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Rome debout encor comme un grand souvenir,
Qui guide avec sa croix, bien mieux qu'avec son glaive,
Le pas des nations que le Seigneur relève
Sur la route de l'avenir !

Mais à moi, mais à moi ma ville bien-aimée,
Ma reine qui s'assied sous le dais de fumée

Où se baignent ses monts, gigantesques (répieds;
Et, riant au milieu des forges enflammées
Qui, dans la nuit profonde, éclatent allumées

Comme des flambeaux à ses pieds!

A moi ma Liége aimée ! à moi ma Liége sainte!
Car de tous les lauriers elle a la tête ceinte.
De nos villes son nom efface tous les noms.
Le passant, qui l'admire et jamais ne l'oublie,
En a l'âme toujours remplie;

Et mieux que le passant nous nous en souvenons.
Aussi, qu'elle est superbe, assise sur son fleuve
Où se mire au flot clair sa citadelle neuve,
Diadème de murs qui couronne son front,
Et s'égayant à voir au loin, dans ses campagnes,
Autour de l'horizon ondoyer des montagnes
Le cercle vert qui danse en rond!

De toutes ses beautés le ciel nous la fit belle.
Avril y fait plus tôt revenir l'hirondelle;
Et puis, comme Venise au sein des nuits d'été,
A sur ses canaux bleus le chant de ses gondoles,
Elle a le chœur des farandoles

Qui chante sous son ciel d'étoiles pailleté.

Elle a sa Meuse où vont flottant les voiles grises,
Ses jardins fleurissant sous l'haleine des brises,
Ses palais bien avant dans la terre fondés,

Ses tours, écueils de l'air, où, dans leurs longs voyages, Se déchirent les plis du manteau des nuages,

Ses églises aux toits brodés.

Reine de nos cités, chaque saison lui donne,

[tomne.

Mai ses plus belles fleurs, ses plus beaux fruits l'au-
L'étranger nous l'envie et voudrait l'emporter.
De toutes ses douleurs notre âme s'y console;
Et, comme au nord fait la boussole,

On y revient toujours quand on l'a pu quitter.
La fauvelte, au printemps, y descend plus ravie,
Et l'on y goûte mieux le bonheur et la vie.
Le nuage en passant s'arrête dans les cieux
Pour la voir plus longtemps sourire sur la terre;
Et, moins triste, la nuit, dans son nid solitaire,
Le rossignol y chante mieux.

Pas une fleur ne manque à sa verte couronne.
De toutes ses splendeurs la gloire l'environne.
Toujours l'arbre de l'art sur son sol a fleuri.
Elle met des noms d'or sur les tombes muettes
De ses peintres, de ses poetes,

Et coule dans l'airain les hymnes de Grétry.
Et puis, que de hauts faits remplissent son histoire!
Chaque cri de bataille est un cri de victoire.
Chaque lutte grandit son peuple souverain.
D'un souvenir sacré chaque rue est pavée.
Partout sur ses vieux murs son histoire est gravée
Par le glaive au lieu de burin.

O Liége! tu couvas cet aigle aux grandes ailes
Qui tournait tour à tour ses ardentes prunelles

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Néron dort!... Dans le sang Rome entière est baignée;

A ses longues fureurs la terre abandonnée
Implore en vain son châtiment;

Et ces pâles flatteurs dont sa cour se compose,
Bénissant le sommeil du tigre qui repose,

Peuvent respirer un moment.

Il dort, lâches Romains, et vos poignards stériles,
Enchaînés par l'effroi, demeurent immobiles!
Le croyez-vous donc immortel?
Descendants de Brutus, un seul instant d'audace,
Et de ce court repos soudain le monstre passe
Aux bras du sommeil éternel.

Vains discours! la peur règne en leur âme éperdue:
De ces vils courtisans elle est seule entendue :
Redoutant jusqu'à leurs terreurs,
Bannissant de leurs traits l'offensante tristesse,
Ils feignent le sourire, et n'offrent qu'allégresse
A l'œil errant des délateurs.

Cependant l'assassin, enivré de carnage,
Dans des songes flatteurs voit renaître l'image

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Poursuis, Néron, poursuis : encor quelques victimes. Hâte-toi de grossir la liste de tes crimes;

Occupe tes derniers instants.

Les destins ont compté les forfaits de ta vie :
A ces forfaits affreux, de ta lente agonie
Ils égaleront les tourments.

Tu ne peux espérer la ressource du brave;
Tu vécus en tyran, tu mourras en esclave,
En reculant devant la mort.
Vois-tu dans l'avenir l'inexorable histoire
Dans le sang et la fange enfoncer ta mémoire ?
Adieu; je te laisse à ton sort. »>

Égaré, haletant, le monstre se réveille.
Il écoute : il entend encore à son oreille
Retentir cet arrêt vengeur.

A l'aspect de sa perte il pleure, il se lamente, Et ces infâmes pleurs, qu'arrache l'épouvante, Sont desséchés par la fureur.

C'est en vain que toujours sa terrible puissance, Levant un bras de fer, sut imposer silence

A l'insolente Vérité.

Le pouvoir des tyrans finit avec leur vie :
Ils ne peuvent, ô rage! au gré de leur envie
Égorger la Postérité.

Le despote tremblant sur les bords de l'abime,
Pour étouffer sa crainte, à l'ivresse du crime

Se livre avec plus de fureur :

Inutiles efforts! Sous son dais solitaire

Dans l'horreur de la nuit il retrouve sa mère,

Le désespoir et la terreur.

Ph. LESBROUSSART.

DISCOURS

ET

MORCEAUX ORATOIRES.

ÉLOQUENCE POÉTIQUE.

PRÉCEPTES DU GENRE.

C'est en poésie que l'éloquence est une enchanteresse, et l'enchantement qu'elle opère, c'est l'illusion et l'intérêt. Ailleurs elle ne cherche à plaire, à émouvoir, que pour persuader; ici, le plus souvent, elle ne persuade qu'afin de plaire et d'émouvoir. A cela près, ses moyens sont les mêmes et du côté de l'illusion, et du côté de l'intérêt. La poésie n'est que l'eloquence dans toute sa force et avec tous ses charmes. Voyez, dans l'Iliade, la harangue de Priam aux pieds d'Achille; dans l'Eneide, celle de Sinon; dans Ovide, celle d'Ajax et d'Ulysse; dans Milton, celle de Satan; dans Corneille, les scènes d'Auguste et de Cinna; dans Racine, les discours de Burrhus et de Narcisse au jeune Néron; dans la Henriade, la harangue de Potier aux états, etc. C'est tour à tour le langage de Démosthène, de Cicéron, de Massillon, de Bossuet, à quelques hardiesses près, que la poé sie autorise, et que l'eloquence elle-même se permet quelquefois.

L'éloquence du poëte est l'éloquence exquise de l'orateur appliquée à des sujets intéressants, féconds, sublimes; et les divers genres d'eloquence que les rhéteurs ont distingués, le délibératif, le démonstratif, le judiciaire, sont du ressort de l'art poétique comme de l'art oratoire; mais les poëtes ont soin de choisir de grandes causes à discuter, de grands intérêts à débattre. Auguste doit-il abdiquer ou garder l'empire du monde ? Ptolémée doit-il accorder ou refuser un asile à Pompée; et, s'il le reçoit, doit-il le défendre, doit-il le livrer à César vif ou mort? Voilà de quoi il s'agit dans les délibérations de Corneille. Il n'est point de spectateur dont l'âme ne reste comme suspendue, tandis que de tels intérêts sont balancés et discutés avec chaleur. Ce

Que dans tous vos discours la passion émue Aille chercher le cœur, l'échauffe et le remue. BOILEAU. Art poét., chap. III.

qui rend encore plus théâtrales ces sortes de délibérations, c'est lorsque la cause publique se joint à l'intérêt capital d'un personnage intéressant, dont le sort dépend de ce qu'on va résoudre; car il faut bien se souvenir que l'intérêt individuel d'homme à homme est le seul qui nous touche vivement. Les termes collectifs de peuple, d'armée, de république, ne nous présentent que des idées vagues; Rome, Carthage, la Grèce, la Phrygie, ne nous intéressent que par l'entremise des personnages dont le destin dépend du leur.

Quelquefois aussi celui qui parle ne veut que répandre et soulager son cœur. Par exemple, lorsque Andromaque fait à Céphise le tableau du massacre de Troie, ou qu'elle lui retrace les adieux d'Hector, son dessein n'est pas de l'instruire, de la persuader, de l'émouvoir : elle n'attend, ne veut rien d'elle. C'est un cœur déchiré qui gémit, et qui, trop plein de sa douleur, ne demande qu'à l'épancher. Rien de plus naturel, rien de plus favorable au développement des passions.

On a reproché à notre scène tragique d'avoir trop de discours et trop peu d'action : ce reproche bien entendu peut être juste. Nos poëtes se sont engagés quelquefois dans des analyses de sentiments aussi froides que superflues; mais si le cœur ne s'épanche que parce qu'il est trop plein de sa passion, et lorsque la violence de ses mouvements ne lui permet pas de les retenir, l'effusion n'en sera jamais ni froide ni languissante. La passion porte avec elle, dans ses mouvements tumultueux, de quoi varier ceux du style; et si le poëte est bien pénétré de ses situations, s'il se laise guider par la nature, au lieu de vouloir la conduire à son gré, il placera ces mouvements où la nature les sollicite; et, laissant couler le sentiment à pleine source, il en saura prévenir à propos l'épuisement et la langueur.

La douleur est de toutes les passions la plus eloquente, ou plutôt c'est elle qui rend éloquentes toutes les autres passions, et qui attendrit et rend pathétique toute espèce de caractère : douce et tendre, sombre et terrible, plaintive et déchirante, furieuse et atroce, elle prend toutes les couleurs Du haut de la tribune et du haut de la chaire, elle remue tout un peuple; du théâtre, où elle domine, elle trouble tous les esprits, elle transperce tous les cœurs. Celui qui sait la mettre en scène et faire entendre ses accents, n'a pas besoin d'autre langage. Ce n'est pourtant pas ce que j'appelle l'eloquence de la douleur. Cette éloquence pure et sublime est celle que Sophocle, Euripide, Virgile, Ovide, Racine et Voltaire, ont possédée à un si haut point. Je nomme Ovide, parce qu'il est souvent aussi naturel et aussi pénétrant que tous ces grands poëtes. Voyez dans ses Métamorphoses (fable de Polyxène) avec quelles gradations ces trois grands caractères de douleur sont exprimés.

| Je ne suis plus le même enfin depuis deux heures.
Ma pièce auparavant me semblait des meilleures :
Maintenant je n'y vois que d'horribles défauts,
Du faible, du clinquant, de l'obscur et du faux.
De là, plus d'une image annonçant l'infamie!

La critique éveillée, une loge endormie,
Le reste, de fatigue et d'ennui harassé,
Le souffleur étourdi, l'acteur embarrassé;
Le théâtre distrait, le parterre en balance,
Tantôt bruyant, tantôt dans un profond silence;
Mille autres visions, qui toutes dans mon cœur
Font naître également le trouble et la terreur.
(Regardant à sa montre.)

Voici l'heure fatale où l'arrêt se prononce!
Je sèche ; je me meurs. Quel métier ! J'y renonce.
Quelque flatteur que soit l'honneur que je poursuis,
Est-ce un équivalent à l'angoisse où je suis?

Il n'est force, courage, ardeur, qui n'y succombe.

Car enfin, c'en est fait ; je péris, si je tombe.

Où me cacher, où fuir, et par où désarmer L'honnête oncle qui vient pour me faire enfermer? Quelle égide opposer aux traits de la satire?

Polyxène, au moment d'être immolée aux mânes Comment paraitre aux yeux de celle à qui j'aspire? d'Achille :

Utque Neoptolemum stantem, ferrumque tenentem,
Utque suo vidit figentem lumina vultu;

Utere jamdudum generoso sanguine, dixit;
Nulla mora est, etc.

Tel est le langage de la douleur noble et tranquille, d'autant plus touchante qu'elle est plus douce; et c'est le caractère que Cicéron lui donne dans la bouche de Milon.

Hécube, en se précipitant sur le corps sanglant de sa fille :

Nata, tuæ (quid enim superest ?) dolor ultime matris,
Nata, Jaces, etc.

Il semble impossible de réunir dans la douleur plus de traits déchirants; et cette image du malheur le plus accablant n'est rien encore en comparaison de ce qui va suivre.

Hécube, après avoir reconnu le corps de son fils Polydore percé de coups et flottant sur les eaux :

Troades exclamant: Obmutuit illa dolore;

Et pariter vocem lacrymasque introrsùs obortas,
Devorat ipse dolor, etc.

L'antiquité n'a rien, à mon avis, de plus éloquent
que ces trois scènes de douleur; et j'ai cru devoir les
donner pour modèle d'éloquence poétique.
MARMONTEL. Éléments de Littérature, t. II.

L'AUTEUR DRAMATIQUE DURANT LA PREMIÈRE
REPRÉSENTATION de sa PIÈCE.

Je ne me connais plus, aux transports qui m'agitent;
En tous lieux, sans dessein, mes pas se précipitent.
Le noir pressentiment, le repentir, l'effroi,
Les présages fâcheux, volent autour de moi.

4 Après le combat qui devait décider entre les Romains et les Albains, Horace, vainqueur des trois Curiaces, se présente à sa soeur,

De quel front, à quel titre, oserais-je m'offrir,
Moi, misérable auteur, qu'on viendrait de flétrir?
(Après quelques moments de silence et d'agi-
tation.)

Mais mon incertitude est mon plus grand supplice.
Je supporterai tout, pourvu qu'elle finisse.
Chaque instant qui s'écoule, empoisonnant son cours,
Abrége, au moins d'un an, le nombre de mes jours.

PIRON. La Métromanie, act. V.

IMPRÉCATIONS DE CAMILLE'.

Rome, l'unique objet de mou ressentiment!
Rome à qui vient ton bras d'immoler mon amant!
Rome qui t'a vu naître, et que ton cœur adore!
Rome enfin que je hais, parce qu'elle t'honore!
Puissent tous ses voisins, ensemble conjurés,
Et, si ce n'est assez de toute l'Italie,
Saper ses fondements encor mal assurés !

Que l'Orient contre elle à l'Occident s'allie;
Que cent peuples, unis des bouts de l'univers,
Passent, pour la détruire, et les monts et les mers;
Qu'elle-même sur soi renverse ses murailles,
Et de ses propres mains déchire ses entrailles :
Que le courroux du ciel, allumé par mes vœux,
Fasse pleuvoir sur elle un déluge de feux !
Puissé-je de mes yeux y voir tomber la foudre,
Voir ses maisons en cendre, et tes lauriers en poudre,
Voir le dernier Romain à son dernier soupir,
Moi seule en être cause, et mourir de plaisir !

CORNEILLE. Les Horaces, act. IV, sc. 1.

IMPRÉGATIONS D'ATHALIE.

Dieu des Juifs, (u l'emportes!

Oui, c'est Joas; je cherche en vain à me tromper.
Je reconnais l'endroit où je le fis frapper;
Je vois d'Ochosias et le port et le geste;

fiancée à l'une des victimes. Celle-ci alors prononce centre s frère cette magnifique imprécation.

Furieuse, je cours, et doute si je veille.

Tout me retrace enfin un sang que je déteste.
David, David triomphe; Achab seul est détruit.
Impitoyable Dieu, toi seul as tout conduit!
C'est toi qui, me flattant d'une vengeance aisée,
M'as vingt fois en un jour à moi-même opposée,
Tantôt pour un enfant excitant mes remords,
Tantôt m'éblouissant de tes riches trésors,
Que j'ai craint de livrer aux flammes, au pillage.
Qu'il règne donc ce fils, ton soin et ton ouvrage !
Et que, pour signaler son empire nouveau,
On lui fasse en mon sein enfoncer le couteau!
Voici ce qu'en mourant lui souhaite sa mère :
Que dis-je, souhaiter? je me flatte, j'espère
Qu'indocile à ton joug, fatigué de ta loi,
Fidèle au sang d'Achab qu'il a reçu de moi,
Conforme à son aïeul, à son père semblable,
On verra de David l'héritier détestable
Abolir tes honneurs, profaner ton autel,
Et venger Athalie, Achab et Jézabel.

RACINE. Athalie, act. V, sc. VI.

DÉSESPOIR DE DIDON, ET SES IMPRÉCATIONS CONTRE ÉNÉE.

Ah! barbare! ah! perfide!

Le voilà ce héros dont le ciel est le guide;
Ce guerrier magnanime, et ce mortel pieux
Qui sauva de la flamme et son père et ses dieux!
Le parjure abusait de ma faiblesse extrême;
Et la gloire n'est point à trahir ce qu'on aime.
Du sang dont il naquit j'ai dû me défier,
Et de Laomedon connaître l'héritier.
Cruel, tu t'applaudis de ce triomphe insigne;
De tes lâches aïeux, va, tu n'es que trop digne!
Mais tu me fuis en vain, mon ombre te suivra.
Tremble, ingrat! je mourrai, mais ma haine vivra.
Tu vas fonder le trône où le destin t'appelle;
Et moi je te déclare une guerre immortelle.
Mon peuple héritera de ma haine pour toi :
Le tien doit hériter de ton horreur pour moi.
Que ces peuples rivaux, sur la terre et sur l'onde,
De leurs divisions épouvantent le monde!

Que pour mieux se détruire ils franchissent les mers;
Qu'ils ne puissent ensemble habiter l'univers;
Qu'une égale fureur sans cesse les dévore,
Qu'après s'être assouvie elle renaisse encore;
Qu'ils violent entre eux et la foi des traités,
Et les droits les plus saints et les plus respectés!
Qu'excités par mes cris, les enfants de Carthage
Jurent dès le berceau de venger mon outrage;
Et puissent en mourant mes derniers successeurs
Sur les derniers neveux être encor mes vengeurs!
LEFRANC DE POMPIGNAN. Didon, sc. dernière.

DÉSESPOIR DE MÉDÉE.

Où suis-je, malheureuse? où porté-je mes pas ? Qu'ai-je vu? qu'ai-je out? je ne me connais pas.

Didon, fondatrice et reine de Carthage, est supposée avoir accueilli dans sa ville naissante Enée, qui, après la ruine de Troie, cherchait une terre où il pût trouver un asile et un établissement. Après avoir inspiré une passion profonde à la malheureuse Didon, il l'abandonne, et c'est au moment où ses vaisseaux ont tout à fait dispara que Didon prononce ces paroles.

Quel bruit, quels chants d'hymen ont frappé mon
Corinthe retentit de cris et de concerts, [oreille?

Ses autels sont parés, ses temples sont ouverts;
Tout à l'envi prépare une odieuse pompe,
Tout vante ma rivale 3 et l'ingrat qui me trompe.
Jason, honteusement me chasse de son lit!
Jason, il est donc vrai, jusque-là me trahit!
Il m'ôte tout espoir ! Épouse infortunée!

Que dis-je, épouse? hélas! pour nous plus d'hyménée!
L'ingrat en rompt les nœuds... Dieux justes, dicux ven-
De la foi conjugale augustes protecteurs, [geurs,
Garants de ses serments, témoins de ses parjures,
Punissez son forfait, et vengez nos injures!

Toi surtout, Soleil ! j'implore ton secours,

Toi qui donnas naissance à l'auteur de mes jours;
Tu vois, du haut des cieux, l'affront qu'on me destine !
Et Corinthe jouit de ta clarté divine!
Retourne sur les pas, et dans l'obscurité
Plonge tout l'univers privé de ta clarté;
Ou plutôt donne-moi tes chevaux à conduire.
En poudre dans ces lieux je saurai tout réduire;
Je tomberai sur l'isthme avec ton char brûlant;
J'abimerai Corinthe et son peuple insolent;
J'écraserai ses rois, et ma fureur barbare
Unira les deux mers que Corinthe sépare....

[cieux

Mais où vont mes transports! est-ce donc dans les Que j'espère trouver du secours et des dieux! Déités de Médée, affreuses Euménides, Venez laver ma honte et me servir de guides, Armons-nous, de notre art déployons la noirceur; Que toute pitié meure et s'éteigne en mon cœur. Que de sang altéré, que de meurtres avide, A l'isthme il fasse voir ce qu'a vu la Colchide. Que dis-je! de bien loin surpassons ces forfaits; De ma tendre jeunesse ils furent les essais.

LONGEPIERRE. Médée, act. II.

MÉDÉE ÉVOQUE LES FURIES ET LES DIVINITÉS INFERNALES.

Ministres rigoureux de mon courroux fatal, Redoutables tyrans de l'empire infernal, Dieux, o terribles dieux du trépas et des ombres; Et vous, peuple cruel de ces royaumes sombres, Noirs enfants de la nuit, Mânes infortunés, Criminels sans relâche à souffrir condamnés, Barbare Tisiphone, implacable Mégère; Nuit, Discorde, Fureur, Parques, Monstres, Cerbère, Reconnaissez ma voix, et servez mon courroux! Dieux cruels, dieux vengeurs! je vous évoque tous. Venez semer ici l'horreur et les alarmes; Venez remplir ces lieux et de sang et de larmes. Rassemblez, déchalnez tous vos tourments divers; Et, s'il se peut, ici transportez les enfers.... On m'exauce le ciel se couvre de ténèbres, L'air retentit au loin de hurlements funèbres. Tout redouble en ces lieux le silence et l'horreur;

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