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de ces sens partiels dans l'ensemble du discours. Pour que la ponc tuation soit juste et exacte, il faut que l'attention se porte sur ces trois principes à-la-fois, et non sur quelqu'un d'eux exclusivement aux autres. Mais l'on ne doit rompre l'unité du discours, dit M. Beauzée, qu'autant que l'exige l'un de ces trois principes; il faut n'accorder à la faiblesse de l'organe ou de l'intelligence, continue-t-il, que ce qu'on ne peut leur refuser, et conserver avec scrupule l'unité de la pensée, dont la parole doit présenter une image fidèle. Passons aux règles particulières.

VIRGULE.

I. Lorsqu'il y a deux sujets, deux attributs, ou deux complémens semblables; ou ces parties sont liées ensemble par une conjonction, ou elles sont rapprochées sans conjonction : dans le premier cas, il ne faut de virgule que lorsque la longueur de ces parties sollicite un repos pour la voix. Dans ces phrases,

Il ne faut, pour plaire à Comus,

Ni le régime d'Hypocrate

Ni le luxe de Lucullus.

Cicéron dit que les sciences et les lettres sont l'aliment de la jeunesse et l'amusement de la vieillesse.

Le peuple et les savans sont ceux qui éprouvent le plus souvent et le plus vivement l'émotion du beau: le peuple, parce qu'il admire, comme autant de prodiges, les effets dont les causes et les moyens lui semblent incompréhensibles; les savans, parce qu'ils sont en état d'apprécier et de sentir l'excellence et des causes et des moyens.

Celui qui doute et qui fait des expériences augmente sa science, mais celui qui est crédule et qui n'examine rien augmente son ignorance.

J'écris les deux parties semblables sans les séparer par une virgule, parce qu'elles ne sont pas assez longues pour nécessiter un repos: dans ces phrases, au contraire,

Un fou rempli d'erreurs que le trouble accompagne,
Et malade à la ville ainsi qu'à la campagne,
En vain monte à cheval pour tromper son ennui
Le chagrin monte en croupe et galope avec lui.

L'esprit d'administration n'est pas simplement la faculté d'approfondir un objet, ni la capacité d'en bien comparer deux ensemble; ce n'est pas non plus cette attention vigoureuse qui mène d'une première proposition à toutes celles qui s'y enchaînent, ni cette faculté de pénétration qui aide à juger sur des aperçus: l'esprit d'adminis tration dans sa perfection est un composé de tous ces talens.

L'ambitieux capable de consulter sans prévention la mesure de ses

forces, et de n'être point abusé par le sentiment de leur étendue ; Pambitieux dont les vues sont d'opérer le plus grand bien possible, et de renverser avec intrépidité tout ce qui pourrait le contrarier : cet ambitieux annonce une ame grande et digne des plus hauts emplois.

Les deux parties semblables, quoique rapprochées par une conjonction, sont cependant séparées entr'elles par une virgule; parce qu'elles sont trop longues pour pouvoir être prononcées d'un seul trait.

Dans le second cas, c'est-à-dire, lorsque les deux parties sont ra. pprochées sans conjonction; la virgule doit avoir lieu après chacune de ces parties.

L'affluence des mots, celle des tours heureux, constituent l'abondance du style.

Quitte-t-on ses penchans, ses plaisirs les plus doux?

Il n'y a pas de service plus pénible, plus dur, que celui des parvenus, des gens de rien enrichis; étonnés d'un pouvoir qui n'était pas fait pour eux, ils exercent un empire cruel sur leurs malheureux serviteurs.

Remarquez que, lorsqu'on n'a que deux de ces parties, on ne doit omettre la conjonction que dans les cas où la seconde partie est synonyme de la première, ou lui est ajoutée pour peindre une nuance de plus, comme dans le dernier exemple que nous venons de citer. Mais on dirait mal sans conjonction :

Rien n'est plus impoli que ces regards effrontés, que les jeunes gens jettent souvent sur les femmes dans les promenades, dans les autres lieux publics.

Il faut dire,

Dans les promenades et dans les autres lieux publics.

II. Lorsqu'il y a plus de deux sujets, de deux attributs, de deux complémens semblables, chacun d'eux veut la virgule après lui.

la satiété, la langueur, le dégoût,

Naissent du vrai malheur d'avoir joui de tout.

Un esprit orné, un caractère doux, une politesse attentive, des manières aisées, le maintien et les propos décens, sont les seules qualités qui puissent nous rendre véritablement aimables dans la societé.

Les moyens qu'on emploie, le but qu'on se propose, les talens qu'on réunit ou dont on est privé, rendent l'ambition ou louable ou criminelle.

Les faux talens sont hardis, effrontés,

Souples, adroits, et jamais rébutés,

La sagesse fixe le point auquel les idées les plus salutaires commencent à se lénaturer, indique le moment où il faut agir et celui où il faut s'arrêter, s'applique essentiellement à prévenir les fautes, et pose des barrières sur le bord des précipices.

Ce n'est qu'auprès des grands qu'on trouve cette aisance, cette politesse, cette aménité, ce je ne sais quoi qu'on peut appeler le vernis de l'esprit et la fleur de l'imagination.

J'ai vu mille peines cruelles

Sous un vain masque de bonheur
Mille petitesses réelles
Sous une écorce de grandeur
Mille lachetés infidelles

Sous un coloris de candeur.

C'est une divinité qui n'accepte des offrandes que pour les répan dre, qui demande plus d'attachement que de crainte, qui sourit en fesant du bien, et qui soupire en lançant la foudre.

Remarquez 1. que nous séparons aussi le dernier sujet de l'attribut; parce que celui-ci est un attribut commun, dont la correspondance est la même avec tous les sujets: l'absence de la virgule après le dernier sujet, accuserait une correspondance exclusive entre ce sujet et l'attribut, ce qui serait faux. Il est cependant des cas où le dernier sujet recoit seul l'attribut, et alors il ne faut point de virgule. Ponctuez donc ainsi ces deux vers suivans,

Le Pérou, le Potose, Alzire est sa conquête.

Paris, les champs, tout convient à mon cœur.

Parce que l'attribut n'est adapté grammaticalement qu'au dernier sujet.

Remarquez 2. que, quoique ces deux dernières parties soient jointes ensemble par une conjonction, il faut également la virgule avant celle-ci. Ponctuez donc ainsi les phrases suivantes,

Le sagesse, l'esprit, les grâces, et la raison, sont des qualités rarement réunies dans la même personne.

Les biens, les honneurs, ni la beauté, n'éblouissent jamais les yeux du sage.

L'homme de bon sens n'a les yeux fixés que sur le mérite personnel, sur les avantages réels, ou sur l'emploi qu'on fait de ceux qui ne le sont pas.

Les auteurs, en général, ne mettent point de virgule avant la conjonction; mais cette manière de ponctuer n'est pas exacte, parce que la dernière partie, quoique précédée d'une conjonction, n'a pas une liaison plus étroite avec celle qui la précède immédiatement qu'avec les autres. Le cas où il ne faut point de virgule, c'est lorsqu'on

groupe cette dernière partie avec celle qui la précède pour leur adapter une idée commune, comme dans cette phrase déjà citée.

Un esprit orné, un caractère doux, une politesse attentive, des manières aisées, le maintien et le propos décens, sont les seules qualités, &c.

Là, le maintien et le propos ne sont point séparés par une virgule; parce que ces deux mots sont unis ensemble pour recevoir la qualification décens, qui correspond également à l'un et à l'autre.

III. Un complément quelconque qui détermine la signification du mot qu'il complète, ne doit point en être séparé par la virgule; celui, au contraire, qui ne fait que développer son mot dominant, doit toujours en être séparé par une virgule. Dans ces phrases,

Qui trouve tout mauvais est rempli de malice;
Un œil qui voit tout jaune est rempli de jaunisse.

Je ne vois que des supplices

A la suite des délices

Que promet la volupté.

La patrie est aux lieux où l'ame est enchaînée.

Je puis choisir, dit-on, ou beaucoup d'ans sans gloire,
Ou peu de jours suivis d'une longue mémoire.

Il ne faut point de virgule entre le mot dominant et son complément, parce que celui-ci détermine la signification du mot qu'il eomplète. Un complément détermine la signification de son mot dominant, toutes les fois que celui-ci, sans ce complément, ne pourrait se construire avec les autres mots de la phrase, sans présenter une idée fausse ou vide de sens. Or, dans les phrases citées, on ne pourrait pas dire avec vérité qu'un œil est rempli de jaunisse, qu'on ne voit que des supplices à la suite des délices; parce que tous les yeux ne sont pas remplis de jaunisse; parce qu'on ne voit pas des supplices à la suite des délices que promet la vertu, par exemple. De même serait ridicule de dire tout simplement que la vertu est aux lieux. Il est donc clair que dans ces exemples les complémens sont déterminatifs, et que par conséquent ils ne doivent point être précédés d'une virgule. Dans les phrases suivantes, au contraire :

Le temps, qui fuit sur nos plaisirs,
Semble s'arrêter sur nos peines.

Le temps, qui détruit tout, semble accroître mes maux.

Diogène dit que les grands sont comme le feu, dont il ne faut ni trop s'éloigner ni s'approcher de trop près.

L'amour-propre, qui toujours flatte, et l'étourderie, qui ne voit guère les choses telles qu'elles sont, font que bien des gens présument

trop de l'amitié des personnes qu'ils fréquentent, et ne savent pas mesurer jusqu'où l'on peut aller avec elles.

L'harmonieux Vertot, toujours noble et rapide,
Fait revivre Népos, Salluste, et Thucydide.
Le véhément Raynal, quelquefois trop hardi,
Profond comme Tucite, est plus brillant que lui.

L'ennui, cette stagnation mortelle, est produite dans l'homme par l'absence des sensations capables de l'avertir de son existence d'une manière agréable.

Le sage gagne à tout: l'école du malheur

Lui sert à mieux sentir le vrai prix du bonheur,
Il sait à quels malheurs l'expose sa nature;
Dans des jours malheureux disciple de Zénon,
Dans des jours fortunés disciple d'Epicure,

Pour tous les cas prévus il arme sa raison.

Il faut une virgule entre le mot dominant et son complément, parce que celui-ci n'est point déterminatif. Le mot dominant, privé de son complément, n'en pourrait pas moins être construit avec les autres mots de la phrase, sans présenter une idée fausse ou vide de sens. On dirait avec la même vérité, le temps semble s'arrêter sur nos peines; le temps semble accroître mes maux. Diogène dit que les grands sont comme le feu; &c. &c. Le complément s'appelle alors explicatif.

IV. Deux phrases dépendantes l'une de l'autre ou par le sens ou par la forme grammaticale, ne doivent être séparées que par une virgule; lorsque quelqu'une de leurs parties n'a pas réclamé la virgule :

L'intérêt est l'aiguillon du peuple, mais la gloire est celui des grandes ames.

On doit parler des vertus le plus hautement possible, mais il faut les pratiquer avec modestie.

Le cœur d'un avare est le tonneau des Danaïdes, rien ne saurait le remplir.

La jeunesse d'une femme est pour elle les jardins d'Armide, mais le désert est au bout.

Son esprit est encore dans le bouton, il n'attend qu'un coup de soleil pour éclore.

Mon assertion ne fait épigramme sur personne, c'est une vérité qu frappe sur le général.

Les plus coupables sont les moins généreux, c'est la règle.

Aussitôt que la lumière

A redoré nos côteaux,
Je commence ma carrière

Par visiter mes tonneaux, &c.

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