BIBLIOTHÈQUE DES ROMANS, DANS laquelle on donne l'analyse raisonnée des Par une Société de Gens de Lettres. SIXIÈME ANNÉ E. TOME SIXIÈME. A PARIS, Au Bureau, chez DEMONVILLE, Imprimeur- Et chez DENTU, Imprimeur-Libraire, Palais du AN XII. - 1804. BIBLIOTHEQUE DES ROMANS. CLARICE VISCONTI, ANECDOTE PARTICULIÈRE DU REGNE DE FRANÇOIS Ier NOUVELLE TIRÉE DE L'HISTOIRE DU XVIe SIÈCLE. CLARICE VISCONTI, la femme la plus belle et la plus infortunée de son siècle ne peut manquer d'inspirer un grand intérêt. Mais avant de rapporter les événemens qui la concernent personnellement, il nous semble indispensable de rappeler les époques de l'histoire sur lesquelles l'anecdote, qui fait le sujet de cette nouvelle, est fondée. L'ITALIE, long-tems soumise à l'autorité des Empereurs, avait enfin recouvré sa liberté. Les Visconti n'avaient été d'abord que simples gouverneurs du Milanais : le consentemeut des Empereurs, entraîné par le vœu fortement prononcé du peuple, leur conféra le titre et la jouissance de ce Duché. Jean Galéas Visconti eut trois enfans, savoir Valerine Visconti, qui épousa le fameux duc d'Orléans, tué par le duc de Bourgogne, Jean Marie, et Philippe Marie, ses deux fils. Il partagea ses états entre les deux derniers. Jean, abhorré de ses sujets à cause de ses cruautés inouies, mourut sans enfans et perdu de débauche, et Philippe succéda à son frere; mais trop faible pour se soutenir contre des voisins inquiets et jaloux de son agrandissement, il épousa Béatrix veuve de Facino, l'un des généraux de son frère. Cette femme lui apporta en dot beaucoup d'argent et d'excellentes troupes, accoutumées à vaincre; avec ce secours, il rentra dans le Milanais et se fit reconnaître Duc de Milan par le peuple. son champ, Un nommé Attendula, simple paysan de Cottignol, dans la Romagne, en labourant vit passer un régiment napo-" litain; par une espèce d'enthousiasme ou d'inspiration, il détache le coûtre de sa charrue, et d'un bras vigoureux le jette sur un arbre « Si tu retombes dit-il, toute » ma vie, je labourerai cette terre; si tu » restes, je pars, et je suis ces soldats ». Le coûtre est retenu, le paysan s'enrôle passe par tous les grades militaires, et s'y fait distinguer par des actions d'éclat. Toujours craint par sa force extraordinaire, estimé par sa conduite, il parvint à être général Bientôt il acheta des terres, s'en appropria d'autres et fut nommé comte de Cottignol (du lieu de sa naissance), et recherché par tous les princes d'Italie, qui se disputaient son alliance. Il épousa succesivement trois fem mes de la plus haute noblesse; toutes trois lui donnèrent des enfans, qui vraisemblablement moururent jeunes, puisque l'histoire n'en a pas parlé. Mais Lucile de Trésane, avec le seul titre de sa maîtresse, lui donna deux fils, François et Alcxandre Sforce. Ce nom avoit été donné à Attendula, parce qu'étant soldat, il ne parlait que de vaincre, de piller, d'enlever tout par force. Il voulut toujours garder ce nom et le transmit à sa famille. pas la n'eut François Sforce, l'aîné de ses fils, de moindres talens lui que pour guerre; il fut un des meilleurs généraux de Philippe Visconti, lui gagna plusieurs batailles importantes, et devint amoureux de Blanche sa fille naturelle. Philippe s'offença de cet amour, et l'en punit par des désagrémens si sensibles, que Sforce, malgré son attachement pour Blanche , passa du côté des Vénitiens. Philippe eut bientôt lieu d'apprécier la perte qu'il avait faite. Ses troupes furent battues à diverses reprises, il perdit une partie de ses états, et crut ne pouvoir mieux réparer ces malheurs qu'en mettant tout en usage pour rappeler François Sforce. Celui-ci |