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Et force enfin sa bouche à lui demander grâce.
Telle Vénus souvent, aux genoux d'Adonis,
Vit des taches de rose empreintes sur ses lis;
Tel l'Amour, enchanté d'un si doux badinage,
Loin des yeux de sa mère, en un charmant rivage,
Caressait sa Psyché dans leurs jeux enfantins,
Et de lacets dorés chargeait ses belles mains.

Fontenay! lieu qu'Amour fit naître avec la rose,
J'irai (sur cet espoir mon âme se repose),
J'irai te voir, et Flore et le Ciel qui te luit.
Là je contemple enfin (ma déesse m'y suit!)
Sur un lis que je cueille en tes rians asyles,
Ses appas, sa pudeur, et ses fuites agiles,
Et dans la rose en feu l'albâtre confondu,
Comme un ruisseau de lait sur la pourpre étendu.

Offrons tout ce qu'on doit d'encens, d'honneurs suprêmes
Aux Dieux, à la Beauté, plus divine qu'eux-mêmes.
Puisse aux vallons d'Hémus, où les rocs et les bois
Admirèrent d'Orphée et suivirent la voix,
L'Hèbre ne m'avoir pas en vain donné naissance!
Les Muses avec moi vont connaître Byzance;
Et, si le Ciel se prête à mes efforts heureux,
De la Grèce oubliée enfant plus généreux,
Sur ses rives, jadis si noblement fécondes,
Du Permesse égaré je ramène les ondes.

Pour la première fois de sa honte étonné,
Le farouche turban, jaloux et consterné,
D'un sérail oppresseur, noir séjour des alarmes,
Entendra nos accens et l'amour et vos charmes.
C'est là, non loin des flots dont l'amère rigueur
Osa ravir Sestos au nocturne nageur ',

Qu'en des jardins chéris des eaux et du zéphyre,
Pour vous, rayonnant d'or, de jaspe, de porphyre,
Un temple par mes mains doit s'élever un jour.
Sous vos lois j'y rassemble une superbe cour,
Qù de tous les climats brillent toutes les belles.
Elles règnent sur tout, et vous régnez sur elles.
Là des filles d'Indus l'essaim noble et pompeux;
Les vierges de Tamise, au cœur tendre, aux yeux bleus;
Du Tibre et d'Éridan les flatteuses sirènes,
Et du blond Eurotas les touchantes Hélènes;
Et celles de Colchos, jeune et riche trésor,
Plus beau que la toison étincelante d'or;

Et celles qui, du Rhin l'ornement et la gloire,
Vont dans ces froids torrens baigner leurs pieds d'ivoire,
Toutes enfin : ces bords seront tout l'Univers.

1. Sestos, ancienne ville de la Chersonèse de Thrace, aujourd'hui Ak-Bachi-Lisnan, c'est-à-dire, port de la Tête blanche, sur le détroit des Dardanelles du côté de l'Europe et en face d'Abydos. Elle est célèbre par les amours d'Héro et de Léandre. (Note de l'Édit.)

L'Amour croît par l'exemple, et vit d'illusions.
Belles, étudiez ces tendres fictions

Que les poètes saints, en leurs douces ivresses,
Inventent dans la joie aux bras de leurs maîtresses:
De tout aimable objet Jupiter enflammé;
Et le dieu des combats par Vénus désarmé,
Quand, la tête en son sein mollement étendue,
Aux lèvres de Vénus son âme est suspendue,
Et dans ses yeux divins, oubliant les hasards,
Nourrit d'un long amour ses avides regards;
Quels appas trop chéris mirent Pergame en cendre;
Quelles trois déités un berger vit descendre,
Qui, pour briguer la pomme, abandonnant les Cieux,
De leurs charmes rivaux enivrèrent ses yeux;
Et le sang d'Adonis, et la blanche Hyacinthe,
Dont la feuille respire une amoureuse plainte;
Et la triste Syrinx, aux mobiles roseaux;

Et Daphné, de lauriers peuplant le bord des eaux;
Herminie, aux forêts révélant ses blessures;
Les grottes de Médor, confidentes parjures;
Et les ruses d'Armide, et l'amoureux repos
Où, sur des lits de fleurs, languissent les héros;
Et le myrte vivant aux bocages d'Alcine.

Les Grâces dont les soins ont élevé Racine

Aiment à répéter ses écrits enchanteurs,
Tendres comme leurs
yeux, doux comme leurs faveurs.
Belles, ces chants divins sont nés pour votre bouche!
La lyre de Le Brun, qui vous plaît et vous touche,

Tantôt de l'élégie exhale les soupirs,

Tantôt au lit d'amour éveille les plaisirs.

Suivez de sa Psyché la gloire et les alarmes:
Elle-même voulut qu'il célébrât ses charmes,

Qu'Amour vint pour l'entendre; et dans ces chants heureux
Il la trouva plus belle et redoubla ses feux.
Mon berceau n'a point vu luire un même génie!
Ma Lycoris pourtant ne sera point bannie.
Comme eux aux traits d'amour j'abandonnai mon cœur;
Et mon vers a peut-être aussi quelque douceur.

1. Ce poème posthume n'a point été terminé; divers fragmens en ont été publiés dans l'édition des œuvres de Le Brun qu'a don née le savant Ginguené. (Note de l'Éditeur.)

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. I.

A LE BRUN,

ET AU MARQUIS DE BRAZAIS'.

LE BRUN, qui nous attends aux rives de la Seine,

Quand un destin jaloux loin de toi nous enchaîne;
Toi, Brazais, comme moi sur ces bords appelé2,
Sans qui de l'Univers je vivrais exilé,
Depuis que de Pandore un regard téméraire
Versa sur les humains un trésor de misère,
Pensez-vous que du Ciel l'indulgente pitié
Leur ait fait un présent plus beau que l'amitié ?

Ah! si quelque mortel est né pour la connaître,
C'est nous, âmes de feu, dont l'Amour est le maître.
Le cruel trop souvent empoisonne ses coups:
Elle garde à nos cœurs ses baumes les plus doux.

1. Voyez la Notice au sujet du marquis de Brazais.

2. André Chénier était alors en garnison à Strasbourg, sous-lieutenant dans le régiment d'Augoumois. Il touchait à sa vingtième année. (Note de l'Éditeur.)

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