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Lettre de J. B. Rousseau à M. de Crouzas, qui avait remporté le prix à l'Académie des Sciences de Paris.

Je ne pouvais recevoir, monsieur, une plus agréable nouvelle que celle de votre dernier succès à l'Académie des Sciences. C'est un houneur pour vous d'avoir réuni les suffrages de tant de savans de toute espèce qui la composent. Ce n'en est pas un moindre pour cette compagnie, d'avoir su distinguer un mérite aussi éclatant que le vôtre; c'est de ce mérite qu'il faut vous féliciter, et l'académie doit être fé. licitée de l'équité de son jugement.

Lettre de Fléchier à M. le Maréchal de Villars, sur sa campagne de 1707.

Je m'étais bien attendu, monsieur, que vous feriez parler de vous, mais je ne croyais pas que ce fût ni si promptement, ni si bautement. A peine êtes-vous arrivé que vous avez entrepris une affaire qu'on n'avait guère osé tenter, et qu'on avait quelquefois vainement tentée. Il n'y a point de barrière si impénétrable que vous ne forciez, et l'Allemagne a beau vous opposer des rivières et des digues qui sem. blent la mettre à couvert de toutes les forces étrangères, vous passe z tout, vous forcez tout dès l'entrée de la campagne. On vous craint, on fuit devant vous: soldats, officiers, généraux se sauvent comme ils peuvent, et vous finissez une grande action sans aucune perte. J'espère que les suites de cet heureux commencement seront glorieuses; je vous en félicite par avance, par l'intérêt sincère que je prends à tout ce qui vous regarde, et par l'attachement et le respect particulier avec Jequel, &c.

Lettre du même à M. Le Pelletier, nommé à la charge de premier président au parlement de Paris, 1707.

Agréez, monsieur, que je prenne part à la joie publique sur le choix que le roi a fait de vous pour être premier président du premier parlement de France. La réputation de votre sagesse, de votre droiture, de votre équité, avait déjà prévenu les esprits en votre faveur; et vous semblez être fait pour cet auguste tribunal de la justice. Sa majesté vous y a placé; les peuples s'en réjouissent par l'estime qu'ils ont pour vous, et par la protection qu'ils en espèrent, et moi par le respectueux attachement avec lequel, &c.

DES LETTRES DE CONDOLÉANCE.

INSTRUCTION.

Le caractère d'une lettre dépendant toujours de la nature du sujet, il est sensible que tout ce qui tient à la légéreté, même la moindre teinte de gaieté doivent être sévèrement bannies d'un compliment de condoléance. La seule manière d'adoucir la douleur, c'est de la partager; c'est de pleurer avec celui qui pleure: mêlez vos larmes avec les siennes, et vous lui prouverez plus d'intérêt que vos ingénieux discours ne lui porteraient de consolatious.

S'il a perdu un fils, une épouse, un ami, faites-en l'éloge avec lui; ajoutez encore à ses regrets par les vôtres: en vous associant ainsi aux peines qu'il souffre, vous le disposerez plus facilement à recevoir de vous les adoucissemens que la philosophie et la religion seules apportent aux maux qui sont sans ren.ède. Si les chagrins sont d'un autre genre, la rhétorique vous offre alors ces lieux communs dont Porateur sait tirer un si grand parti.

S'agit-il, par exemple, d'un procès perdu? accusez-en l'incertitude de tout ce qui est laissé aux jugemens des homines souvent entraînés par l'éloquence et trompés par les fausses apparences.

S'agit-il d'un échec du côté de la fortune? faites retomber l'événe. ment sur l'inconstance de l'aveugle déesse, qui dispose des biens au gré de ses caprices. Mais ayez soin de remarquer que, si elle a ses disgraces, elle a aussi ses retours. Que le temps la ramène; que l'économie en répare sûrement les outrages, &c.

S'agit-il, enfin, d'une place, d'un emploi dont l'affligé regrette la perte? rejettez-vous sur les petites menées des intrigans, sur l'audace calomniatrice des envieux ou des ambitieux, sur les séductions de tout genre auxquelles ne sont que trop souvent exposés les dispensateurs des grâces, &c.

Mais finissez par faire briller dans le lontain cette douce espérance qui est pour l'ame abattue et déchirée ce qu'est au laboureur désolé par l'orage l'arc céleste qui lui en annonce la fin, et lui promet la sérénité.

MODÈLES.

Lettre de Fléchier à M. Salvador.

Je regrette bien, monsieur, la perte que vous avez faite de monsieur votre père, et je compatis à votre douleur. 'Il vous laisse les véritables biens, qui sont ses vertus et ses bons exemples; et les plus solides consolations, qui sont une longue continuation de sagesse et de piété, une vie de Chrétien, et une mort de patriarche. Je vous souhaite une

aussi longue pratique de bonnes œuvres ; et persuadé qu'il ne manque à la perfection de votre mérite que ce qu'un âge comme le sien y peut ajouter, je félicite messieurs vos enfans de retrouver en vous ce que vous perdez en monsieur votre père. Je suis, &c.

Lettre de J. J. Rousseau à Monsieur le Maréchal de Luxembourg.

J'apprends, monsieur le maréchal, la perte que vous venez de faire (de madame de Villeroi, sa sœur,) et ce moment est un de ceux où j'ai le plus de regret de n'être pas auprès de vous: car la joie se suffit à elle-même; mais la tristesse a besoin de s'épancher, et l'amitié est bien plus précieuse dans la peine que dans le plaisir. Que les mortels sont à plaindre de se faire entre eux des attachemens durables! Ah! puisqu'il faut passer sa vie à pleurer ceux qui nous sont chers, à pleurer les uns morts, les autres peu dignes de vivre, que je la trouve peu regrettable à tous égards! Ceux qui s'en vont sont plus heureux que ceux qui restent; ils n'ont plus rien à pleurer. Čes réflexions sout communes: qu' importe? en sont-elles moins naturelles? Elles sont d'un homme plus propre à s'affliger avec ses amis qu'à les consoler, et qui sent aigrir ses propres peines en s'attendrissant sur les leurs.

Lettre de J. B. Rousseau à M. D****, sur la Mort de son Fils aîné.

Quelle perte, bon Dieu! et à quelle épreuve la Providence a-t-elle voulu mettre votre vertu, monsieur! c'est ainsi qu'elle se joue des projets qui nous paraissent les plus légitimes. Vous avez joui jusqu'à présent de tous les avantages de cette vie: une longue et constante prospérité, une fortune établie, une famille digne de vous, voilà bien des grâces que Dieu n'était pas obligé de vous faire; et peut-être n'avez-vous pas assez songé que c'était à lui seul que vous les deviez. On ne lui attribue que la mauvaise fortune, et on croit ne devoir la bonne qu'à soi-même. Il faut pourtant tôt ou tard payer nos dettes, et se mettre dans l'esprit qu'il ne nous envoie point dans ce monde pour être heureux,

Recevez votre affliction comme une expiation des fautes auxquelles nous sommes tous sujets en cette vie, et comme un gage du bonheur que Dieu vous prépare dans une autre. Il vous reste un fils; donnez tous vos soins à en faire un aussi honnête homme que vous ; en un mot, consolez-vous avec celui qui vous reste, et priez pour celui que vous n'avez plus.

Vous serez peut-être surpris de recevoir de pareils conseils d'un faiseur d'épigrammes; mais, Dieu merci, j'en ai porté la peine, et je m'estimerais malheureux si je n'en avais pas été puni.

Lettre du même à M. Brossette dont la Femme venait de mourir. Je vous demandais des nouvelles, monsieur, hélas! je ne songeais guère à la douleur que devait me causer la première que je recevrais de vous! J'ai senti la perte que vous m'apprenez, comme vous la sentez vous-même. Il est bien naturel de compatir aux malheurs de son ami; mais le vôtre me toucherait par ses circonstances quand il ne regarderait qu'une personne indifférente. Je vous plains, monsieur: vous me plaindriez peut-être à votre tour, si vous pouviez concevoir toute la part que je prends à votre affliction. Ne vous en étonnez pas; à force d'être malheureux, je suis devenu moins sensible à mes malheurs qu'aux malheurs d'autrui.

Lettre de Voltaire à M. d'Alembert.

C'est pour le coup, mon cher ami, que la philosophie vous est bien nécessaire! Je n'ai appris que tard et par d'autres que vous, la perte (*) que vous avez faite. Voilà toute votre vie changée: il sera bien difficile que vous vous accoutumiez à une telle privation. Je crains pour votre santé : le courage sert à combattre, mais il ne sert pas toujours à rendre heureux.

Ménagez votre existence le plus long-temps que vous pourrez. Vous êtes aimé et considéré, c'est la plus grande des ressources: il est vrai qu'elle ne tient pas lieu d'une amie intime, mais elle est au-dessus de tout le reste. Adieu, mon vrai philosophe; souvenez-vous quelquefois d'un pauvre vieillard mourant, qui vous est aussi tendrement dévoué qu'aucun de vos amis de Paris.

Lettre de M. le Comte de Bussy à Madame de D***,

J'ai appris avec bien du déplaisir la perte de votre procès, madame, car je vous aime fort. Cependant contre fortune bon cœur; vous avez assez de bien pour perdre le plus grand procès sans être incommodée: que cela ne vous altère donc point; conservez-vous, et croyez que, si vous survivez à vos parties adverses, ce seront elles qui auront perdu leur procès.

DES LETTRES SÉRIEUSES ET MORALES.

INSTRUCTION.

Tout n'est pas plaisir dans la vie: on éprouve des tracasseries, on connaît le chagrin, on a des momens d'humeur, on est tourmenté par cet ennui que Buffon nomme le triste tyran des ames qui pensent, contre lequel la sagesse peut bien moins que la folie.

La mort de Mademoiselle d'Espinasse

La retraite même, la solitude d'une campagne, et le silence des champs, nous ramènent à la réflexion, et nous jettent dans la rêverie. C'est alors qu'il est doux d'écrire à ses amis, à ses connaissances, à ses liaisons. L'ame s'épanche et se soulage, le cœur resserré par la peine, se dilate en se communiquant. Un sentiment, quelque pénible qu'il soit cesse presque de l'être quand on le fait partager.

Mais ces sortes de lettres, où dominent tantôt la raison et tantôt la mélancolie, ne sont pas faites pour les indifférens. L'esprit ne doit pas s'y montrer à découvert: quand on est profondément affligé on ne songe pas à faire des phrases. Encore moins cherche-t-on à plaisanter? Gardez-vous, cependant, de faire parler trop long-temps la raison, même à ceux qui sont faits pour l'entendre: une lettre ne se lit pas et manque son effet, quand elle devient sermon. C'est là surtout que le style doit, sans affectation, se revêtir de ces couleurs du sentiment et de la nature qui seulent peuvent embellir et faire aimer la morale.

MODÈLES.

Lettre de Madame de Maintenon à Madame de Chanteloup, 1666.

Me voilà, madame, bien éloignée de la grandeur prédite! Je me soumets à la Providence, et que gagnerais-je à murmurer contre Dieu? Mes amis m'ont conseillé de m'adresser à M***, comme s'ils avaient oublié les raisons que j'ai de n'en rien espérer. Irai-je le regagner par mes soumissions, et briguer l'honneur d'être à ses gages? On m'a envoyée à M. Colbert, mais sans fruit. J'ai fait présenter deux placets au roi, où l'Abbe Testu a mis toute son éloquence: ils n'ont pas seulement été lus. Oh! si j'étais dans la faveur, que je traiterais différemment les malheureux! Qu'on doit peu compter sur les hommes! quand je n'avais besoin de rien j'aurais obtenu un évêché; quand j'ai besoin de tout, tout m'est refusé. Madame de Chalais m'a offert sa protection, mais du bout des lèvres; madame de Lyonne m'a dit : je verrai, je parlerai, du ton dont on dit le contraire. Tout le monde m'a offert des services et personne me m'en a rendu. Le duc est sans crédit, le maréchal, occupé à demander pour lui-même. Enfin, madame, il est très-sûr que ma pension ne sera point rétablie. (*) Je crois que Dieu m'appelle à lui par ces épreuves; il appelle ses enfans par les adversités. Qu'il m'appelle, je le suivrai dans la règle la plus austère: je suis aussi lasse du monde que les gens de la cour le sont de moi. Je vous remercie, madame, des consolations Chrétiennes que vous m'offrez, et des bontés que mon frère m'écrit que vous daignez lui témoigner.

• Eile le fut enfin

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