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que nous avons menti, que cela est faux, qu'on se moque de vous, que voilà une belle raillerie, que cela est bien fade à imaginer; si enfin vous nous dites des injures, nous trouverons que vous avez raison; nous en avons fait autant que vous. Adieu-Les lettres qui seront portées par cet ordinaire vous feront voir si nous disons vai ou non.

Lettre du Maréchal de Luxembourg à Louis XIV. après la bataille de Nerwinde.

SIRE, Astaignan qui a bien vu l'action en rendra bon compte à votre majesté. Vos ennemis y ont fait des merveilles, vos troupes encore mieux. Pour moi, sire, je n'ai d'autre mérite que d'avoir exécuté vos ordres. Vous m'avez dit de prendre la ville et de gagner une bataille; je l'ai prise et je l'ai gagnée.

Lettre de Madame de Sévigné à M. de Grignan.

C'est à vous que je m'adresse, mon cher comte, pour vous écrire une des plus fâcheuses pertes qui pût arriver en France; c'est celle de M. de Turenne, dont je suis assurée que vous serez aussi touché et aussi désolé que nous le sommes ici. Cette nouvelle arriva lundi à Versailles. Le roi en a été affligé, comme on doit l'être de la mort du plus grand capitaine et du plus nounête homme du monde. Toute la cour fut en larmes.

On était près d aller se divertir à Fontainebleau; tout a ete rompu. Jamais un homme n'a été regretté si sincèrement: tout le quartier où il a logé, et tout Paris, et tout le peuple étaient dans le trouble et dans l'émotion; chacun parlait et s'attroupait pour regretter ce héros.

Il avait le plaisir de voir décamper larmée ennemie devant lui; et le 27 (Juillet 1675) qui était samedi, il alla sur une petite hauteur pour observer sa marche. Son dessein était de douner sur l'arrièregarde, et il mandait au roi, à midi, que dans cette pensée, il avait envoyé dire à Brissac qu'on fit les prières de quarante heures. Il mande la mort du jeune d'Hocquincourt, et qu'il enverra un courrier pour apprendre au roi la suite de cette entreprise. 11 cachète sa lettre et l'envoie à deux heures. Il va sur cette petite colline avec huit ou dix personnes. On tire de loin à l'aventure: un malheureux coup de canon le coupe par le milieu du corps; et vous pouvez penser les cris et les pleurs de cette armée. Le courrier part à l'instant. Il arriva lundi, comme je vous l'ai déjà dit; de sorte qu'à une heure l'une de l'autre le roi eut une lettre de M. de Turenne et la nouvelle de sa mort.....

Jamais un homme n'a été si près d'être parfait; et plus on le co nnaissait, plus on l'aimait et plus on le regrette. Adieu, monsieur et madame; je vous embrasse mille fois.

Lettre de Madame de Sévigné au Comte de Bussy.

Que prétendez-vous de moi aujourd'hui, mon cher cousin? Vous n'aurez que des morts; j'en ai l'imagination si remplie, que je ne saurais parler d'autre chose. Je vous dirai donc la mort du maréchal de Créqui en quatre jours: combien il a trouvé sa destinée courte, et combien il était en colère contre cette mort barbare qui, sans considérer ses projets et ses affaires, venait ainsi déranger ses escabelles! On ne l'a jamais reçue avec tant de chagrin que lui; cependant il a fallu se soumettre à ses lois: il a reçu les sacremens. Neuf jours après, son frère aîné, le duc de Créqui, l'a suivi: ce fut hier matin, après une longue maladie. Voilà cette maison de Créqui bien abattue, et de grandes dignités sorties en peu de jours de cette famille! Le duc d'Estrées est mort à Rome, et le jour qu'on en reçut la nouvelle à Paris, la Duchesse d'Estrées, sa belle-mère, mourut aussi du reste de son apoplexie. Vous voyez bien que rien n'est si triste que cette lettre. Si j'en écrivais souvent de pareilles, votre belle et bonne humeur et cette gaieté, si salutaire et si nécessaire, n'y pou rraient pas résister.

Lettre de la même au même.

Plaignez-moi, mon cousin, d'avoir perdu le Cardinal de Retz. Vous savez combien il était aimable et digne de l'estime de tous ceux qui le connaissaient! J'étais son amie depuis trente ans, et je n'avais reçu que des marques tendres de son amitié. Elle m'était également honorable et délicieuse. Il était d'un commerce aisé plus que personne au monde. Huit jours de fièvre continue m'ont ôté cet illustre ami. J'en suis touchée jusqu'au fond du cœur.

Notre bon Abbé de Coulanges a pensé mourir. Le remède du médecin Anglais l'a ressuscité. Dieu n'a pas voulu que M. le Car. dinal de Retz s'en servit, quoiqu'il le demandât sans cesse. de sa mort était marquée, et cela ne se dérange point.

L'heure

Lettre de Madame la Duchesse d'Aiguillon à M. l'Abbé de Guasco. Je n'ai pas le courage, monsieur l'abbé, de vous apprendre la maladie encore moins la mort de M. de Montesquieu. Ni les secours des médecins, ni la conduite de ses amis n'ont pu sauver une tête si chère. Je juge de vos regrets par les miens. L'intérêt que le public a témoigné pendant sa maladie, le regret universel, ce que le roi en a dit publiquement, que c'était un homme impossible à remplacer, sont des ornemens à sa mémoire, mais ne consolent point ses amis: je l'éprouve. L'impression du spectacle, l'attendrissement se faneront avec le temps; mais la privation d'un tel homme dans la société sera sentie à jamais par ceux qui en ont joui. Je ne l'ai pas quitté jus

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qu'au moment qu'il a perdu toute connaissance, dix-huit heures avant Madame Dupré lui a rendu les mêmes soius; et le Che. valier de Jaucourt ne l'a quitté qu'au dernier moment.

sa mort.

Je vous suis, monsieur l'abbé, toujours aussi dévouée.

DES LETTRES de bonne anNÉE.

INSTRUCTION.

Dans une lettre de bonne année, l'enfant exprime aux auteurs de son être son tendre attachement pour eux, son désir d'obtenir la continuation de leurs bontés, ses vœux ardens et sans cesse renouvelés pour leur conservation.

Le protégé fait parler sa reconnaissance et ses souhaits empressés pour la prolongation des années d'un mortel à la vie duquel est attachée sa propre existence.

Si la lettre est de nature à prendre une teinte sérieuse, alors on porte sa pensée sur la rapidité du torrent qui nous entraîne vers cet océan des âges où tout s'abîme sans retour; on emprunte à la morale, à la philosophie, à la religion surtout, ces idées soit fortes soit consolantes qui raidissent notre ame contre les coups de ce vieillard dont la faux n'épargne personne ou qui nous disposent à les souffrir sans murmurer. Au contraire si la lettre permet le badinage, on y regarde le renouvellement de l'année, comme la passation d'un nouveau bail avec la vie, et l'on s'exhorte à semer de fleurs la route de l'existence.

Enfin, dans une lettre de pure étiquette, on se contente de souhaiter à la personne qui en est l'objet des jours aussi nombreux que ses grandes ou ses bonnes qualités, que ses bienfaits ou ses vertus; on ajoute même que ces longs jours lui sont dûs pour le bien de sa famille, de ses amis, de ceux qui l'entourent, et surtout pour l'intérêt des infortunés dont sa sensibilité et ses largesses sont le soutien, &c. &c.

Mais quelque style que l'on emploie, à quelques lieux communs qu'on ait recours, il ne faut jamais oublier que les fadeurs du jour de l'an sont ce qu'il y de plus fastidieux au monde; que les complimens de cette solemnité ne sauraient se renfermer dans des bornes trop étroites; qu'enfin là où une phrase suffit c'est sottise d'en mettre deux.

Voltaire était extrêmement concis sur ce point. A l'impératrice de Russie: "Le public fait des vœux pour votre prospérité, vous aime et vous admire. Puisse l'année 1770 être encore plus glorieuse que 1769!" A Frédéric: "Alcide de l'Allemagne, soyez-en le Nestor; vivez trois âges d'homme. A M. d'Argental: “Je vous souhaite la bonne année, mon cher ange; les années heureuses sont faites pour vous, &c. &c

MODÈLES.

Lettre de Mademoiselle d'Haut

à sa Mère.

Saint-Cyr, 1718.

Je viens, ma chère maman, de faire, avec mes compagnes, la visite du jour de l'an à la respectable fondatrice de cette maison. L'étiquette et la reconnaissance nous ont conduites auprès d'elle. Un sentiment plus doux, plus tendre, plus fort, et bien durable, car il ne finira qu'avec ma vie, me ramène à vous chère et bonne maman: je vous souhaite la santé, je vous souhaite des jours heureux, je vous souhaite tout ce que vous pouvez désirer, je vous souhaite, enfin, autant d'années qu'il se débite en ce jour de dragées et de mensonges.

C'est à la simple et franche vérité que je rends hommage quand je vous assure que je vous aime, que je vous adore, qu'il n'est pour moi point de bonheur sans le vôtre, que je ne supporte votre absence et les ennuis de la retraite, qu'à fin de me rendre plus digne de vous, et de vous faire trouver un jour votre meilleure amie dans la plus respectueuse, la plus reconnaissante, et la plus tendre des filles.

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C'est à mon père, à mon meilleur ami, que j'adresse mes souhaits pour la nouvelle année. L'usage ne les dicte point à ma plume; elle obéit à mon cœur; elle ne fait qu'exprimer au jour de l'an, ce que tous les jours je demande à l'étre supréme. Oui, père bien respecté, et encore plus chéri, vous êtes au matin l'objet de ma première pensée, et sur vous, le soir, se réunissent toutes mes affections. Puisse le ciel rendre vos années aussi nombreuses que l'ont été les soins infinis que vous avez pris de mon enfance! Jouissez de la santé la plus parfaite et la plus constante; que votre bonheur, surtout, soit inaltérable et durable comme le seront envers vous les sentimens de respect et d'attachement avec lesquels, &c.

Lettre de Mademoiselle R. de Ch**, pensionnaire à P

sa Tante.

On veut, ma chère tante, que je vous fasse un compliment de bonne année. Je ne le voulais pas; on m'a tant dit que les faiseurs de complimens étaient des menteurs! j'obéis pourtant, mais pour vous redire sans cérémonie, sans complimens, sans fadeur, que je vous aime, que je vous aimerai; que, si j'avais la baguette de ces fées dont m'a parlé ma boune, tous vos vœux seraient bientôt remplis, et que vous vivriez,

Madame de Maintenon.

ma chère tante, long-temps, pour continuer à faire le bonheur de Henriette. tout le monde, et surtout de votre petite amie.

Lettre de Voltaire au Roi Stanislas.

Je souhaite à votre majesté que votre vie, utile au monde, s'étende au-delà des bornes ordinaires. Aureng-Zeb et Muley Ismaël ont vécu l'un et l'autre au-delà de cent-cinq ans: si Dieu accorde de si longs jours à des princes infidèles, que ne fera-t-il point pour Stanislas le bienfaisant!

Lettre de M. d'Alembert au Roi de Prusse.

SIRE,-Pénétré, comme je le suis des sentimens aussi tendres que respectueux que V. M me connaît depuis long-temps pour sa per. sonne, je la prie de me permettre de commencer la lettre que j'ai l'honneur de lui écrire, à peu-près comme Demosthène commence sa harangue pour la couronne. Je prie d'abord tous les Dieux et toutes les déesses de conserver, dans l'année où nous entrons, comme ils ont fait dans les précédentes, un prince si précieux aux lettres, à la philosophie, et à moi chétif personnage en particulier. Je prie encore ces mêmes dieux, s'il est vrai que le cœur des rois soit entre leurs mains, de vouloir bien conserver ce grand et digne prince dans les sentimens de bouté dont il m'a honoré jusqu'ici, et dont je me flatte de n'être pas tout-à-fait indigne, par la vivacité de ma reconnaissance, de mon dé. vouement et de mon admiration pour lui.

Lettre de Madame de Sévigné au Comte de Bussy.

Bon jour, bon an, mon cher comte: que cette année vous soit plus heureuse que celles qui sont passées; que la paix, le repos, et la santé vous tiennent lieu de toutes les fortunes que vous n'avez pas, et que vous méritez; enfin que vos jours désormais soient filés d'or et de soie, &c.

Lettre de la même au même.

Je commence par vous souhaiter une heureuse année, mon cher cousin: c'est comme si je vous souhaitais la continuation de votre philosophie Chrétienne: car c'est ce qui fait le véritable bonheur. Je ne comprends pas qu'on puisse avoir un moment de repos en ce monde, si l'on ne regarde Dieu et sa volonté, où par nécessité il faut se sou

• Le premier régna dans le Mogol, et le second à Maroc.

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