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de cet écrit, et me donne droit de l'entreprendre: sûr de n'envier jamais, ni la richesse au prix de la liberté, ni l'amitié ou la familiarité des princes et des grands, ni les éloges privés, ni l'association à aucun musée ou académie, ou autre confrérie savante, ni enfin aucune espèce de récompense royale ou littéraire; déterminé à ne point vivre partout où la pensée ne sera point libre; à ne connaître de guide que la raison, de maître que la justice, et de protecteur que les lois. Je puis, autant que ma nature m'aidera, chercher la vérité sans déguisement, la trouver sans que des préjugés me l'obscurcissent, et la dire sans que ni désir, ni espérance, ni crainte, viennent altérer ma franchise ou la rendre muette. Je n'ai pas même voulu que des intérêts plus honnêtes pussent retenir ma plume: j'ai évité, par cette raison, de me lier avec quantité de gens de bien et de mérite, dont il est honorable d'être l'ami, et utile d'être l'auditeur, mais que d'autres circonstances ou d'autres idées ont fait agir et penser autrement que moi. L'amitié et la conversation familière exigent au moins une conformité de principes sans cela, les disputes interminables dégénèrent en querelles, et produisent l'aigreur et l'antipathie. De plus, prévoir que mes amis auraient lu avec déplaisir ce que j'ai toujours eu dessein d'écrire m'eût été amer: je n'avais donc

que ce moyen d'éviter, en écrivant, le reproche de prévarication ou d'ingratitude; car, ou l'amitié vous empêche de dire ce que vous croyez vrai; ou, si vous le dites toujours, on vous accuse de dureté, et l'on vous regarde et l'on vous peint comme un homme intraitable et farouche, sur qui la société n'a point de pouvoir, et l'amitié point de droits.

Tels sont les motifs et la fin de cet écrit ; et, comme ce qui se dit bien en trois mots n'est jamais si bien dit en quatre, et qu'un bon livre n'est pas celui qui dit tout, mais qui fait beaucoup penser, j'établirai mes idées premières sans en épuiser les conséquences; je laisserai le lecteur se développer bien des choses à lui-même; et, me renfermant de bon gré dans les bornes de mes talens, je ne serai point orné, mais clair; point véhément pour entraîner, mais évident pour convaincre ; et je chercherai moins la gloire d'une éloquence abondante qu'une nerveuse et succulente brièveté: content si l'on trouve plutôt cet ouvrage trop court que trop long, et si les penseurs vertueux en approuvent le but, le ton, les principes; si ma précision leur cause quelques regrets; si, en le lisant, il leur en fait faire un plus beau; et s'ils disent qu'on y peut ajouter beaucoup, mais qu'il est impossible d'en rien ôter.

A SA MAJESTÉ

STANISLAS-AUGUSTE,

ROI DE POLOGNE, GRAND DUC DE LITHUANIE.

SIRE,

J'ai reçu des mains de M. Mazzeï la médaille dont Votre Majesté m'a destiné l'honorable présent. Il m'a fait connaître aussi avec quelle indulgence elle s'est exprimée sur mon compte, en jugeant digne d'une traduction en langue polonaise l'Avis aux Français que j'ai publié depuis quelques mois 1.

1. Voyez le tome des OEuvres anciennes.

« Le livre de M. Chénier, écrivait le roi de Pologne, m'a << paru si modéré, si sage, si propre à calmer l'effervescence, « et si applicable même à d'autres pays, que je le fais traduire. « J'ai pensé que la médaille ci-jointe serait une marque conve<<nable du cas que je fais de cette production, et de l'opinion « que j'ai de l'auteur. » Note écrite au bas d'une copie autographe de cette lettre, trouvée dans les papiers d'André Chénier. (Note de l'Éditeur.)

Ma surprise a égalé ma respectueuse reconnaissance; mais, attentif depuis long-tems à tout ce qui se fait sur la terre pour le rétablissement de la raison et l'amélioration de l'espèce humaine, je n'étais pas assez étranger aux affaires de la Pologne, pour ne pas connaître le caractère de Votre Majesté, et le prix dont un pareil suffrage doit être aux yeux d'un honnête homme: aussi dois-je avouer que l'inscription de la médaille ne peut manquer de m'enorgueillir un peu, car elle me rappelle que c'est uniquement la pureté des principes que j'ai essayé de développer, et le désir ardent que j'ai eu d'être utile, qui m'ont valu l'honneur que je reçois, et qui vous ont fait chercher dans la foule un inconnu, pour le prévenir par des marques aussi flatteuses de votre approbation. Vous avez, Sire, applaudi aux souhaits, et compati aux chagrins d'un homme pour qui il ne sera point de bonheur, s'il ne voit point la France libre et sage; qui soupire après l'instant où tous les hommes connaîtront toute l'étendue de leurs droits et de leurs devoirs; qui gémit de voir la vérité soutenue comme une faction, les droits les plus légitimes défendus par des moyens injustes et violens, et qui voudrait enfin qu'on eût raison d'une manière raisonnable.

Si l'ouvrage, quel qu'il soit, que j'ai publié dans ces intentions survit aux circonstances qui

l'ont fait naître (et il n'est pas impossible que le souvenir des distinctions dont Votre Majesté l'a honoré lui assure cet avantage), ce sera, je n'en doute pas, un des traits dont on se servira pour caractériser notre siècle et l'époque où nous vivons, qu'un pareil écrit ait été une recommandation auprès d'une tête couronnée. Mais cette particularité sera à peine remarquable dans l'histoire d'un homme-roi, dont la vie entière, animée du même esprit, n'aura été qu'un enchaînement d'efforts pour rappeler les hommes, ses concitoyens, à des institutions saines, et les élever à la hauteur de la Liberté; et qui, dans le dessein de poser ou d'affermir dans sa patrie les fondemens d'une constitution équitable et forte, aura mis en œuvre autant de soins, de ressources et d'activité que les rois en auraient employé jusqu'ici à outrager la nature humaine, et à éterniser son esclavage et sa honte. Les fables nous racontaient de semblables choses d'un Thésée; et, si les historiens antiques y joignaient les noms d'un ou de deux rois, à qui elles attribuaient aussi cette divine pensée de rendre les peuples heureux par la liberté, et de circonscrire eux-mêmes volontairement leur pouvoir dans les justes limites de la loi et de la félicité publique, le spectacle de ce qui s'était passé dans notre Europe nous faisait rejeter ces histoires parmi les fables. Cette

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