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Apollon te vouait à l'immortalité.
Lui-même sur les flots guida la nef agile

Qui portait des Neuf Sœurs l'espérance fragile;
Lui-même, sur nos bords, dans ton sein généreux
Souffla l'amour des arts, l'espoir d'un nom fameux.
Le vulgaire jamais n'eut cet instinct sublime.
Sur les arides monts que voit au loin Solyme,
Le cèdre, dans son germe invisible à nos yeux,
Médite ces rameaux qui toucheront les cieux.
Ton laurier doit un jour ombrager le Parnasse:
J'entrevois sa hauteur dans sa naissante audace,
Si, modeste en son luxe, et docile aux Neuf Sœurs,
Il permet de leurs soins les heureuses lenteurs.

Non, non; j'en ai reçu ta fidèle promesse :
Tu ne trahiras point les nymphes du Permesse;
Non, tu n'iras jamais, oubliant leurs amours,
Adorer la fortune et ramper dans les cours.
Ton front ne ceindra pas la mitre et le scandale;
Tu n'iras point, des lois embrouillant le dédale,
Consumer tes beaux jours à dormir sur nos lis1,
Et vendre à ton réveil les arrêts de Thémis.

Ton jeune cœur, épris d'une plus noble gloire,

1. On dit de ceux qui exercent quelque charge de judicature royale qu'ils sont assis sur les lis, parce que leurs sièges sont couverts de tapis semés de fleurs de lis : c'est dans le même sens que le mot lis est ici employé. (Note de l'Éditeur.)

A choisi le sentier qui mène à la victoire.
Les armes sont tes jeux: vole à nos étendards;
Les muses te suivront sous les tentes de Mars.
Les muses enflammaient l'impétueux Eschyle.
J'aime à voir une lyre aux mains du jeune Achille.
Un cœur ivre de gloire et d'immortalité
Porte dans les combats un courage indompté.
Du vainqueur des Persans la jeunesse guerrière
Toujours à son épée associait Homère.
Frédéric, son rival, n'a-t-il pas sous nos yeux
Fait parler Mars lui-même, en vers mélodieux?
Couché sous un drapeau noir de sang et de poudre,
N'a-t-il pas, d'une main qui sut lancer la foudre,
Avec grâce touché la lyre des Neuf Sœurs,

I

Et goûté dans un camp les paisibles douceurs?
Son camp fut leur séjour; son palais fut leur temple.

Imite ces héros, suis leur auguste exemple.
Laisse un oisif amas de braves destructeurs,
De l'antique ignorance orgueilleux protecteurs,
Ériger en vertu leur stupide manie,

Dégrader l'art des vers et siffler le génie:

Le langage des Dieux n'est point fait pour les sots.

1. Ces vers rappellent naturellement le beau portrait que M. J. Chénier a tracé de Frédéric dans son Épître à Voltaire. Voyez le tome III de ses OEuvres anciennes. ( Note de l'Édit.)

L'art qui rend immortel ne plaît qu'à des héros.

Insensés! que du moins vos fureurs indiscrètes
Sachent des vils rimeurs distinguer les poètes!
A ces fils d'Apollon, ingrats! n'en doutez plus,
Vous devez des plaisirs, des arts et des vertus.
Eh! sans ressusciter les merveilles antiques,
Les chênes de Dodone et leurs vers prophétiques,
Et la lyre d'Orphée assemblant l'homme épars,
Et la voix d'Amphion lui créant des remparts,
Quel autre qu'un poète, en ses vives images,
Sut rendre à la vertu de célestes hommages,
La placer dans l'Olympe, et, sur les sombres bords,
Des supplices du crime épouvanter les morts?
Les cieux à nos accens s'ouvrirent pour Alcide;
Et l'Erèbe engloutit la pâle Danaïde.

Un monde juste est né des vers législateurs;
Et l'homme dut une âme à leurs sons créateurs.

Avant que la parole à nos yeux fût tracée,
Et qu'un papier muet fìt parler la pensée,
Par un art plus divin les vers ingénieux
Fixèrent dans l'esprit leur sens harmonieux.
L'âme, en sons mesurés, se peignit à l'oreille;
La mémoire retint leur frappante merveille.
Seuls fastes des mortels, ce langage épuré,
Des usages, des lois, fut le dépôt sacré.

Grâce aux vers immortels, la seule Mnemosyne,

Des siècles et des arts conserva l'origine.
Nul art n'a précédé l'art sublime des vers:
Il remonte au berceau de l'antique univers;
Et cet art, le premier qu'inspira la Nature,
S'éteindra le dernier chez la race future.

Aime cet art céleste, et vole sur mes pas
Jusqu'aux lieux où la gloire affronte le trépas.
Soit que ton Apollon, vainqueur dans l'Épopée,
T'honore d'une palme à Voltaire échappée;

Soit que,
De Properce, en tes vers, tu ranimes les pleurs;
Soit qu'enivré des feux de l'audace lyrique
Tu disputes la foudre à l'aigle pindarique;
Ou soit que,
de Lucrèce effaçant le grand nom,
Assise au char ailé de l'immortel Buffon,
Ta Minerve se plonge au sein de la nature,
Et nous peigne des Cieux la mouvante structure,
Tu me verras toujours applaudir tes succès,
Et du haut Hélicon t'aplanir les accès.

de l'Élégie exhalant les douleurs,

Que du faîte serein de ce temple des sages
Tu verras en pitié le monde et ses orages,
Tant d'aveugles mortels s'agiter follement,
Aux sentiers de la vie errer confusément,
Se croiser, se choquer, disputer de richesse,
Combattre d'insolence ou lutter de bassesse,
S'élever en rampant à d'indignes honneurs,

Et se précipiter sur l'écueil des grandeurs!
Mais, tandis qu'agité du souffle de l'Envie,
Fuyant, touchant à peine aux rives de la vie,
Ce torrent de mortels roule à flots insensés
A travers les débris des siècles entassés,
La Gloire et l'Amitié, plus douce que la Gloire,
Fixeront nos destins au temple de Mémoire.

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