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SUR UN GROUPE

DE JUPITER ET EUROPE.

ÉTRANGER! ce taureau qu'au sein des mers profondes
D'un pied léger et sûr tu vois fendre les ondes,
Est le seul que jamais Amphitrite ait porté.
Il nage aux bords crétois. Une jeune beauté,
Dont le vent fait voler l'écharpe obéissante,
Sur ses flancs est assise; et d'une main tremblante
Tient sa corne d'ivoire; et, les pleurs dans les yeux,
Appelle ses parens, ses compagnes, ses jeux;
Et, redoutant la vague et ses assauts humides,
Retire et veut sous soi cacher ses pieds timides.

L'art a rendu l'airain fluide et frémissant :
On croit le voir flotter. Ce nageur mugissant,
Ce taureau, c'est un Dieu: c'est Jupiter lui-même,
Dans ces traits déguisés, du Monarque suprême
Tu reconnais encor et la foudre et les traits.
Sidon l'a vu descendre au bord de ses guérets,
Sous ce front emprunté couvrant ses artifices,
Brillant objet des vœux de toutes les génisses,

La vierge tyrienne, Europe, son amour,
Imprudente, le flatte: il la flatte à son tour;
Et, se fiant à lui, la Belle désirée

Ose asseoir sur son flanc cette charge adorée.
Il s'élance dans l'onde; et le divin nageur,
Le taureau roi des Dieux, l'humide ravisseur,
A déja passé Chypre et ses rives fertiles;
Il approche de Crète, et va voir les cent villes..

A M. DE PANGE L'AINÉ.

HEUREUX qui, se livrant aux sages disciplines,
Nourri du lait sacré des antiques doctrines,
Ainsi que de talens, a jadis hérité

D'un bien modique et sûr qui fait la liberté!
Il a, dans sa paisible et sainte solitude,
Du loisir, du sommeil, et les bois, et l'étude;
Le banquet des amis, et quelquefois, les soirs,
Le baiser jeune et frais d'une belle aux yeux noirs.
Il ne faut point qu'il dompte un ascendant suprême,
Opprime son génie, et s'éteigne lui-même,
Pour user, sans honneur, et sa plume et son tems
A des travaux obscurs, tristement importans.
Il n'a point, pour pousser sa barque vagabonde,
A se précipiter dans les flots du grand monde;
Il n'a point à souffrir vingt discours odieux
De raisonneurs, méchans encor plus qu'ennuyeux,
Tels qu'en de longs détours de disputes frivoles
Hurlent de vingt partis les prétentions folles :
Prêtres et Gens de cour, ambitieux tyrans;
Nobles et Magistrats, superbes ignorans;
Tous vieux usurpateurs, et voraces corsaires,

Et dignes héritiers de l'esprit de nos pères.

Il n'entend point tonner le chef-d'œuvre ampoulé D'un sourcilleux rimeur au fauteuil installé;

Il ne doit point toujours déguiser ce qu'il pense, Imposer à son âme un éternel silence,

Trahir la vérité pour avoir le repos,

Et feindre d'être un sot pour vivre avec les sots.

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LES DEUX RATS,

FABLE.

(HORACE, sat. 6, liv. II.)

Un jour le rat des champs, ami du rat de ville,
Invita son ami dans son rustique asile.

Il était économe, et soigneux de son bien;
Mais l'hospitalité, leur antique lien,

Fit les frais de ce jour, comme d'un jour de fête.
Tout fut prêt lard, raisin, et fromage, et noisette.
Il cherchait par le luxe et la variété

A vaincre les dégoûts d'un hôte rebuté,
Qui, parcourant de l'oeil sa table officieuse,
Jetait sur tout à peine une dent dédaigneuse;
Et lui, d'orge et de blé faisant tout son repas,
Laissait au citadin les mets plus délicats.

<< Ami! dit celui-ci, veux-tu, dans la misère, « Vivre au dos escarpé de ce mont solitaire, « Ou préférer le monde à tes tristes forêts? << Viens; crois-moi, suis mes pas: la ville est ici près.

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