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Le messager

de mort, noir recruteur des ombres, Escorté d'infâmes soldats,

Remplira de mon nom ces longs corridors sombres!

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MÉLANGES

EN PROSE.

London, Covent-Garden, hood's tavern.
Vendredi, 3 avril 1789, à 7 heures du soir.

COMME je m'ennuie fort ici, après y avoir assez mal dîné, et que je ne sais où aller attendre l'heure de se présenter dans quelque société, je vais tâcher de laisser fuir une heure et demie sans m'en apercevoir, en barbouillant un papier que j'ai demandé. Je ne sais absolument point ce que je vais écrire: je m'en inquiète peu. Quelque absurde et vide, et insignifiant que cela puisse être (et cela ne saurait guère l'être autant que la conversation de deux Anglais qui mangent à une table à côté de moi, et qui écorchent de tems en tems quelques mots de français, afin de me faire voir qu'ils savent ou plutôt qu'ils ne savent pas ma langue), je reverrai peut-être un jour cette rapsodie, et je ne me rappellerai pas sans plaisir (car il y en a à se rappeler le passé) la triste circonstance qui m'a fait dîner ici tout seul.

Ceux qui ne sont pas heureux aiment et cherchent la solitude. Elle est pour eux un grand mal encore plus qu'un grand plaisir: alors le sujet

de leur chagrin se présente sans cesse à leur imagination, seul, sans mélange, sans distraction; ils repassent, avec larmes, dans leur mémoire ce qu'ils y ont déja repassé cent fois avec larmes; ils ruminent du fiel; ils souffrent des souffrances passées et présentes; ils souffrent même de l'avenir; car, quoique un peu d'espérance se mêle toujours au milieu de tout, cependant l'expérience rend méfiant; et cette inquiétude est un état pénible. On s'accoutume à tout, même à souffrir.

Oui, vous avez raison: cela est bien vrai. Si cela n'était pas vrai, je ne vivrais pas. Et vous qui parlez, vous seriez peut-être mort aussi; mais cette funeste habitude vient d'une cause bien sinistre: elle vient de ce que la souffrance a fatigué la tête et a flétri l'âme. Cette habitude n'est qu'un total affaiblissement l'esprit n'a plus assez de force pour peser chaque chose, et l'examiner sous son point de vue, pour en appeler à la sainte Nature primitive, et attaquer de front les dures et injustes institutions humaines; l'âme n'a plus assez de forcé pour s'indigner contre l'inégalité factice établie entre les pauvres humains, pour se révolter à l'idée de l'injustice, pour repousser le poids qui l'accable. Elle est dégradée, descendue, prosternée; elle s'accoutume à souffrir, comme les morts s'accoutument à supporter la pierre du tombeau car ils ne peuvent pas la

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