ARBATE. Il vit, chargé de gloire, accablé de douleurs. Ne vous a pas vous seule et sans cause alarmée; Le roi, trompé lui-même, en a versé des larmes, Des poisons que lui-même a crus les plus fidèles; П les a trouvés tous sans force et sans vertu. << Vain secours, a-t-il dit, que j'ai trop combattu! << Contre tous les poisons soigneux de me défendre, << J'ai perdu tout le fruit que j'en pouvais attendre. « Essayons maintenant des secours plus certains, « Et cherchons un trépas plus funeste aux Romains. Il parle; et, défiant leurs nombreuses cohortes, Du palais, à ces mots, il fait ouvrir les portes. A l'aspect de ce front dont la noble fureur Tant de fois dans leurs rangs répandit la terreur, Vous les eussiez vus tous, retournant en arrière, Laisser entre eux et nous une large carrière; Et déjà quelques-uns couraient épouvantés Jusque dans les vaisseaux qui les ont apportés. Mais, le dirai-je ? ◊ ciel! rassurés par Pharnace, Et la honte en leurs cœurs réveillant leur audace, Ils reprennent courage, ils attaquent le roi, Qu'un reste de soldats défendait avec moi. Qui pourrait exprimer par quels faits incroyables, Quels coups, accompagnés de regards effroyables, Son bras, se signalant pour la dernière fois, A de ce grand héros terminé les exploits? Enfin, las et couvert de sang et de poussière, Il s'était fait de morts une noble barrière. Un autre bataillon s'est avancé vers nous :. Les Romains pour le joindre ont suspendu leurs coups; Juste ciel! MONIME. ARBATE. Xipharès toujours resté fidèle, Et qu'au fort du combat une troupe rebelle, Par ordre de son frère, avait enveloppé, Mais qui, d'entre leurs bras à la fin échappé, Forçant les plus mutins, et regagnant le reste, Heureux et plein de joie en ce moment funeste, A travers mille morts, ardent, victorieux, S'était fait vers son père un chemin glorieux. Jugez de quelle horreur cette joie est suivie : Son bras aux pieds du roi l'allait jeter sans vie; Mais on court, on s'oppose à son emportement. Le roi m'a regardé dans ce triste moment, Et m'a dit, d'une voix qu'il poussait avec peine : << S'il en est temps encor, cours, et sauve la reine.>> Ces mots m'ont fait trembler pour vous, pour Xipharès : J'ai craint, j'ai soupçonné quelques ordres secrets.. Tout lassé que j'étais, ma frayeur et mon zèle M'ont donné pour courir une force nouvelle; Et, malgré nos malheurs, je me tiens trop heureux Ah! que, MONIME. de tant d'horreurs justement étonnée, Il vient. Quel nouveau trouble excite en mes esprits SCÈNE V. MITHRIDATE, MONIME, XIPHÀRÈS, ARBATE, PHŒEDIME, ARCAS; GARDES qui soutiennent Mithridate. MONIME. Ah! que vois-je, seigneur, et quel sort est le vôtre ! MITHRIDATE. Cessez et retenez vos larmes l'un et l'autre ; (Montrant Xiphares.) Mon sort de sa tendresse et de votre amitié Il épargne à ma mort leur présence importune. De tout ce que mon trône eut de plus éclatant! MONIME. Vivez, scigneur, vivez pour le bonheur du monde, C'en est fait, madame, et j'ai vécu. Mon fils, songez à vous gardez-vous de prétendre Que de tant d'ennemis vous puissiez vous défendre. Bientôt tous les Romains, de leur honte irrités, Viendront ici sur vous fondre de tous côtés. Ne perdez point le temps que vous laisse leur fuite Cachez-leur pour un temps vos noms et votre vie. XIPUARÈS. Moi, seigneur, que je fuie? Que Pharnace impuni, les Romains triomphants, N'éprouvent pas bientôt... MITHRIDATE. Non, je vous le défends. Tôt ou tard il faudra que Pharnace périsse : Fiez-vous aux Romains du soin de son supplice. Mais je sens affaiblir ma force et mes esprits. Je sens que je me meurs... Approchez-vous, mon fils; Dans cet embrassement dont la douceur me flatte, Venez, et recevez l'âme de Mithridate. Il expire. MONIME. XIPHARÈS. Ah, madame! unissons nos douleurs, Et par tout l'univers cherchons-lui des vengeurs. PRÉFACE D'IPHIGÉNIE. Il n'y a rien de plus célèbre dans les poètes que le sacrifice d'Iphigénie: mais ils ne s'accordent pas tous ensemble sur les plus importantes particularités de ce sacrifice. Les uns, comme Eschyle dans AGAMEMNON, Sophocle dans ÉLECTRE, et, après eux, Lucrèce, Horace et beaucoup d'autres, veulent qu'on ait en effet répandu le sang d'Iphigénie, fille d'Agamemnon, et qu'elle soit morte en Aulide. Il ne laut que lire Lucrèce au commencement de son premier livre : Aulide quo pacto Trivial virginis aram Iphianassal turparunt sanguine fœde Et Clytemnestre dit dans Eschyle qu'Agamemnon son mari, qui vient d'expirer, rencontrera dans les enfers Iphigénie sa fille, qu'il a autrefols immolée. D'autres ont feint que Diane ayant eu pitié de cette jeune princesse, l'avalt enlevée et portée dans la Tauride au moment qu'on l'allait sacrifier, et que la déesse avait fait trouver en sa place ou une biche, ou une autre victime de cette nature. Euripide a suivi cette fable, et Ovide l'a mise au nombre des métamorphoses. Il y a une troisième opinion, qui n'est pas moins ancienne que les deux autres, sur Iphigénie. Plusieurs auteurs, et entre autres Stésichorus, l'un des plus anciens poëtes lyriques, ont écrit qu'il était bien vrai qu'une princesse de ce nom avait été saerifiée, mais que cette Iphigénie était une fille qu'Hélène avait eue de Thésée. Hélène, disent ces auteurs, ne l'avait osé avouer pour sa fille, parce qu'elle n'osait déclarer à Ménélas qu'elle eût été mariée en secret avec Thésée. Pausanias (Corinth., pag. 125 ) rapporte et le témoignage et les noms des poètes qui ont été de ce sentiment; et il ajoute que c'était la créance commune de tout le pays d'Argos. Homère enfin, le père des poëtes, a si peu prétendu qu'Iphigénie, fille d'Agamemnon, eût été ou sacrifiée en Aulide, ou transportée dans la Scythie, que, dans le neuvième livre de l'Iliade, c'est-à-dire près de dix ans depuis l'arrivée des Grecs devant Trole, Agamemnon fait offrir en mariage à Achille sa fille Iphigénie, qu'il a, dit-il, laissée à Mycènes, dans sa maison. J'ai rapporté tous ces avis si différents, et surtout le passage de Pausanias, parce que c'est à cet auteur que je dois l'heureux personnage d'Eriphile, sans lequel je n'aurais jamais osé entreprendre cette tragódie. Quelle apparence que j'eusse souillé la scène par le meurtre horrible d'une personne aussi vertueuse et aussi aimable qu'il fallait représenter Iphigénie? Et quelle apparence encore de dénouer ma tragédie par le secours d'une déesse et d'une machine, et par une métamorphose qui pouvait bien trouver quelque créance du temps d'Euripide, mais qui serait trop absurde et trop incroyable parmi nous? Je puls dire donc que j'ai été très-heureux de trouver dans les anciens cette autre Iphigénie, que j'ai pu representer telle qu'il m'a plu, et qui, tombant dans le malheur où cette amante jalouse voulait précipiter sa rivale, mérite en quelque façon d'être punie, sans être pourtant tout à fait indigne de compassion. Ainsi le dénouement de la pièce est |