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« Cléotas de Larisse, en ses jardins immenses, << Offrit à mon travail de justes récompenses. <<< Jeune ami, j'ai trouvé quelques vertus en toi: << Va, sois heureux, dit-il, et te souviens de moi! « Oui, oui, je m'en souviens: Cléotas fut mon père. <«< Tu vois le fruit des dons de sa bonté prospère. << A tous les malheureux je rendrai désormais

« Ce

que

dans mon malheur je dus à ses bienfaits. << Dieux, l'homme bienfaisant est votre cher ouvrage; « Vous n'avez point ici d'autre visible image: << Il porte votre empreinte, il sortit de vos mains « Pour vous représenter aux regards des humains. « Veillez sur Cléotas! Qu'une fleur éternelle, << Fille d'une âme pure, en ses traits étincelle! << Que nombre de bienfaits, ce sont là ses amours, <«< Fassent une couronne à chacun de ses jours; « Et, quand une mort douce, et d'amis entourée, « Recevra sans douleur sa vieillesse sacrée,

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Qu'il laisse avec ses biens ses vertus pour appui <«< A des fils s'il se peut encor meilleurs que lui!

<< Hôte des malheureux, le sort inexorable << Ne prend point les avis de l'homme secourable: <«< Tous par sa main de fer en aveugles poussés, << Nous vivons; et tes vœux ne sont point exaucés. « Cléotas est perdu: son injuste patrie

« L'a privé de ses biens; elle a proscrit sa vie. «De ses concitoyens dès long-tems envié,

<«< De ses nombreux amis en un jour oublié,
<«< Au lieu de ces tapis qu'avait tissus l'Euphrate,
<«< Au lieu de ces festins brillans d'or et d'agate
« Où ses hôtes, parmi les chants harmonieux,
<< Savouraient jusqu'au jour les vins délicieux,
<< Seul maintenant, sa faim, visitant les feuillages,
«Dépouille les buissons de quelques fruits sauvages;
«< Ou, chez le riche altier apportant ses douleurs,
« Il mange un pain amer tout trempé de ses pleurs.
<«< Errant et fugitif, de ses beaux jours de gloire.
« Gardant, pour son malheur, la pénible mémoire,
« Sous les feux du midi, sous le froid des hivers,
Seul, d'exil en exil, de déserts en déserts,
<«< Pauvre et semblable à moi, languissant et débile,
<< Sans appui qu'un bâton, sans foyer, sans asile,
« Revêtu de ramée ou de quelques lambeaux,
<<< Et sans que nul mortel, attendri sur ses maux,
<«< D'un souhait de bonheur le flatte et l'encourage;
<«<Les torrens et la mer, l'aquilon et l'orage,
«Des corbeaux et des loups les tristes hurlemens
« Répondant seuls la nuit à ses gémissemens;
<«< N'ayant d'autres amis que les bois solitaires,
«< D'autres consolateurs que ses larmes amères,
<< Il se traîne; et souvent sur la pierre il s'endort
<< A la porte d'un temple, en invoquant la mort.

-Que m'as-tu dit? La foudre a tombé sur ma tête.

<«< Dieux! ah! grands Dieux! partons. Plus de jeux,plus de fête:

<< Partons. Il faut vers lui trouver des chemins sûrs: << Partons. Jamais sans lui je ne revois ces murs. << Ah! Dieux! quand dans le vin, les festins, l'abondance, << Enivré des vapeurs d'une folle opulence,

<< Celui qui lui doit tout chante et s'oublie et rit, «< Lui peut-être il expire, affamé, nu, proscrit, << Maudissant comme ingrat son vieil ami qui l'aime! << Parle était-ce bien lui? le connais-tu toi-même? <«< En quels lieux était-il? où portait-il ses pas? << Il sait où vit Lycus, pourquoi ne vient-il pas? « Parle était-ce bien lui? parle, parle, te dis-je: << Où l'as-tu vu? - Mon hôte, à regret je t'afflige: « C'était lui, je l'ai vu.

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« Les douleurs de son âme

<< Avaient changé ses traits. Ses deux fils et sa femme, «< A Delphes, confiés au ministre du Dieu,

<< Vivaient de quelques dons offerts dans le saint lieu. << Par des sentiers secrets fuyant l'aspect des villes, <<< On les avait suivis jusques aux Thermopyles. << Il en gardait encore un douloureux effroi. « Je le connais: je fus son ami comme toi. « D'un même sort jaloux une même injustice << Nous a tous deux plongés au même précipice. << Il me donna jadis (ce bien seul m'est resté) << Sa marque d'alliance et d'hospitalité.

<< Vois si tu la connais. » O surprise! Immobile, Lycus a reconnu son propre sceau d'argile:

Ce sceau, don mutuel d'immortelle amitié,
Jadis à Cléotas par lui-même envoyé.

Il ouvre un œil avide, et long-tems envisage L'Étranger; puis, enfin, sa voix trouve un passage: <«< Est-ce toi, Cléotas? toi, qu'ainsi je revoi? << Tout ici t'appartient. O mon père! est-ce toi? « Je rougis que mes yeux aient pu te méconnaître. « O Cléotas! mon père! ô toi qui fus mon maître, « Viens; je n'ai fait ici que garder ton trésor;

«

Et ton ancien Lycus veut te servir encor.

« J'ai honte à ma fortune en regardant la tienne. >>

Et, dépouillant soudain la pourpre tyrienne
Que tient sur son épaule une agrafe d'argent,
Il l'attache lui-même à l'auguste indigent.
Les convives levés l'entourent; l'allégresse
Rayonne en tous les yeux. La famille s'empresse
On cherche des habits, on réchauffe le bain.
La jeune enfant approche: il rit, lui tend la main:
<< Car c'est toi, lui dit-il, c'est toi qui la première,
«Ma fille, m'as ouvert la porte hospitalière. »

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III.

LA LIBERTÉ.

UN CHEVRIER, UN BERGER.

LE CHEVRIER.

BERGER, quel es-tu donc ? qui t'agite? et quels Dieux De noirs cheveux épars enveloppent tes yeux?

LE BERGER.

Blond pasteur de chevreaux, oui, tu veux mel'apprendre: Oui, ton front est plus beau, ton regard est plus tendre.

LE CHEVRIER.

Quoi! tu sors de ces monts où tu n'as vu que toi, Et qu'on n'approche point sans peine et sans effroi?

LE BERGER.

Tu te plais mieux sans doute au bois, à la prairie:
Tu le peux. Assieds-toi parmi l'herbe fleurie;
Moi, sous un antre aride, en cet affreux séjour,
Je me plais sur le roc à voir passer le jour.

LE CHEVRIER.

Mais Cérès a maudit cette terre âpre et dure.
Un noir torrent pierreux y roule une onde impure;

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