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J'abolis les faux dieux, et mon culte épuré
De ma grandeur naissante est le premier degré.
Ne me reproche point de tromper ma patrie;
Je détruis sa faiblesse et son idolâtrie:

Et, pour

Sous un roi, sous un dieu, je viens la réunir;
la rendre illustre, il la faut asservir.
Zop. Voilà donc tes desseins: c'est donc toi dont l'audace
De la terre à ton gré prétend changer la face!
Tu veux, en apportant le carnage et l'effroi,
Commander aux humains de penser comme toi
Tu ravages le monde, et tu prétends l'instruire.
Ah! si par des erreurs il s'est laissé séduire,
Si la nuit du mensonge a pu nous égarer,
Par quels flambeaux affreux veux-tu nous éclairer?
Quel droit as-tu reçu d'enseigner, de prédire,

De porter l'encensoir, et d'affecter l'empire?

Mah, Le droit qu'un esprit vaste, et ferme en ses desseius, A sur l'esprit grossier des vulgaires humains.

Zop. Et quoi! tout factieux, qui pense avec courage, Doit donner aux mortels un nouvel esclavage?

Il a droit de tromper, s'il trompe avec grandeur?

Mah. Oui: je commais ton peuple, il a besoin d'erreur : Ou véritable, ou faux, mon culte est nécessaire.

Que t'ont produit tes dieux ? quel bien t'ont-ils pu faire?
Quels lauriers vois-tu croître au pied de leurs autels?
Ta secte obscure et basse avilit les mortels,
Enerve le courage, et rend l'homme stupide;
La mienne élève l'ame et la rend intrépide.
Ma loi fait des héros.

Zop.

Dis plutôt des brigands.

Porte ailleurs tes leçons, l'école des tyrans ;

Va vanter l'imposture à Médine où tu règnes,

Où tes maîtres séduits marchent sous tes enseignes,

Où tu vois tes égaux à tes pieds abattus.

Mah. Des égaux! dès long-temps Mahomet n'en a plus.

Je fais trembler la Mecque, et je règne à Médine ;

Crois-moi, reçois la paix, si tu crains ta ruine.

Zop. La paix est dans ta bouche, et ton cœur en est loia: Penses-tu me tromper?

Mah.

Je n'en ai pas besoin.

C'est le faible qui trompe, et le puissant commande,
Demain j'ordonnerai ce que je te demande:

Demain je puis te voir à mon joug asservi:

Aujourd'hui Mahomet veut être ton ami.

Zop. Nous amis! nous, cruel! ah, quel nouveau prestige! Connais-tu quelque dieu qui fasse un tel prodige?

Mah. J'en connais un puissant, et toujours écouté,

Qui te parle avec moi.

Zop. Mah.

Ton intérêt.
Zop.

Qui

La nécessité.

Avant qu'un tel nœud nous rassemble,
Les enfers et les cieux seront unis ensemble.
L'intérêt est ton dieu, le mien est l'équité;
Entre ces ennemis il n'est point de traité.
Quel serait le ciment, réponds-moi, si tu l'oses,
De l'horrible amitié qu'ici tu me proposes?
Réponds; est-ce ton fils que mon bras te ravit?
Est-ce le sang des miens que ta main répandit?

Mah. Oui, ce sont tes fils même. Oui, connais an mystère Dont seul dans l'univers je suis dépositaire:

Tu pleures tes enfans, ils respirent tous deux.

Zop. Ils vivraient! qu'as-tu dit? ô ciel! ô jour heureux ! Ils vivraient! c'est de toi qu'il faut que je l'apprenne!

Mah. Elevés dans mon camp, tous deux sont dans ma chalne Zop. Mes enfans dans tes fers! ils pourraient te servir! Mah. Mes bienfesantes mains ont daigué les nourrir. Zop. Quoi! tu n'as point sur eux étendu ta colère? Mah. Je ne les punis point des fautes de leur père. Zop. Achève, éclaircis-moi, parle, quel est leur sort? Mah. Je tiens entre mes mains et leur vie et leur mort; Tu n'as qu'à dire un mot, et je t'en fais l'arbitre.

Zop. Moi, je puis les sauver! à quel prix ? à quel titre?
Faut-il donner mon sang? faut-il porter leurs fers?

Mah. Non, mais il faut m'aider à tromper l'univers;
Il faut rendre la Mecque, abandonner ton temple,
De la crédulité donner à tous l'exemple,
Annoncer l'Alcoran aux peuples effrayés,

Me servir en prophète, et tomber à mes pieds:

Je te rendrai ton fils, et je serai ton gendre.

Zop. Mahomet, je suis père, et je porte un cœur tendre.

Après quinze ans d'ennuis, retrouver mes enfans,

Les revoir, et mourir dans leurs embrassemens,
C'est le premier des biens pour mon ame attendrie:
Mais s'il faut à ton culte asservir ma patrie,
Ou de ma propre main les immoler tous deux,
Connais-moi, Mahomet, mon choix n'est pas douteux.
Adieu.

Mah. (seul.) Fier citoyen, vieillard inexorable,
Je serai plus que toi cruel, impitoyable.

Le même.

Scène de Mérope.

Egisthe, enchaîné, paraît devant Mérope, qui veut l'interroger sur le meurtre qu'il a commis en se défendant.

MÉROPE, EURICLES, EGISTHE, ISMÉNIE.

Eg. (à Isménie.) Est-ce là cette reine auguste et malheureuse, Celle de qui la gloire et l'infortune affreuse

Retentit jusqu'à moi dans le fond des déserts?
Ism. Rassurez-vous, c'est elle.

O Dieu de l'univers !

Eg.
Dieu qui formas ses traits, veille sur ton image!
La vertu sur le trône est ton plus digue ouvrage.
Mér. C'est là ce meurtrier! se peut-il qu'un mortel
Sous des dehors si doux ait un cœur si cruel?
Approche, malheureux, et dissipe mes craintes.
Réponds-moi? de quel sang tes mains sont-elles teintes?
Eg. O reine, pardonnez! le trouble, le respect,
Glacent ma triste voix tremblante à votre aspect.
(à Euriclès.)

Mon ame en sa présence, étonnée, attendrie—
Mér. Parle de qui ton bras a-t-il tranché la vie?
Eg. D'un jeune audacieux, que les arrêts du sort

Et ses propres fureurs ont conduit à la mort.

Mér. D'un jeune homme! mon sang s'est glacé dans mes veines. Ab!--t'était-il connu?

Eg.

Non, les champs de Messenes,

Ses murs, leurs citoyens, tout est nouveau pour moi!
Mér. Quoi! ce jeune inconnu s'est armé contre toi?

Tu n'aurais employé qu'une juste défense?

Eg. J'en atteste le ciel; il sait mon innocence.
Aux bords de la Pamise, en un tempie sacré,
Où l'un de vos aïeux, Hercule, est adoré,
J'osais prier pour vous ce dieu vengeur des crimes;
Je ne pouvais offrir ni préseus ni victimes;
Né dans la pauvreté, j'offrais de simples vœux,
Un cœur pur et soumis, présent des malheureux.
Il semblait
que le dieu, touché de mon hommage,
Au-dessus de moi-même élevât mon courage.
Deux inconnus armés m'ont abordé soudain,
L'un dans la fleur des ans, l'autre vers son déclin.
Quel est donc, m'ont-ils dit, le dessein qui te guide?
Et quels vœux formes-tu pour la race d'Alcide?
L'un et l'autre à ces mots ont levé le poignard.
Le ciel in'a secouru dans ce triste hasard;
Cette main du plus jeune a puni la furie;
Percé de coups, madame, il est tombé sans vic.
*N

VOL. II.

L'autre a fui lâchement, tel qu'un vil assassin.
Et moi, je l'avouerai, de mon sort incertain,
Ignorant de quel sang j'avais rougi la terre,
Craignant d'être puni d'un meurtre involontaire,
J'ai traîné dans les flots ce corps ensanglantć.
Je fuyais; vos soldats m'ont bientôt arrêté :
Ils ont nommé Mérope et j'ai rendu les armes.

Eur. Eh! madame, d'où vient que vous versez des larmie
Mér. Te le dirai-je? hélas! tandis qu'il m'a parlé,
Sa voix m'attendrissait; tout mon cœur s'est trouble.
Cresphonte, & ciel!--j'ai cru-que j'en rougis de honte!
Oui, j'ai cru démêler quelques traits de Cresphonte.
Jeux cruels du hasard, en qui me montrez-vous
Une si fausse image et des rapports si doux?
Affreux ressouvenir, quel vain songe m'abuse!

Eur. Rejetez donc, madame, un soupçon qui l'accuse,
Il n'a rien d'un barbare, et rien d'un imposteur.
Mér. Les dieux ont sur son front imprimé la candeur:
Demeurez: en quel lieu le ciel vous fit-il naître?
Eg. En Elide.

Mér.

Qu'entends-je? en Elide! ah! peut-être
L'Elide-répondez-Narbas vous est connų?
Le nom d'Egisthe au moins jusqu'à vous est venu?
Quel était votre état, votre rang, votre père?

Eg. Mon père est un vieillard accablé de misère;
Polyclète est son nom; mais Egisthe, Narbas,
Ceux dont vous me parlez, je ne les connais pas.
Mér. O dieux, vous vous jouez d'une faible mortelle !
J'avais de quelque espoir une faible étincelle,
J'entrevoyais le jour, et mes yeux affligés
Dans la profonde nuit sont déjà replongés.
Et quel rang vos parens tiennent-ils dans la Grèce ?
Eg. Si la vertu suffit pour faire la noblesse,
Ceux dont je tiens le jour, Polyclète, Syris,
Ne sont point des mortels dignes de vos mépris :
Leur sort les avilit; mais leur sage constance
Fait respecter en eux l'honorable indigence.
Sous ses rustiques toits mon père vertueux

Fait le bien, suit les lois, et ne craint que les dieux.

Mér. Chaque mot qu'il me dit est plein de nouveaux charmes.

Pourquoi donc le quitter? pourquoi causer ses larmes?

Sans doute il est affreux d'être privé d'un fils.

Eg. Un vain désir de gloire a séduit mes esprits.
On me parlait souvent des troubles de Messène,
Des malheurs dont le ciel avait frappé la reine,
Surtout de ses vertus dignes d'un autre prix:
Je me sentais ému par ces tristes récits.

De l'Elide en secret dédaignant la mollesse,
J'ai voulu dans la guerre exercer ma jeunesse,
Servir sous vos drapeaux, et vous offrir mon bras;
Voilà le seul dessein qui conduisit mes pas.
Ce faux instinct de gloire égara mon courage:
A mes parens, flétris sous les rides de l'âge,
J'ai de mes jeunes ans dérobé les secours;
C'est ma première faute, elle a troublé mes jours:
Le ciel m'en a puni; le ciel inexorable

M'a conduit dans le piége et m'a rendu coupable.
Mér. Il ne l'est point: j'en crois son ingénuité:
Le mensonge n'a point cette simplicité.
Tendous à sa jeunesse une main bienfesante:
C'est un infortuné que le ciel me présente.
Il suffit qu'il soit homme, et qu'il soit malheureux.
Mon fils peut éprouver un sort plus rigoureux.
Il me rappelle Egisthe; Egisthe est de son âge:
Peut-être comme lui, de rivage en rivage
Inconnu, fugitif, et partout rebuté,

Il souffre le mépris qui suit la pauvreté
L'opprobre avilit l'ame et flétrit le courage.
Pour le sang de nos dieux quel horrible partage

Voltaire.

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