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Ces vengeurs trouveront de nouveaux défenseurs,
Qui, même après leur mort, auront des successeurs ;
Vous allumez un feu qui ne pourra s'éteindre.
Craint de tout l'univers, il vous faudra tout craindre:
Toujours punir, toujours trembler dans vos projets;
Et pour vos ennemis compter tous vos sujets.
Ah! de vos premiers ans l'heureuse expérience,
Vous fait-elle, seigneur, haïr votre innocence?
Songez-vous au bonheur qui les a signalés?
Dans quel repos, ô ciel! les avez-vous coulés?
Quel plaisir de penser et de dire en vous-même:
Partout, en ce moment, on me bénit, on m'aime.
On ne voit point le peuple à mon nom s'alarmer ;
Le ciel, dans tous leurs pleurs, ne m'entend point nommer :
Leur sombre inimitié ne suit point mon visage!
Je vois voler partout les cœurs à mon passage!

Tels étaient vos plaisirs. Quel changement, ô dieux!
Le sang le plus abject vous était précieux.

Un jour, il m'en souvient, le sénat équitable

Vous pressait de souscrire à la mort d'un coupable;
Vous résistiez, seigneur, à leur sévérité;
Votre cœur s'accusait de trop de cruauté;
Et, plaignant les malheurs attachés à l'empire,
Je voudrais, disiez-vous, ne savoir pas écrire.
Non, ou vous me croirez, ou bien de ce malheur,
Ma mort m'épargnera la vue et la douleur.
On ne me verra point survivre à votre gloire,
Si vous allez commettre une action si noire.

(Se jetant aux pieds de Néron.)
Me voilà prêt, seigneur. Avant que de partir,
Faites percer ce cœur qui n'y peut consentir.
Appelez les cruels qui vous l'ont inspirée,
Qu'ils viennent essayer leur main mal assurée.
Mais je vois que mes pleurs touchent mon empereur ;
Je vois que sa vertu frémit de leur fureur.

Ne perdez point de temps, nommez-moi les perfides,
Qui vous osent donner ces conseils parricides.
Appelez votre frère, oubliez dans ses bras-

Nér. Ah? que demandez-vous?

Non, il ne vous hait pas,

Burr.
Seigneur; on le trahit, je sais son innocence;

Je vous réponds pour lui de son obéissance.

J'y cours. Je vais presser un entretien si doux.

Nér. Dans mon appartement, qu'il m'attende avec vous.

Le néme

Scène Suivante.

NARCISSE, confident de NERON, détruit, par son art infernal l'impression qu'avait faite sur lui le discours de BURRHUS.

Nar. Seigneur, j'ai tout prévu pour une mort si juste ;
Le poison est tout prêt. La fameuse Locuste
A redoublé pour moi ses soins officieux;
Eile a fait expirer un esclave à mes yeux;
Et le fer est moins prompt pour trancher une vie,
Que le nouveau poison que sa main me confie.
Nér. Narcisse, c'est assez, je reconnais ce soin,
Et ne souhaite pas que vous alliez plus loin.
Nar. Quoi! pour Britannicus votre haîne affaiblie
Me défend-

Nér.

Oui, Narcisse; on nous réconcilie.
Nar. Je me garderai bien de vous en détourner,
Seigneur. Mais il s'est vu tantôt emprisonner:
Cette offense en son cœur sera long-temps nouvelle.
Il n'est point de secrets que le temps ne révèle ·
Il saura que ma main lui devait présenter
Un poison que votre ordre avait fait apprêter.
Les dieux de ce dessein puissent-ils le distraire?
Mais peut-être il fera ce que vous n'osez faire.

Nér. On répond de son cœur; et je vaincrai le mien.
Nar. Et l'hymen de Junie en est-il le lien?

Seigneur, lui faites-vous encore ce sacrifice?

Nér. C'est prendre trop de soin. Quoi qu'il en soit, Narcisse,

Je ne le compte plus parmi mes ennemis.

Nar. Agrippine, seigneur, se l'était bien promis:

Elle a repris sur vous son souverain empire.

Nér. Quoi donc? Qu'a-t-elle dit? Et que voulez-vous dire?
Nar. Elle s'en est vantée assez publiquement.

Nér. De quoi?

Nar.

Qu'elle n'avait qu'à vous voir un moment,

Qu'à tout ce grand éclat, à ce courroux funeste,
On verrait succéder un silence modeste;

Que vous-mêine à la paix souscririez le premier:

Heureux que sa bonté daignât tout oublier.

Nér. Mais, Narcisse, dis-moi, que veux-tu que je fasse?

Je n'ai que trop de pente à punir son audace:

Et, si je m'en croyais, ce triomphe indiscret
Serait bientôt suivi d'un éternel regret.
Mais de tout l'univers quel sera le langage?
Sur les pas des tyrans veux-tu que je m'engage,
Et que Rome, effaçant tant de titres d'honneur,
Me laisse pour tous noms celui d'empoisonneur?
Ils mettront ma vengeance au rang des parricides.
* M

VOL. IL

Nar. Et prenez-vous, seigneur, leurs caprices pour guides!
Avez-vous prétendu qu'ils se tairaient toujours?
Est-ce à vous de prêter l'oreille à leurs discours?
De vos propres désirs perdrez-vous la mémoire?
Et serez-vous le seul que vous n'oserez croire ?
Mais, seigneur, les Romains ne vous sont pas connus;
Non, non: dans leurs discours ils sont plus retenus,
Tant de précaution affaiblit votre règne :

Ils croiront, en effet, mériter qu'on les craigne.
Au joug depuis long-temps, ils se sont façonnés;
Ils adorent la main qui les tient enchaînés.
Vous les verrez toujours ardens à vous complaire :
Leur prompte servitude a fatigué Tibère.
Moi-même revêtu d'un pouvoir emprunté
Que je reçus de Claude avec la liberté,
J'ai cent fois, dans le cours de ma gloire passée,
Tenté leur patience, et ne l'ai point lassée.
D'un empoisonnement vous craiguez la noirceur.
Faites périr le frère, abandonnez la sœur:
Rome sur les autels prodiguant les victimes,
Fussent-ils innocens, leur trouvera des crimes;
Vous verrez mettre au rang des jours infortunés

Ceux où jadis la sœur et le frère sont nés.

Nér. Narcisse, encore un coup, je ne puis l'entreprendre
J'ai promis à Burrhus, il a fallu me rendre.

Je ne veux point encore, en lui manquant de foi,
Donner à sa vertu des armes contre moi.

J'oppose à ses raisons un courage inutile;

Je ne l'écoute point avec un cœur tranquille.

Nar. Burrhus ne pense pas, seigneur, tout ce qu'il dit:
Son adroite vertu ménage son crédit.

Ou plutôt ils n'ont tous qu'une même pensée:
Ils verraient par ce coup leur puissance abaissée:
Vous seriez libre alors, seigneur; et, devant vous,
Ces maîtres orgueilleux fléchiraient comme nous.
Quoi donc; ignorez-vous tout ce qu'ils osent dire?
Néron, s'ils en sont crus, n'est point né pour l'empire,
Il ne dit, il ne fait que ce qu'on lui prescrit;
Burrbus conduit son cœur, Sénèque son esprit.
Pour toute ambition, pour vertu singulière
Il excelle à conduire un char dans la carrière;
A disputer des prix indignes de ses mains ;
A se donner lui-même en spectacle aux Romains;
A venir prodiguer sa voix sur un théâtre;
A réciter des chants qu'il veut qu'on idolâtre ;
Tandis que des soldats, de momens en momens,
Vont arracher pour lui les applaudissemens."
Ab! ne voulez-vous pas les forcer à se taire?

Nér. Viens, Narcisse, allons voir ce que nous devons faire.

Le même.

Scène d'Iphigénie.

AGAMEMNON, ACHILLE.

Aca. Un bruit assez étrange est venu jusqu'à moi,
Seigneur: je l'ai jugé trop peu digne de foi.
On dit, et sans horreur je ne puis le redire,
Qu'aujourd'hui par votre ordre Iphigénie expire:
Que vous-même, étouffant tout sentiment humain,
Vous l'allez à Calchas livrer de votre main:
On dit que sous mon nom à l'autel appelée
Je ne l'y conduisais que pour être immolée;
Et que, d'un faux hymen nous abusant tous deux,
Vous vouliez me charger d'un emploi si honteux.

Qu'en dites-vous, seigneur? Que faut-il que j'en pense?
Ne ferez-vous pas taire un bruit qui vous offense?

Agam. Seigneur, je ne rends point compte de mes desseins. Ma fille ignore encore mes ordres souverains:

Et, quand il sera temps qu'elle en soit informée,

Vous apprendrez son sort, j'en instruirai l'armée.

Ach. Ah! je sais trop le sort que vous lui réservez. Agam. Pourquoi le demander, puisque vous le savez? Ach. Pourquoi je le demande? Oh ciel! le puis-je croire Qu'on ose des fureurs avouer la plus noire! Vous pensez qu'approuvant vos desseins odieux Je vous laisse immoler votre fille à mes yeux?

Que ma foi, mon amour, mon honneur y consente?

Agam. Mais vous, qui me parlez d'une voix menaçante,
Oubliez-vous ici qui vous interrogez?

Ach. Oubliez-vous qui j'aime et qui vous outragez?
Agam. Et qui vous a chargé du soin de ma famille ?
Ne pourrai-je, sans vous, disposer de ma fille?
Ne suis-je plus son père? Etes-vous son époux ?
Et ne peut-elle-

Ach.
Non, elle n'est plus à vous;
On ne m'abuse point par des promesses vaines.
Tant qu'un reste de sang coulera dans mes veines,
Vous deviez à mon sort unir tous ses momens,

Je défendrai mes droits fondés sur vos sermens.

Et n'est-ce pas pour moi que vous l'avez mandée?

Agam. Plaignez-vous donc aux dieux qui me l'ont demandée ; Accusez et Calchas et le camp tout entier,

Ulysse, Ménélas, et vous tout le premier.

Ach. Moi!

Agam. Vous, qui de l'Asie embrassant la conquête

Querellez tous les jours le ciel qui vous arrête;

Vous qui vous offensant de mes justes terreurs
Avez dans tout le camp répandu vos fureurs..

Mon cœur, pour la sauver, vous ouvrait une voie ;
Mais vous ne demandez, vous ne cherchez que Troie,
Je vous fermais le champ où vous voulez courir;
Vous le voulez; partez; sa mort va vous l'ouvrir.
Ach. Juste ciel! puis-je entendre et souffrir ce langage?
Est-ce ainsi qu'au parjure on ajoute l'outrage?
Moi, je voulais partir aux dépens de ses jours?
Et que m'a fait à moi cette Troie où je cours?
Au pied de ses remparts quel intérêt m'appelle?
Pour qui, sourd à la voix d'une mère immortelle,
Et d'un père éperdu négligeant les avis,
Vais-je y chercher la mort tant prédite à leur fils?
Jamais vaisseaux partis des rives du Scamandre
Aux Champs Thessaliens osèrent-ils descendre!
Et jamais dans Larisse un lâche ravisseur

Me vint-il enlever ou ma femme ou ma sœur?
Qu'ai-je à me plaindre? Où sont les pertes que j'ai faites?
Je n'y vais que pour vous, barbare que vous êtes!
Pour vous, à qui des Grecs moi seul je ne dois rien;
Vous, que j'ai fait nommer et leur chef et le mien ;
Vous, que mon bras vengeait dans Lesbos enflamméc,
Avant que vous eussiez assemblé votre armée.
Et quel fut le dessein qui nous assembla tous?
Ne courons-nous pas rendre Hélène à son époux?
Depuis quand pense-t-on qu'inutile à moi-même
Je me laisse ravir une épouse que j'aime?
Seul, d'un honteux affront, votre frère blessé
A-t-il droit de venger son amour offensé ?
Votre fille me plut; je prétendis lui plaire;
Elle est de mes sermens seule dépositaire:
Content de son hymen, vaisseaux, armes, soldats,
Ma foi lui promit tout, et rien à Ménélas.
Qu'il poursuive, s'il veut, son épouse enlevée;
Qu'il cherche une victoire à mon sang réservée :
Je ne connais Priam, Hélène, ni Paris;

Je voulais votre fille, et ne pars qu'à ce prix.

Agam. Fuyez donc; retournez dans votre Thessanc
Moi-même je vous rends le serment qui vous lie.
Assez d'autres viendront, à mes ordres soumis,
Se couvrir des lauriers qui vous furent promis
Et, par d'heureux exploits forçant la destinée,
Trouveront d'Ilion la fatale journée.

J'entrevois vos mépris, et juge, à vos discours,
Combien j'acheterais vos superbes secours.
De la Grèce déjà vous vous rendez l'arbitre;
Ses rois, à vous ouïr, m'ont paré d'un vain titre.
Fier de votre valeur, tout si je vous en crois,
Doit marcher, doit fléchir, doit trembler sous vos lois.

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