocle, Euripide, Virgile, Ovide, Racine et Voltaire, ont possédée à un si haut point. Je nomme Ovide, parce qu'il est souvent aussi naturel et aussi pénétrant que tous ces grands poëtes. Voyez dans ses Métamorphoses (fable de Polyxène) avec quelles gradations ces trois grands caractères de douleur sont exprimés. | Je ne suis plus le même enfin depuis deux heures. La critique éveillée, une loge endormie, Voici l'heure fatale où l'arrêt se prononce! Il n'est force, courage, ardeur, qui n'y succombe. Car enfin, c'en est fait ; je péris, si je tombe. Où me cacher, où fuir, et par où désarmer L'honnête oncle qui vient pour me faire enfermer? Quelle égide opposer aux traits de la satire? Polyxène, au moment d'être immolée aux mânes Comment paraitre aux yeux de celle à qui j'aspire? d'Achille : Utque Neoptolemum stantem, ferrumque tenentem, Utere jamdudum generoso sanguine, dixit; Tel est le langage de la douleur noble et tranquille, d'autant plus touchante qu'elle est plus douce; et c'est le caractère que Cicéron lui donne dans la bouche de Milon. Hécube, en se précipitant sur le corps sanglant de sa fille : Nata, tuæ (quid enim superest ?) dolor ultime matris, Il semble impossible de réunir dans la douleur plus de traits déchirants; et cette image du malheur le plus accablant n'est rien encore en comparaison de ce qui va suivre. Hécube, après avoir reconnu le corps de son fils Polydore percé de coups et flottant sur les eaux : Troades exclamant: Obmutuit illa dolore; Et pariter vocem lacrymasque introrsùs obortas, L'antiquité n'a rien, à mon avis, de plus éloquent L'AUTEUR DRAMATIQUE DURANT LA PREMIÈRE Je ne me connais plus, aux transports qui m'agitent; 4 Après le combat qui devait décider entre les Romains et les Albains, Horace, vainqueur des trois Curiaces, se présente à sa soeur, De quel front, à quel titre, oserais-je m'offrir, Mais mon incertitude est mon plus grand supplice. PIRON. La Métromanie, act. V. IMPRÉCATIONS DE CAMILLE'. Rome, l'unique objet de mou ressentiment! Que l'Orient contre elle à l'Occident s'allie; CORNEILLE. Les Horaces, act. IV, sc. 1. IMPRÉGATIONS D'ATHALIE. Dieu des Juifs, (u l'emportes! Oui, c'est Joas; je cherche en vain à me tromper. fiancée à l'une des victimes. Celle-ci alors prononce centre s frère cette magnifique imprécation. Furieuse, je cours, et doute si je veille. Tout me retrace enfin un sang que je déteste. RACINE. Athalie, act. V, sc. VI. DÉSESPOIR DE DIDON, ET SES IMPRÉCATIONS CONTRE ÉNÉE. Ah! barbare! ah! perfide! Le voilà ce héros dont le ciel est le guide; Que pour mieux se détruire ils franchissent les mers; DÉSESPOIR DE MÉDÉE. Où suis-je, malheureuse? où porté-je mes pas ? Qu'ai-je vu? qu'ai-je out? je ne me connais pas. Didon, fondatrice et reine de Carthage, est supposée avoir accueilli dans sa ville naissante Enée, qui, après la ruine de Troie, cherchait une terre où il pût trouver un asile et un établissement. Après avoir inspiré une passion profonde à la malheureuse Didon, il l'abandonne, et c'est au moment où ses vaisseaux ont tout à fait dispara que Didon prononce ces paroles. Quel bruit, quels chants d'hymen ont frappé mon Ses autels sont parés, ses temples sont ouverts; Que dis-je, épouse? hélas! pour nous plus d'hyménée! Toi surtout, Soleil ! j'implore ton secours, Toi qui donnas naissance à l'auteur de mes jours; [cieux Mais où vont mes transports! est-ce donc dans les Que j'espère trouver du secours et des dieux! Déités de Médée, affreuses Euménides, Venez laver ma honte et me servir de guides, Armons-nous, de notre art déployons la noirceur; Que toute pitié meure et s'éteigne en mon cœur. Que de sang altéré, que de meurtres avide, A l'isthme il fasse voir ce qu'a vu la Colchide. Que dis-je! de bien loin surpassons ces forfaits; De ma tendre jeunesse ils furent les essais. LONGEPIERRE. Médée, act. II. MÉDÉE ÉVOQUE LES FURIES ET LES DIVINITÉS INFERNALES. Ministres rigoureux de mon courroux fatal, Redoutables tyrans de l'empire infernal, Dieux, o terribles dieux du trépas et des ombres; Et vous, peuple cruel de ces royaumes sombres, Noirs enfants de la nuit, Mânes infortunés, Criminels sans relâche à souffrir condamnés, Barbare Tisiphone, implacable Mégère; Nuit, Discorde, Fureur, Parques, Monstres, Cerbère, Reconnaissez ma voix, et servez mon courroux! Dieux cruels, dieux vengeurs! je vous évoque tous. Venez semer ici l'horreur et les alarmes; Venez remplir ces lieux et de sang et de larmes. Rassemblez, déchalnez tous vos tourments divers; Et, s'il se peut, ici transportez les enfers.... On m'exauce le ciel se couvre de ténèbres, L'air retentit au loin de hurlements funèbres. Tout redouble en ces lieux le silence et l'horreur; |