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Dieux! De mes serviteurs la cohorte fidèle
Me trouvera toujours humain, compatissant,
A leurs justes désirs facile et complaisant,
Afin qu'ils soient heureux, et qu'ils aiment leur maître,
Et bénissent en paix l'instant qui les vit naître.

LE BERGER.

Et moi, je le maudis cet instant douloureux
Qui me donna le jour pour être malheureux;
Pour agir quand un autre exige, veut, ordonne;
Pour n'avoir rien à moi, pour ne plaire à personne;
Pour endurer la faim, quand ma peine et mon deuil
Engraissent d'un tyran l'indolence et l'orgueil.

LE CHEVRIER.

Berger infortuné, ta plaintive détresse

De ton cœur dans le mien fait passer la tristesse.
Vois cette chèvre mère et ces chevreaux, tous deux
Aussi blancs que le lait qu'elle garde pour eux:
Qu'ils aillent avec toi, je te les abandonne.
Adieu! Puisse du moins ce peu que je te donne
De ta triste mémoire effacer tes malheurs,
Et, soigné par tes mains, distraire tes douleurs!

LE BERGER.

Oui, donne et sois maudit: car, si j'étais plus sage...
Ces dons sont pour mon cœur d'un sinistre présage:
De mon despote avare ils choqueront les yeux;
Il ne croit pas qu'on donne. Il est fourbe, envieux :

Il dira que chez lui j'ai volé le salaire

Dont j'aurai pu payer les chevreaux et la mère; Et, d'un si bon prétexte ardent à se servir, C'est à moi que lui-même il viendra les ravir.

IV.

LE MALADE.

« APOLLON, Dieu sauveur, Dieu des savans mystères, « Dieu de la vie, et Dieu des plantes salutaires, << Dieu vainqueur de Python, Dieu jeune et triomphant, << Prends pitié de mon fils, de mon unique enfant! <«< Prends pitié de sa mère, aux larmes condamnée, Qui ne vit que pour lui, qui meurt abandonnée; Qui n'a pas dû rester pour voir mourir son fils!

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«< Dieu jeune, viens aider sa jeunesse! Assoupis,

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Assoupis dans son sein cette fièvre brûlante

Qui dévore la fleur de sa vie innocente !

Apollon, si jamais, échappé du tombeau,

<«< Il retourne au Ménale avoir soin du troupeau, <«< Ces mains, ces vieilles mains orneront ta statue << De ma coupe d'onyx, à tes pieds suspendue; « Et, chaque été nouveau, d'un taureau mugissant <«< La hache à ton autel fera couler le sang.

«< Eh bien, mon fils, es-tu toujours impitoyable?
<< Ton funeste silence est-il inexorable?
<«< Enfant, tu veux mourir? Tu veux, dans ses

vieux ans,

« Laisser ta mère seule avec ses cheveux blancs?
<«<Tu veux que ce soit moi qui ferme ta paupière?

Que j'unisse ta cendre à celle de ton père? « C'est toi qui me devais ces soins religieux; <<< Et ma tombe attendait tes pleurs et tes adieux. «Parle, parle, mon fils: quel chagrin te consume? <«<Les maux qu'on dissimule en ont plus d'amertume. « Ne lèveras-tu point ces yeux appesantis?

<«<- Ma mère, adieu! je meurs; et tu n'as plus de fils.
<< Non, tu n'as plus de fils, ma mère bien aimée:
« Je te perds. Une plaie ardente, envenimée,
<< Me ronge; avec effort je respire; et je crois
Chaque fois respirer pour la dernière fois.

« Je ne parlerai pas: adieu! Ce lit me blesse;
<< Ce tapis qui me couvre accable ma faiblesse;
<«< Tout me pèse, et me lasse. Aide-moi, je me meurs.
<«< Tourne-moi sur le flanc; ah! j'expire! ô douleurs!

<«<-Tiens, mon unique enfant, mon fils, prends ce breuvage: <<< Sa chaleur te rendra ta force et ton courage.

<< La mauve, le dictame, ont avec les pavots
<< Mêlé leurs sucs puissans qui donnent le repos.
« Sur le vase bouillant, attendrie à mes larmes,
<< Une Thessalienne a composé des charmes.
<< Ton

corps débile a vu trois retours du soleil
<< Sans connaître Cérès, ni tes yeux le sommei!:
<< Prends, mon fils; laisse-toi fléchir à ma prière;

« C'est ta mère, ta vieille, inconsolable mère << Qui pleure; qui jadis te guidait pas à pas,

<«< T'asseyait sur son sein, te portait dans ses bras;

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Que tu disais aimer, qui t'apprit à le dire;

Qui chantait, et souvent te forçait à sourire << Lorsque tes jeunes dents, par de vives douleurs, << De tes yeux enfantins faisaient couler des pleurs. <<< Tiens, presse de ta lèvre, hélas! pâle et glacée, « Par qui cette mamelle était jadis pressée, « Un suc qui te nourrisse et vienne à ton secours, « Comme autrefois mon lait nourrit tes premiers jours.

«<-O coteaux d'Érymanthe! ô vallons! ô bocage! << O Vent sonore et frais qui troublais le feuillage, « Et faisais frémir l'onde, et sur leur jeune sein

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Agitais les replis de leur robe de lin!

<< De légères beautés, troupe agile et dansante.... << Tu sais, tu sais, ma mère : aux bords de l'Érymanthe, <«< Là, ni loups ravisseurs, ni serpens, ni poisons! « O visage divin! ô fêtes! ô chansons!

<< Des pas entrelacés, des fleurs, une onde pure... << Aucun lieu n'est si beau dans toute la nature. << Dieux! ces bras et ces fleurs, ces cheveux, ces pieds nus <«< Si blancs, si délicats : je ne les verrai plus! << Oh! portez, portez-moi sur les bords d'Érymanthe! << Que je la voie encor, cette vierge charmante! <«<O! que je voie au loin la fumée à longs flots « S'élever de ce toit au bord de cet enclos!...

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