« Cléotas de Larisse, en ses jardins immenses, << Offrit à mon travail de justes récompenses. <<< Jeune ami, j'ai trouvé quelques vertus en toi: << Va, sois heureux, dit-il, et te souviens de moi! « Oui, oui, je m'en souviens: Cléotas fut mon père. <«< Tu vois le fruit des dons de sa bonté prospère. << A tous les malheureux je rendrai désormais « Ce que dans mon malheur je dus à ses bienfaits. << Dieux, l'homme bienfaisant est votre cher ouvrage; « Vous n'avez point ici d'autre visible image: << Il porte votre empreinte, il sortit de vos mains « Pour vous représenter aux regards des humains. « Veillez sur Cléotas! Qu'une fleur éternelle, << Fille d'une âme pure, en ses traits étincelle! << Que nombre de bienfaits, ce sont là ses amours, <«< Fassent une couronne à chacun de ses jours; « Et, quand une mort douce, et d'amis entourée, « Recevra sans douleur sa vieillesse sacrée, Qu'il laisse avec ses biens ses vertus pour appui <«< A des fils s'il se peut encor meilleurs que lui! << Hôte des malheureux, le sort inexorable << Ne prend point les avis de l'homme secourable: <«< Tous par sa main de fer en aveugles poussés, << Nous vivons; et tes vœux ne sont point exaucés. « Cléotas est perdu: son injuste patrie « L'a privé de ses biens; elle a proscrit sa vie. «De ses concitoyens dès long-tems envié, <«< De ses nombreux amis en un jour oublié, -Que m'as-tu dit? La foudre a tombé sur ma tête. <«< Dieux! ah! grands Dieux! partons. Plus de jeux,plus de fête: << Partons. Il faut vers lui trouver des chemins sûrs: << Partons. Jamais sans lui je ne revois ces murs. << Ah! Dieux! quand dans le vin, les festins, l'abondance, << Enivré des vapeurs d'une folle opulence, << Celui qui lui doit tout chante et s'oublie et rit, «< Lui peut-être il expire, affamé, nu, proscrit, << Maudissant comme ingrat son vieil ami qui l'aime! << Parle était-ce bien lui? le connais-tu toi-même? <«< En quels lieux était-il? où portait-il ses pas? << Il sait où vit Lycus, pourquoi ne vient-il pas? « Parle était-ce bien lui? parle, parle, te dis-je: << Où l'as-tu vu? - Mon hôte, à regret je t'afflige: « C'était lui, je l'ai vu. « Les douleurs de son âme << Avaient changé ses traits. Ses deux fils et sa femme, «< A Delphes, confiés au ministre du Dieu, << Vivaient de quelques dons offerts dans le saint lieu. << Par des sentiers secrets fuyant l'aspect des villes, <<< On les avait suivis jusques aux Thermopyles. << Il en gardait encore un douloureux effroi. « Je le connais: je fus son ami comme toi. « D'un même sort jaloux une même injustice << Nous a tous deux plongés au même précipice. << Il me donna jadis (ce bien seul m'est resté) << Sa marque d'alliance et d'hospitalité. << Vois si tu la connais. » O surprise! Immobile, Lycus a reconnu son propre sceau d'argile: Ce sceau, don mutuel d'immortelle amitié, Il ouvre un œil avide, et long-tems envisage L'Étranger; puis, enfin, sa voix trouve un passage: <«< Est-ce toi, Cléotas? toi, qu'ainsi je revoi? << Tout ici t'appartient. O mon père! est-ce toi? « Je rougis que mes yeux aient pu te méconnaître. « O Cléotas! mon père! ô toi qui fus mon maître, « Viens; je n'ai fait ici que garder ton trésor; « Et ton ancien Lycus veut te servir encor. « J'ai honte à ma fortune en regardant la tienne. >> Et, dépouillant soudain la pourpre tyrienne w III. LA LIBERTÉ. UN CHEVRIER, UN BERGER. LE CHEVRIER. BERGER, quel es-tu donc ? qui t'agite? et quels Dieux De noirs cheveux épars enveloppent tes yeux? LE BERGER. Blond pasteur de chevreaux, oui, tu veux mel'apprendre: Oui, ton front est plus beau, ton regard est plus tendre. LE CHEVRIER. Quoi! tu sors de ces monts où tu n'as vu que toi, Et qu'on n'approche point sans peine et sans effroi? LE BERGER. Tu te plais mieux sans doute au bois, à la prairie: LE CHEVRIER. Mais Cérès a maudit cette terre âpre et dure. |