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château où je me renfermai. Il eut l'audace d'y entrer presque seul! je pouvais alors le faire périr.

Le P. Pourquoi ne le fis-tu pas, malheureux ?

Rich. Les peuples que je voyais de toutes parts armés dans la campagne m'auraient massacré.

Le P. Et ne valait-il pas mieux mourir en homme de courage? Rich. Il y eut d'ailleurs un présage qui me découragea.

Le P. Qu'était-ce ?

Rich. Ma chienne, qui n'avait jamais voulu caresser que moi seul, me quitta d'abord pour aller caresser le comte. Je vis bien ce que cela signifiait, et je le dis au comte même.

Le P. Voilà une belle naïveté! Un chien a douc décidé de ton autorité et de ton honneur, de ta vie, et du sort de toute l'Angleterre. Alors que fis-tu ?

Rich. Je priai le comte de me mettre en sureté, contre la fureur de ce peuple.

Le P. Hélas! il ne te manquait plus que de demander lâchement la vie à l'usurpateur. Te la donna-t-il au moins?

Rich. Oui, d'abord. Il me renferma dans la tour, où j'aurais vécu assez doucement: mais mes amis me firent plus de mal que mes ennemis. Ils voulurent se rallier pour me tirer de captivité, et pour renverser l'usurpateur. Alors il se défit de moi, malgré lui; car il n'avait pas envie de se rendre coupable de ma mort.

Le P. Voilà un malheur complet. Mon fils est faible et inégal : sa vertu mal soutenue le rend méprisable: il s'allie avec ses ennemis, et soulève ses sujets: il ne prévoit point l'orage: il se décourage dès qu'il est attaqué: il perd les occasions de punir l'usurpateur: il demande lâchement la vie, et ne l'obtient pas. O ciel! vous vous jouez de la gloire des princes et de la prospérité des états. Voilà le petitfils d'Edouard qui a vaincu Philippe et ravagé son royaume! voilà mon fils, de moi, qui ai pris le roi Jean, et fait trembler la France et l'Espagne !

Un Seigneur et un Villageois.

Fénélon.

Le Bonheur Champêtre.

Le Seig. Dieu vous garde, bon homme! vous êtes bien gar,
Le Vil. Comme de coutume.

Le Seig. J'en suis bien aise; cela prouve que vous êtes content de

otre état.

Le Vil. Jusqu'à présent j'ai lieu de l'être.

Le Seig. Etes-vous marié ?

Le Vil. Oui, grâce au ciel.

Le Seig. Avez-vous des enfans?

Le Vil. J'en avais cinq: j'en ai perdu un, mais ce malheur peut se

éparer.

Le Seig. Votre femme est jeune ?

Le Vil. Elle a vingt-cinq ans.

Le Seig. Est-elle jolie ?

Le Vil. Elle l'est pour moi; mais elle est mieux que jolie, elle est

bonne.

Le Seig. Et vous l'aimez?

Le Vil. Si je l'aime! eh! qui ne l'aimerait pas ?

Le Seig. Et vos enfans, viennent-ils bien ?

Le Vil. Ah! c'est un plaisir. L'aîné n'a que cinq ans; il a déjà plus d'esprit que son père! et mes deux filles! c'est cela qui est charmant. Le dernier tette encore: mais le petit compère sera robuste et vigoureux. Croiriez-vous bien qu'il bat ses sœurs, quand elles veulent baiser leur mère? il a toujours peur qu'on ne vienne le détacher du

teton.

Le Seig. Tout cela est donc bien heureux ?

Le Vil. Heureux! je le crois. Il faut voir la joie quand je reviens du labourage. On dirait qu'ils ne m'ont pas vu d'un an : je ne sais auquel entendre. Ma femme est à mon cou, mes filles dans mes bras, mon aîné me saisit les jambes; il n'y a pas jusqu'au petit Jeannot, qui, se roulant sur le lit de sa mère, ne me tende ses petites mains, et moi je ris, et je pleure, et je les baise, car tout cela m'attendrit.

Le Seig. Je le crois.

Le Vil. Vous devez le sentir, car sans doute vous êtes pere.
Le Seig. Je n'ai pas ce bonheur.

Le Vil. Tant pis: il n'y a que cela de bon.

Le Seig. Et comment vivez-vous?

Le Vil. Fort bien. D'excellent pain, de bon laitage, et du fruit de notre verger. Ma femme, avec un peu de lard, fait une soupe aux choux, dont le roi mangerait. Nous avons encore les œufs de nos poules, et le Dimanche nous nous régalons, et nous buvons un petit

coup

de vin.

Le Seig. Oui, mais quand l'année est mauvaise ?

Le Vil. On s'y est attendu, et l'on vit doucement de ce que l'on a épargné dans la bonne.

Le Seig. Il y a encore la rigueur du temps, le froid, la pluie, les chaleurs que vous avez à soutenir.

Le Vil. On s'y accoutume; et si vous saviez quel plaisir on a de venir le soir respirer le frais après un jour d'été, ou l'hiver, se dégourdir les mains au feu d'une bonne bourrée entre sa femme et ses enfans! Et puis on soupe de bon appeut, et on se couche; et croyezvous qu'on se souvienne du mauvais temps? Allez, monsieur, il y a bien du monde qui ne vit pas aussi content que nous.

Le Seig. Et les impôts?

Le Vil. Nous les payons gaiement; il le faut bien. Tout le pays ne peut pas être noble. Celui qui nous gouverne, et celui qui nous juge ne peuvent pas venir labourer. Ils font notre besogue, et nous fesons la leur. Chaque état, comme on dit, a ses peines. Marmontel.

Le Seig. Quelle équité! qu'ils sont heureux !

NARRATIONS, TABLEAUX, &c.

Soyez vif et pressé dans vos rarrations;
Soyez riche et pompeux dans vos descriptions.

Les Bords du Meschacebé, ou Missisippi.

BOILEAU.

LE Meschacebé*, dans un cours de plus de mille lieues, arrose une délicieuse contrée, que les habitaus des Etats-Unis appellent le nouvel Eden, et à qui les Français ont laissé le doux nom de Louisiane. Mille autres fleuves, tributaires du Meschacebé, le Missouri, l'Illinois, l'Akanza, l'Ohio, le Wabache, le Tenase, l'engraissent de leur limon, et la fertilisent de leurs eaux. Quand tous ces fleuves se sont gonflés des déluges de l'hiver ; quand les tempêtes ont abattu des pans entiers de forêts, le temps assemble, sur toutes les sources, les arbres déracinés. Il les unit avec des lianes, il les cimente avec des vases, il y plante de jeunes arbrisseaux, et lance son ouvrage sur les ondes. Chariés par les vagues écumantes, ces radeaux descendent de toutes parts au Mescha. cebé. Le vieux fleuve s'en empare, et les pousse à son embouchure, pour y former une nouvelle branche. Par intervalle, il élève sa grande voix en passant sous les monts, et répand ses eaux débordées autour des colonnades des forêts, et des pyramides des tombeaux Indiens: c'est le Nil des déserts. Mais la grâce est toujours unie à la magnificence dans les scènes de la nature; et tandis que le courant du milieu entraîne vers la mer les cadavres des pins et des chênes, on voit sur les deuxcouraus latéraux remonter, le long des rivages, des îles flottantes de Pistia et de Nénuphar, dont les roses jaunes s'élèvent comme de petits pavillons. Des serpens verts, des hérons bleus, des flamans roses, de jeunes crocodiles s'embarquent passagers sur ces vaisseaux de fleurs, et la colonie, déployant au vent ses voiles d'or, va aborder, endormie, dans quelque anse retirée du fleuve.

Les deux rives du Meschacebé présentent le tableau le plus extraordinaire. Sur le bord occidental, des savannes se déroulent à perte de vue; leurs fots de verdure, en s'éloignant, semblent monter dans l'azur du ciel, où ils s'évanouissent. On voit dans ces prairies sans bornes, errer à l'aventure des troupeaux de trois ou quatre mille buffles sauvages. Quelquefois un bison chargé d'années, fendant les flots à la nage, se vient coucher parmi de hautes herbes, dans une île du Meschacebé. A son front orné de deux croissans, à sa barbe antique et limoneuse, vous le prendriez pour le dieu mugissant du fleuve, qui jette un œil satisfait sur la grandeur de ses ondes, et la sauvage abondance de ses rives.

• Vrai nom du Missisippi, vieux père des eaux.

Telle est la scène sur le bord occidental; mais elle change tout-à-coup sur la rive opposée, et forme avec la première un admirable contraste. Suspendus sur le cours des ondes, groupés sur les rochers et sur les montagnes, dispersés dans les vallées, des arbres de toutes les formes de toutes les couleurs, de tous les parfums, se mêlent, croissent ensem ble, montent dans les airs à des hauteurs qui fatiguent les regards. Les vignes sauvages, les bignonias, les coloquintes, s'entrelacent au pied de ces arbres, escaladent leurs rameaux, grimpent à l'extrémité des branches, s'élancent de l'érable au tulipier, du tulipier à l'alcée, en formant mille grottes, mille voûtes, mille portiques. Souvent égarées, d'arbre en arbre, ces lianes traversent des bras de rivières, sur lesquels elles jettent des ponts et des arches de fleurs. Du sein de ces massifs enbaumés, le superbe magnolia élève son cône immobile. Surmonté de ses larges roses blanches, il domine toute la forêt, et n'a d'autre rival que le palmier, qui balance légèrement autour de lui ses éventails de verdure.

Une multitude d'animaux, placés dans ces belles retraites par la main du Créateur, y répandent l'enchantement de la vie. De l'extrémité des avenues, on aperçoit des ours enivrés de raisins, qui chancellent sur les branches des ormeaux; des troupes de cariboux se baignent dans un lac; des écureuils noirs se jouent dans l'épaisseur des feuillages; des oiseaux moqueurs, des colombes virginiennes, de la grosseur d'un passereau, descendent sur les gazons rougis par les fraises; des perroquets verts à tête jaune, des piverts empourprés, des cardinaux de feu, grimpent, en circulant, au haut des cyprès; des colibris étincellent sur le jasmin des Florides, et des serpens oiseleurs sifflent suspendus aux dômes des bois, en s'y balançant comme des lianes.

Si tout est silence et repos dans les savannes de l'autre côté du fleuve, tout ici, au contraire, est mouvement et murmure: des coups de bec contre le tronc des chênes, des froissemens d'animaux, qui marchent, broutent, ou broient entre leurs dents les noyaux des fruits; des bruissemens d'ondes, de faibles gémissemens, de sourds meuglemens, de doux roucoulemens, remplissent ces déserts d'une tendre et sauvage harmonie. Mais quand une brise vient à animer toutes ces solitudes, à balancer tous ces corps flottans, à confondre toutes ces masses de blanc, d'azur, de vert, de rose, à mêler toutes les couleurs, à réunir tous les murmures; alors il sort de tels bruits du fond des forêts, il se passe de telles choses aux yeux, que j'essaierais en vain de les décrire à ceux qui n'ont pas parcouru ces champs primitifs de la nature. M. de Châteaubriand.

La Cataracte de Niagara.

Nous arrivâmes bientôt au bord de la cataracte, qui s'annonçait par d'affreux mugissemens. Elle est formée par la rivière Niagara, qui sort du lac Erié et se jette dans le lac Ontario; sa hauteur perpendiculaire est de cent quarante-quatre pieds: depuis le lac Erié jusqu'au saut, le fleuve arrive toujours en déclinant par une pente rapide; et au moment de la chute, c'est moins un fleuve qu'une mer, dont les torrens

se pressent à la bouche béante d'un gouffre. La cataracie se divise eu deux branches, et se courbe en fer à cheval. Entre les deux chutes, s'avance une île, creusée en dessous, qui pend, avec tous ses arbres, sur le chaos des ondes. La masse du fleuve, qui se précipite au midi s'arrondit en un vaste cylindre, puis se déroule en nappe de neige, et brille au soleil de toutes les couleurs: celle qui tombe au levant, descend dans une ombre effrayante; on dirait que c'est une colonne d'eau du dé. luge. Mille arcs-en-ciel se courbent et se croisent sur l'abîme, L'onde, frappant le roc ébranlé, rejaillit en tourbillons d'écume qui s'élèvent au-dessus des forêts, comme les fumées d'un vaste embrasement. Des pins, des noyers sauvages, des rochers taillés en forme de fantômes, décorent la scène. Des aigles, entraînés par le courant d'air, descendant en tournoyant au fond du gouffre, et des carcajoux se suspendant par leurs longues queues au bout d'une branche abaissée, pour saisir dans l'abîne les cadavres brisés des élans et des ours.

Le même. Génie du Christianisme.

Le Spectacle d'une Belle Nuit dans les Déserts du Nouveau Monde.

Une heure après le coucher du soleil, la lune se montra au-dessus des arbres; à l'horizon opposé, une brise embaumée qu'elle amenait de l'orient avec elle, semblait la précéder, comme sa fraîche haleine, dans les forêts. La reine des nuits monta peu-à-peu dans le ciel: tantôt elle suivait paisiblement sa course azurée; tantôt elle reposait sur des groupes de nues, qui ressemblaient à la cime des hautes montagnes couronnées de neige. Ces nues, ployant et déployant leurs voiles, se déroulaient en zones diaphanes de satin blanc, se dispersaient en légers flocons d'écume, ou formaient dans les cieux des bancs d'une ouate éblouissante, si doux à l'œil, qu'on croyait ressentir leur mollesse et leur élasticité.

La scène, sur la terre, n'était pas moins ravissante; le jour bleuâtre et velouté de la luue, descendait dans les intervalles des arbres, et poussait des gerbes de lumières jusque dans l'épaisseur des plus profondes ténèbres. La rivière qui coulait à mes pieds, tour-à-tour se perdait dans les bois, tour-à-tour reparassait toute brillante des con stellations de la nuit, qu'elle répétait dans son sein. Dans une vaste prairie, de l'autre côté de cette rivière, la clarté de la lune dormait sans mouvement sur les gazons. Des bouleaux agités par les brises, et dispersés, çà et là, dans la savanne, formaient des îles d'ombres flottantes, sur une mer immobile de lumière. Auprès, tout était silence et repos, hors la chute de quelques feuilles, le passage brusque d'un vent subit, les gémissemens rares et interrompus de la hulotte; mais au loin, par intervalles, on entendait les roulemens solemnels de la cataracte de Niagara, qui, dans le calme de la nuit, se prolongeaient de désert, en désert, et expiraient à travers les forêts solitaires.

La grandeur, l'étonnante mélancolie de ce tableau, ne sauraient s'exprimer dans les langues humaines : les plus belles nuits en Europe

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