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· Pardonnez, madame, à ce transport,

Je vais le secourir, si je puis, ou le suivre.

SCÈNE V.

AGRIPPINE, BURRHUS.

Quel attentat, Burrhus!

AGRIPPINE.

BURRHUS.

Je n'y pourrai survivre,

Madame; il faut quitter la cour et l'empereur.

AGRIPPINE.

Quoi! du sang de son frère il n'a point eu d'horreur!

BURRHUS.

Ce dessein s'est conduit avec plus de mystère.

A peine l'empereur a vu venir son frère, Il se lève, il l'embrasse, on se tait; et soudain César prend le premier une coupe à la main : « Pour achever ce jour sous de meilleurs auspices, << Ma main de cette coupe épanche les prémices, Dit-il : dieux, que j'appelle à cette effusion,

« Venez favoriser notre réunion. »

Par les mêmes serments Britannicus se lie.

La coupe dans ses mains par Narcisse est remplie :
Mais ses lèvres à peine en ont touché les bords,
Le fer ne produit point de si puissants efforts,
Madame; la lumière à ses yeux est ravie,

Il tombe sur son lit sans chaleur et sans vie.
Jugez combien ce coup frappe tous les esprits :
La moitié s'épouvante, et sort avec des cris;
Mais ceux qui de la cour ont un plus long usage
Sur les yeux de César composent leur visage.
Cependant sur son lit il demeure penché,

D'aucun étonnement il ne paraît touché :

« Ce mal dont vous craignez, dit-il, la violence,
« A souvent sans péril attaqué son enfance. »
Narcisse veut en vain affecter quelque ennui,
Et sa perfide joie éclate malgré lui.

Pour moi dût l'empereur punir ma hardiesse,
D'une odieuse cour j'ai traversé la presse;
Et j'allais, accablé de cet assassinat,
Pleurer Britannicus, César, et tout l'État.

AGRIPPINE.

Le voici. Vous verrez si c'est moi qui l'inspire.'

SCÈNE VI.

AGRIPPINE, NÉRON, BURRHUS, NARCISSE.

Dieux !

NÉRON, voyant Agrippine.

AGRIPPINE.

Arrêtez, Néron; j'ai deux mots à vous dire.

Britannicus est mort: je reconnais les coups;

Je connais l'assassin.

NERON.

Et qui, madame?

AGRIPPINE.

NÉRON.

Vous.

Moi? voilà les soupçons dont vous êtes capable.
Il n'est point de malheur dont je ne soir coupable;
Et si l'on veut, madame, écouter vos discours,
Ma main de Claude même aura tranché les jours.
Son fils vous était cher, sa mort peut vous confondre :
Mais des coups du destin je ne puis pas répondre.

AGRIPPINE.

Non, non: Britannicus est mort empoisonné;
Narcisse a fait le coup: vous l'avez ordonné.

NÉRON.

Madame!... Mais qui peut vous tenir ce langage?

NARCISSE.

Eh seigneur ! ce soupçon vous fait-il tant d'outrage?
Britannicus, madame, eut des desseins secrets

Qui vous auraient coûté de plus justes regrets:
Il aspirait plus loin qu'à l'hymen de Jume;
De vos propres bontés il vous aurait punie.
Il vous trompait vous-même, et son cœur offensé
Prétendait tôt ou tard rappeler le passé.

Soit donc que malgré vous le sort vous ait servie;
Soit qu'instruit des complots qui menaçaient sa vie,
Sur ma fidélité César s'en soit remis,

Laissez les pleurs, madame, à vos seuls ennemis; Qu'ils mettent ce malheur au rang des plus sinistres : Mais vous...

AGRIPPINE.

Poursuis, Néron; avec de tels ministres, Par des faits glorieux tu te vas signaler ; Poursuis. Tu n'as pas fait ce pas pour reculer : Ta main a commencé par le sang de ton frère; Je prévois que tes coups viendront jusqu'à ta mère ; Dans le fond de ton cœur je sais que tu me hais; Tu voudras t'affranchir du joug de mes bienfaits. Mais je veux que ma mort te soit même inutile : Ne crois pas qu'en mourant je te laisse tranquille; Rome, ce ciel, ce jour que tu reçus de moi, Partout, à tout moment, m'offriront devant toi. Tes remords te suivront comme autant de furies: Tu croiras les calmer par d'autres barbaries; Ta fureur, s'irritant soi-même dans son cours, D'un sang toujours nouveau marquera tous tes jours. Mais j'espère qu'enfin le ciel, las de tes crimes, Ajoutera ta perte à tant d'autres victimes; Qu'après t'être couvert de leur sang et du mien, Tu te verras forcé de répandre le tien; Et ton nom paraîtra, dans la race fature, Aux plus cruels tyrans une cruelle injure. Voilà ce que mon cœur se présage de toi. Adieu tu peux sortir.

NÉRON.
Narcisse, suivez-moi.

SCÈNE VII.

AGRIPPINE, BURRHUS.

AGRIPPINE.

Ah, ciel! de mes soupçons quelle était l'injustice!
Je condamnais Burrhus pour écouter Narcisse!
Burrhus, avez-vous vu quels regards furieux
Néron en me quittant m'a laissés pour adieux ?
C'en est fait, le cruel n'a plus rien qui l'arrête;
Le coup qu'on m'a prédit va tomber sur ma tête.
Il vous accablera vous-même à votre tour.

BURRHUS.

Ah, madame! pour moi, j'ai vécu trop d'un jour.
Plût au ciel que sa main, heureusement cruelle,
Eût fait sur moi l'essai de sa fureur nouvelle !
Qu'il ne m'eût pas donné, par ce triste attentat,
Un gage trop certain des malheurs de l'État!
Son crime seul n'est pas ce qui me désespère ;
Sa jalousie a pu l'armer contre son frère :
Mais, s'il vous faut, madame, expliquer ma douleur,
Néron l'a vu mourir sans changer de couleur.
Ses yeux indifférents ont déjà la constance
D'un tyran dans le crime endurci dès l'enfance.
Qu'il achève, madame, et qu'il fasse périr
Un ministre importun qui ne le peut souffrir.
Hélas! loin de vouloir éviter sa colère,
La plus soudaine mort me sera la plus chère.

SCÈNE VIII.

AGRIPPINE, BURRHUS, ALBINE.

ALBINE.

Ah, madame! ah, seigneur ! courez vers l'empereur; Venez sauver César de sa propre fureur;

Il se voit pour jamais séparé de Junie.

AGRIPPINE.

Quoi! Junie elle-même a terminé sa vie?

ALBINE.

Pour accabler César d'un éternel ennui,

Madame, sans mourir elle est morte pour lui.
Vous savez de ces lieux comme elle s'est ravie :
Elle a feint de passer chez la triste Octavie ;
Mais bientôt elle a pris des chemins écartés,
Où mes yeux ont suivi ses pas précipités.
Des portes du palais elle sort éperdue.
D'abord elle a d'Auguste aperçu la statue;
Et mouillant de ses pleurs le marbre de ses pieds,
Que de ses bras pressants elle tenait liés :

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Prince, par ces genoux, dit-elle, que j'embrasse,
Protége en ce moment le reste de ta race:

<< Rome, dans ton palais, vient de voir immoler
<< Le seul de tes neveux qui te pût ressembler.
« On veut après sa mort que je lui sois parjure.

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Mais, pour lui conserver une foi toujours pure,
« Prince, je ne dévoue à ces dieux immortels
"Dont ta vertu t'a fait partager les autels. »
Le peuple cependant, que ce spectacle étonne,
Vole de toutes parts, se presse, l'environne,
S'attendrit à ses pleurs, et, plaignant son ennui,
D'une commune voix la prend sous son appui.
Hs la mènent au temple, où depuis tant d'années
Au culte des autels nos vierges destinées
Gardent fidèlement le dépôt précieux

Du feu toujours ardent qui brûle pour nos dieux
César les voit partir sans oser les distraire.
Narcisse, plus hardi, s'empresse pour lui plaire :
Il vole vers Junie, et, sans s'épouvanter,
D'une profane main commence à l'arrêter.
De mille coups mortels son audace est punie;
Son infidèle sang rejaillit sur Junie.
César, de tant d'objets en même temps frappé,
Le laisse entre les mains qui l'ont enveloppé.
Il rentre. Chacun fuit son silence farouche :
Le seul nom de Junie échappe de sa bouche.
Il marche sans dessein: ses yeux mal assurés
N'osent lever au ciel leurs regards égarés :
Et l'on craint, si la nuit jointe à la solitude
Vient de son désespoir aigrir l'inquiétude,
Si vous l'abandonnez plus longtemps sans secours,
Que sa douleur bientôt n'attente sur ses jours.

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