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Croissent sur mon terrain, mollement transplantés.
Aux troncs de mon verger ma main avec adresse
Les attache; et bientôt même écorce les presse.
De ce mélange heureux l'insensible douceur
Donne à mes fruits nouveaux une antique saveur.
Dévot adorateur de ces maîtres antiques,
Je veux m'envelopper de leurs saintes reliques;
Dans leur triomphe admis, je veux le partager;
Ou bien de ma défense eux-mêmes les charger.
Le critique imprudent, qui se croit bien habile,
Donnera sur ma joue un soufflet à Virgile;
Et ceci (tu peux voir si j'observe ma loi),
Montaigne, il t'en souvient, l'avait dit avant moi.

III.

AU MÊME.

LAISSE gronder le Rhin et ses flots destructeurs,
Muse; va de Le Brun gourmander les lenteurs.
Vole aux bords fortunés où les champs d'Élysée
De la ville des lis ont couronné l'entrée;
Aux lieux où sur l'airain Louis ressuscité,
Contemple de Henri le séjour respecté,
Et des jardins royaux l'enceinte spacieuse.
Abandonne la rive où la Seine amoureuse,
Lente, et, comme à regret quittant ces bords chéris,
Du vieux palais des rois baigne les murs flétris1,
Et des fils de Condé les superbes portiques2.

1. Le Brun occupait à cette époque un logement très-médiocre et même très-incommode au Louvre, où le gouvernement avait suivi l'ancien usage de loger gratuitement des gens de lettres et des artistes. Plus tard on lui en accorda un plus convenable qu'il conserva jusqu'à sa mort. C'est à l'occasion de ce dernier logement qu'il composa l'ode II du livre IV de ses poésies, intitulée : Mes souvenirs ou les Deux rives de la Seine. (Note de l'Éditeur.)

2. L'hôtel de Conti où naquit Le Brun. Ce bâtiment est devenu depuis l'hôtel de la Monnaie. (Note de l'Éditeur.)

Suis ces fameux remparts et ces berceaux antiques Où, tant qu'un beau soleil éclaire de beaux jours, Mille chars élégans promènent les amours.

Un Paris tout nouveau sur les plaines voisines
S'étend, et porte au loin, jusqu'au pied des collines,
Un long et riche amas de temples, de palais,
D'ombrages où l'été ne pénètre jamais:

C'est là son Hélicon1. Là, ta course fidèle
Le trouvera peut-être aux genoux d'une belle :
S'il est ainsi, respecte un moment précieux;
Sinon, tu peux entrer : tu verras dans ses yeux,
Dès qu'il aura connu que c'est moi qui t'envoie,
Sourire l'indulgence et peut-être la joie.
Souhaite-lui d'abord la paix, la liberté,

Les plaisirs, l'abondance, et surtout la santé ;
Puis apprends si, toujours ami de la Nature,
Il s'en tient comme nous aux bosquets d'Épicure;
S'il a de ses amis gardé le souvenir;
Quelle Muse à présent occupe son loisir;
Si Tibulle et Vénus le couronnent de rose;
Ou si, dans les déserts que le Permesse arrose,
Du vulgaire troupeau prompt à se séparer,
Aux sources de Pindare ardent à s'enivrer,

1. Le Brun aimait Versailles et ses promenades; mais il fréquentait plus souvent Moulin-Joly, propriété charmante que possédait alors cette madame Le Brun, si justement célèbre comme artiste et comme femme d'esprit. (Note de l'Éditeur.)

OEuvres posthumes.

5

Sa lyre fait entendre aux nymphes de la Seine
Les sons audacieux de la lyre thébaine;

Et dis-lui qu'à m'écrire il est lent à mon gré;
Que, de mon cher Brazais pour un tems séparé,
Les ruisseaux et les bois, et Vénus, et l'étude,
Adoucissent un peu ma triste solitude.

Oui! les Cieux avec joie ont embelli ces champs;
Mais, Le Brun, dans l'effroi que respirent les camps,
Où les foudres guerriers étonnent mon oreille,
Où loin avant Phoebus Bellone me réveille,
Puis-je adorer encore et Vertumne et Palès?
Il faut un cœur paisible à ces Dieux de la paix 1.

1. Cette Épitre paraît avoir été composée immédiatement après la précédente, car l'auteur n'est resté que six mois au service. (Note de l'Éditeur.)

mmm

I.

L'AVEUGLE.

<< DIEU dont l'arc est d'argent, Dieu de Claros, écoute : «O Sminthée-Apollon ', je périrai sans doute, «Si tu ne sers de guide à cet Aveugle errant. >>

C'est ainsi qu'achevait l'Aveugle en soupirant,
Et près des bois marchait, faible, et sur une pierre
S'asseyait. Trois pasteurs, enfans de cette terre,
Le suivaient, accourus aux abois turbulens
Des molosses, gardiens de leurs troupeaux bêlans.
Ils avaient, retenant leur fureur indiscrète,
Protégé du vieillard la faiblesse inquiète;

Ils l'écoutaient de loin; et, s'approchant de lui:
«Quel est ce vieillard blanc, aveugle et sans appui?
<«<Serait-ce un habitant de l'empire céleste?

1. Smynthe était le nom d'un temple élevé à Apollon dans les villes de Ténédos et de Chrysa : de là le surnom de Sminthée qu'Homère donne à ce Dieu dans plusieurs endroits de son Odyssée. (Note de l'Éditeur.)

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