A nous vendre leur mort semblent se préparer.
Désarmez les vaincus sans les désespérer Madame, allons fléchir une fière princesse, Afin qu'à mon amour Taxile s'intéresse ; Et, puisque mon repos doit dépendre du sien, Achevons son bonheur pour établir le mien.
N'entendrons-nous jamais que des cris de victoire Qui de mes ennemis me reprochent la gloire? Et ne pourrai-je au moins, en de si grands malheurs, M'entretenir moi seule avecque mes douleurs? D'un odieux amant sans cesse poursuivie,
On prétend, malgré moi, m'attacher à la vie : On m'observe; on me suit. Mais, Porus, ne crois pas Qu'on me puisse empêcher de courir sur tes pas. Sans doute à nos malheurs ton cœur n'a pu survivre : En vain tant de soldats s'arment pour te poursuivre, On te découvrirait au bruit de tes efforts;
Et s'il te faut chercher, ce n'est qu'entre les morts. Hélas! en me quittant, ton ardeur redoublée Semblait prévoir les maux dont je suis accablée, Lorsque tes yeux, aux miens découvrant ta langueur Me demandaient quel rang tu tenais dans mon cœur ; Que, sans t'inquiéter du succès de tes armes, Le soin de ton amour te causait tant d'alarmes. Et pourquoi te cachais-je avec tant de détours Un secret si fatal au repos de tes jours? Combien de fois, tes yeux forçant ma résistance, Mon cœur s'est-il vu près de rompre le silence! Combien de fois, sensible à tes ardents désirs, M'est-il en ta présence échappé des soupirs! Mais je voulais encor douter de ta victoire;
J'expliquais mes soupirs en faveur de la gloire ; Je croyais n'aimer qu'elle. Ah! pardonne, grand roi, Je sens bien aujourd'hui que je n'aimais que toi. J'avouerai que la gloire eut sur moi quelque empire; Je te l'ai dit cent fois : mais je devais te dire Que toi seul, en effet, m'engageas sous ses lois. J'appris à la connaître en voyant tes exploits; Et, de quelque beau feu qu'elle m'eût enflammée, En un autre que toi je l'aurais moins aimée. Mais que sert de pousser des soupirs superflus Qui se perdent en l'air et que tu n'entends plus? Il est temps que mon âme, au tombeau descendue, Te jure une amitié si longtemps attendue; Il est temps que mon cœur, pour gage de sa foi, Montre qu'il n'a pu vivre un moment après toi. Aussi bien, penses-tu que je voulusse vivre Sous les lois d'un vainqueur à qui ta mort nous livre? Je sais qu'il se dispose à me venir parler,
Qu'en me rendant mon sceptre il veut me consoler. Il croit peut-être, il croit que ma haine étouffée A sa fausse douceur servira de trophée! Qu'il vienne. Il me verra, toujours digne de toi, Mourir en reine, ainsi que tu mourus en roi.
SCÈNE II.
ALEXANDRE, AXIANE.
Eh bien, seigneur, eh bien, trouvez-vous quelques charmes A voir couler des pleurs que font verser vos armes ?
Ou si vous m'enviez, en l'état où je suis,
La triste liberté de pleurer mes ennuis?
Votre douleur est libre autant que légitime : Vous regrettez, madame, un prince magnanime. Je fus son ennemi; mais je ne l'étais pas
Jusqu'à blâmer les pleurs qu'on donne à son trépas. Avant que sur ses bords l'Inde me vît paraître, L'éclat de sa vertu me l'avait fait connaître; Entre les plus grands rois il se fit remarquer : Je savais...
Pourquoi donc le venir attaquer?
Par quelle loi faut-il qu'aux deux bouts de la terre Vous cherchiez la vertu pour lui faire la guerre? Le mérite à vos yeux ne peut-il éclater
Sans pousser votre orgueil à le persécuter?
Oui, j'ai cherché Porus: mais, quoi qu'on puisse dire, Je ne le cherchais pas afin de le détruire.
J'avouerai que, brûlant de signaler mon bras, Je me laissai conduire au bruit de ses combats, Et qu'au seul nom d'un roi jusqu'alors invincible A de nouveaux exploits mon cœur devint sensible. Tandis que je croyais par mes combats divers Attacher sur moi seul les yeux de l'univers, J'ai vu de ce guerrier la valeur répandue Tenir la renommée entre nous suspendue; Et, voyant de son bras voler partout l'effroi, L'Inde sembla m'ouvrir un champ digne de moi. Lassé de voir des rois vaincus sans résistance, J'appris avec plaisir le bruit de sa vaillance : Un ennemi si noble a su m'encourager; Je suis venu chercher la gloire et le danger. Son courage, madame, a passé mon attente : La victoire, à me suivre autrefois si constante, M'a presque abandonné pour suivre vos guerriers. Porus m'a disputé jusqu'aux moindres lauriers : Et j'ose dire encor qu'en perdant la victoire Mon ennemi lui-même a vu croître sa gloire; Qu'une chute si belle élève sa vertu, Et qu'il ne voudrait pas n'avoir point combattu.
Hélas! il fallait bien qu'une si noble envie Lui fit abandonner tout le soin de sa vie, Puisque, de toutes parts trahi, persécuté, Contre tant d'ennemis il s'est précipité. Mais vous, s'il était vrai que son ardeur guerrière Eût ouvert à la vôtre une illustre carrière, Que n'avez-vous, seigneur, dignement combattu? Fallait-il par la ruse attaquer sa vertu,
Et, loin de remporter une gloire parfaite,
D'un autre que de vous attendre sa défaite? Triomphez mais sachez que Taxile en son cœur Vous dispute déjà ce beau nom de vainqueur Que le traître se flatte, avec quelque justice Que vous n'avez vaincu que par son artifice. Et c'est à ma douleur un spectacle assez doux De le voir partager cette gloire avec vous.
En vain votre douleur s'arme contre ma gloire : Jamais on ne m'a vu dérober la victoire,
Et par ces lâches soins, qu'on ne peut m'imputer, Tromper mes ennemis au Heu de les dompter. Quoique partout, ce semble, accablé sous le nombr Je n'ai pu me résoudre à me cacher dans l'ombre : Ils n'ont de leur défaite accusé que mon bras; Et le jour a partout éclairé mes combats.
Il est vrai que je plains le sort de vos provinces : J'ai voulu prévenir la perte de vos princes; Mais, s'ils avaient suivi mes conseils et mes vœux Je les aurais sauvés ou combattus tous deux. Oui, croyez...
Je crois tout. Je vous crois invincible : Mais, seigneur, suffit-il que tout vous soit possible? Ne tient-il qu'à jeter tant de rois dans les fers, Qu'à faire impunément gémir tout l'univers? Et que vous avaient fait tant de villes captives, Tant de morts dont l'Hydaspe a vu couvrir ses rives? Qu'ai-je fait, pour venir accabler en ces lieux Un héros sur qui seul j'ai pu tourner les yeux? A-t-il de votre Grèce inondé les frontières ? Avons-nous soulevé des nations entières, Et contre votre gloire excité leur courroux? Hélas! nous l'admirions sans en être jaloux. Contents de nos États, et charmés l'un de l'autre, Nous attendions un sort plus heureux que le vôtre : Porus bornait ses vœux à conquérir un cœur Qui peut-être aujourd'hui l'eût nommé son vainqueur. Ah! n'eussiez-vous versé qu'un sang si magnanime; Quand on ne vous pourrait reprocher que ce crime; Ne vous sentez-vous pas, seigneur, bien malheureux
D'être venu si loin rompre de si beaux nœuds? Non, de quelque douceur que se flatte votre âme, Vous n'êtes qu'un tyran.
Je le vois bien, madame.
Vous voulez que, saisi d'un indigne courroux, En reproches honteux j'éclate contre vous: Peut-être espérez-vous que ma douceur lassée Donnera quelque atteinte à sa gloire passée. Mais quand votre vertu ne m'aurait point charmé, Vous attaquez, madame, un vainqueur désarmé : Mon âme, malgré vous à vous plaindre engagée, Respecte le malheur où vous êtes plongée. C'est ce trouble fatal qui vous ferme les yeux, Qui ne regarde en moi qu'un tyran odieux : Sans lui vous avoueriez que le sang et les larmes N'ont pas toujours souillé la gloire de mes armes; Vous verriez...
Ah! seigneur,puis-je ne les point voir Ces vertus dont l'éclat aigrit mon désespoir ? N'ai-je pas vu partout la victoire modeste Perdre avec vous l'orgueil qui la rend si funeste? Ne vois-je pas le Scythe et le Perse abattus Se plaire sous le joug et vanter vos vertus, Et disputer enfin, par une aveugle envie, A vos propres sujets le soin de votre vie? Mais que sert à ce cœur que vous persécutez De voir partout ailleurs adorer vos bontés? Pensez-vous que ma haine en soit moins violente, Pour voir baiser partout la main qui me tourmente? Tant de rois par vos soins vengés ou secourus, Tant de peuples contents, me rendent-ils Porus?
Non, seigneur je vous hais d'autant plus qu'on vous aime, D'autant plus qu'il me faut vous admirer moi-même;
Que l'univers entier m'en impose la loi,
Et que personne enfin ne vous hait avec moi.
J'excuse les transports d'une amitié si tendre.
Mais, madame, après tout, ils doivent me surprendre :
Si la commune voix ne m'a point abusé,
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