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ÉLÉGIE XIX.

MAIS ne m'a-t-elle pas juré d'être infidèle?

Mais n'est-ce donc pas moi qu'elle a banni loin d'elle?
Mais sa voix intrépide, et ses yeux et son front,
Ne se vantaient-ils pas de m'avoir fait affront?
C'est donc pour essuyer quelque nouvel outrage,
Pour l'accabler moi-même et d'insulte et de
rage,
La prier, la maudire, invoquer le cercueil,
Que je retourne encor vers son funeste seuil,
Errant dans cette nuit turbulente, orageuse,
Moins que ce triste cœur noire et tumultueuse?

Ce n'était pas ainsi que, sans crainte et sans bruit,
Jadis à la faveur d'une plus belle nuit,
Invisible, attendu par des baisers de flamme!...
O toi, jeune imprudent que séduit une femme,
Si ton cœur veut en croire un cœur trop agité,
Ne courbe point ta tête au joug de la Beauté.
Ris plutôt de ses feux, et méprise ses charmes;
Vois d'un œil sec et froid ses soupirs et ses larmes;
Règne en tyran cruel; aime à la voir souffrir;

Laisse-la toute seule et transir et mourir :

Tous ses soupirs sont faux, ses larmes infidèles,

Son souris venimeux, ses caresses mortelles.

Ah! si tu connaissais de quel art inoui

La perfide enivra ce cœur qu'elle a trahi!

De quel art ses discours ( faut-il qu'il m'en souvienne!)
Me faisaient voir sa vie attachée à la mienne!
Avait-elle bien pu vivre et ne m'aimer pas?
Combien de fois, de joie expirante en mes bras,
Faible, exhalant à peine une voix amoureuse :
<«< Ah! Dieux! s'écriait-elle, ah! que je suis heureuse! »
Combien de fois encor, d'une brûlante main
Pressant avec fureur ma tête sur son sein,
Ses cris me reprochaient des caresses paisibles!
Mes baisers, à l'entendre, étaient froids, insensibles;
Le feu qui la brûlait ne pouvait m'enflammer;
Et mon sexe cruel ne savait point aimer.
Et moi, fier et confus de son inquiétude,
Je faisais le procès à mon ingratitude:
Je plaignais son amour, et j'accusais le mien;
Je haïssais mon cœur, si peu digne du sien.

Je frissonne. Ah! je sens que je m'approche d'elle.
Oui, je la vois, grands Dieux! cette maison cruelle
Que sans trouble jamais n'abordèrent mes pas!
Mais ce trouble était doux, et je ne mourais pas;
Mais elle n'avait point, sans pitié, même feinte,
Rassasié mon cœur et de fiel et d'absinthe.
Ah! d'affronts aujourd'hui je la veux accabler;
De véritables pleurs de ses yeux vont couler;

Tout ce qu'ont de plus dur l'insulte, la colère:
Je veux... Mais essayons plutôt ce que peut faire
Ce silence indulgent qui semble caresser,

Qui pardonne et rassure, et plaint sans offenser.
Oui laissons le dépit et l'injure farouche.
Allons, je veux entrer le rire sur la bouche,
Le front calme et serein. Camille, je veux voir
S'il est vrai que la paix soit toute en mon pouvoir.
Prends courage, mon cœur: de douces espérances
Me disent qu'aujourd'hui finiront tes souffrances.

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ÉLÉGIE XX.

(Dans le goût ancien.)

PLEUREZ, doux Alcyons! ô vous, Oiseaux sacrés, Oiseaux chers à Thétis, doux Alcyons, pleurez!

Elle a vécu, Myrto, la jeune Tarentine!

Un vaisseau la portait aux bords de Camarine1.
Là l'Hymen, les Chansons, les Flûtes, lentement
Devaient la reconduire au seuil de son amant.
Une clef vigilante a, pour cette journée,
Sous le cèdre enfermé sa robe d'hyménée,
Et l'or dont au festin ses bras seront parés,
Et pour ses blonds cheveux les parfums préparés.
Mais, seule sur la proue, invoquant les étoiles,
Le vent impétueux qui soufflait dans ses voiles
L'enveloppe : étonnée, et loin des matelots,
Elle tombe, elle crie, elle est au sein des flots.

Elle est au sein des flots, la jeune Tarentine!
Son beau corps a roulé sous la vague marine.

1. L'une des îles Philippines, situées dans la mer Orientale et découvertes par Magellan. (Note de l'Éditeur.)

Thétis, les yeux en pleurs, dans le creux d'un rocher,
Aux monstres dévorans eut soin de le cacher.

Par son ordre bientôt les belles Néréides
S'élèvent au-dessus des demeures humides,
Le poussent au rivage, et dans ce monument
L'ont, au Cap du Zéphir, déposé mollement;
Et de loin, à grands cris appelant leurs compagnes,
Et les Nymphes des bois, des sources, des montagnes,
Toutes, frappant leur sein, et traînant un long deuil,
Répétèrent, hélas! autour de son cercueil:

<«< Hélas! chez ton amant tu n'es point ramenée; <«< Tu n'as point revêtu ta robe d'hyménée;

<< L'or autour de ton bras n'a point serré de nœuds;

«

« Et le bandeau d'hymen n'orna point tes cheveux ! »

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