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ne peuvent en donner une idée. En vain, dans nos champs cultivés, l'imagination cherche à s'étendre; elle rencontre de toutes parts les babitations des hommes: mais dans ces pays déserts, l'ame se plaît à s'enfoncer dans un océan de forêts, à errer aux bords des lacs immenses, à planer sur le gouffre des cataractes, et, pour ainsi dire, à se trouver seule devant Dieu. Le même. Génie du Christianisme.

Mœurs, Union, Bonheur des Familles dans l'Amérique Septentrionale.

Les mœurs sont ce qu'elles doivent être chez un peuple nouveau, chez un peuple cultivateur, chez un peuple qui n'est ni poli ni corrompu par le séjour des grandes cités. Il règne généralement de l'économie, de la propreté, du bon ordre dans les familles. La galanterie et le jeu, ces passions de l'opulence oisive, altèrent rarement cette heureuse tranquillité. Les femmes sont encore ce qu'elles doivent être, douces, modestes, compatissantes, et secourables; elles ont ces vertus qui perpétuent l'empire de leurs charmes. Les hommes sont occupés de leurs premiers devoirs, du soin et du progrès de leurs plantations, qui seront le soutien de leur postérité. Un sentiment de bienveillance unit toutes les familles, Rien ne contribue à cette union, comme une certaine égalité d'aisance, comme la sécurité qui naît de la propriété, comme l'espérance et la facilité communes d'augmenter ces possessions, comme l'indépendance réciproque où tous les hommes sont pour leurs besoins, jointe au besoin mutuel de société pour leurs plaisirs. A la place du luxe qui traîne la misère à sa suite, au lieu de ce contraste affligeant et hideux, un bien-être universel, réparti sagement par la première distribution des terres, par le cours de l'industrie, a mis dans tous les cœurs le désir de se plaire mutuellement; désir plus satisfesant, sans doute, que la secrète envie de nuire, qui est inséparable d'une extrême inégalité dans les fortunes et les conditions. On ne se voit jamais sans plaisir, quand on n'est, ni dans un état d'éloignement réciproque qui conduit à l'indifférence, ni dans un état de rivalité, qui est près de la haîne. On se rapproche, ou se rassemble; on mène enfin dans les colonies cette vie champêtre, qui fut la première destination de l'homme, la plus convenable à la santé, à la fécondité. On y jouit peut-être de tout le bonheur compatible avec la fragilité de la condition humaine. On n'y voit pas ces grâces, ces talens, ces jouissances recherchées, dont l'apprêt et les frais usent et fatiguent tous les ressorts de l'ame, amènent les vapeurs de la mélancolie après les soupirs de la volupté; mais les plaisirs domestiques, l'attachement réciproque des parens et des enfans, l'amour conjugal, cet amour si pur, si délicieux pour qui sait le goûter et mépriser les autres amours. C'est-là le spectacle enchanteur qu'offre partout l'Amérique septentrionale; c'est dans les bois de la Floride et de la Virginie, c'est dans les forêts même du Canada, qu'on peut aimer toute sa vie ce qu'on aima pour la première fois, l'innocence et la vertu, qui ne laissent jamais périr la beauté toute entière. Raynal, liv. 18.

Orage sur Mer.

Cependant l'horizon se chargeait au loin de vapeurs ardentes et sombres; le soleil commençait à pâlir; la surface des eaux, unie et sans mouvement, se couvrait de couleurs lugubres, dont les teintes variaient sans cesse. Déjà le ciel, tendu et fermé de toutes parts, n'offrait à nos yeux qu'une voûte ténébreuse que la flamme pénétrait, et qui s'appesantissait sur la terre. Toute la nature était dans le silence, dans l'attente, dans un état d'inquiétude qui se communiquait jusqu'au fond de nos ames. Nous cherchâmes un asile dans le vestibule du temple, et bientôt nous vîmes la foudre briser à coups redoublés cette barrière de ténèbres et de feux suspendus sur nos têtes; des nuages épais rouler par masses dans les airs, et tomber en torrens sur la terre; les vents déchaînés fondre sur la mer, et la bouleverser dans ses abîmes. Tout grondait, le tonnerre, les vents, les flots, les antres, les montagnes ; et de tous ces bruits réunis, il se formait un bruit épouvantable qui semblait annoncer la dissolution de l'univers. L'aquilon ayant redoublé ses efforts, l'orage alla porter ses fureurs dans les climats brûlans de l'Afrique. Nous le suivîmes des yeux ; nous l'entendîmes mugir dans le lointain; le ciel brilla d'une clarté plus pure; et cette mer, dont les vagues écumantes s'étaient élevées jusques aux cieux, traînait à peine ses flots jusque sur le rivage. Barthélemy.

Orage en Amérique.

Cependant l'obscurité redouble: les nuages abaissés entrent sous l'ombrage des bois. Tout-à-coup la nue se déchire, et l'éclair trace un rapide losange de feu. Un vent impétueux, sorti du couchant, mêle eu un vaste chaos les nuages avec les nuages. Le ciel s'ouvre coup sur coup, et à travers ces crevasses, on aperçoit de nouveaux cieux et des campagnes ardentes. La masse entière des forêts plie. Quel affreux et magnifique spectacle! La foudre allume les bois ; l'incendie s'étend comme une chevelure de flammes; des colonnes d'étincelles et de fumée assiégent les nues, qui dégorgent leurs foudres dans le vaste embrasement. Les détonations de l'orage et de l'incendie, le fracas des vents, les gémissemens des arbres, les cris des fantômes, les hurle mens des bêtes, les clameurs des fleuves, les sifflemens des tonnerres qui s'éteignent en tombant dans les ondes; tous ces bruits, multipliés par les échos du ciel et des montagnes, assourdissent le désert. M. de Châteaubriand.

L'Ouragan des Antilles.

L'ouragan est un vent furieux, le plus souvent accompagné de pluie, d'éclairs, de tonnerre, quelquefois de tremblemens de terre, et toujours

des circonstances les plus terribles, les plus destructives que les vents puissent rassembler. Tout-à-coup au jour vif et brillant de la zone torride succède une nuit universelle et profonde; à la parure d'un printemps éternel, la nudité des plus tristes hivers. Des arbres aussi anciens que le monde sont déracinés, ou leurs débris dispersés; les plus solides édifices n'offrent en un moment que des décombres. Où l'œil se plaisait à regarder des côteaux riches et verdoyans, on ne voit plus que des plantations bouleversées et des cavernes hideuses. Des malheureux, dépouillés de tout, pleurent sur des cadavres, ou cherchent leurs parens sous des ruines. Le bruit des eaux, des bois, de la foudre, et des vents, qui tombent et se brisent contre des rochers ébranlés et fracassés; les cris et les hurlemens des hommes et des animaux, pêlemêle emportés, dans un tourbillon de sable, de pierres, et de débris; tout semble annoncer les dernières convulsions et l'agonie de la nature. Raynal, liv. 11.

Symptômes et Ravages d'un Ouragan à l'Ile de France.

pou

Un de ces étés, qui désolent de tems à autre les terres situées entre les tropiques, vint étendre ici ses ravages. C'était vers la fin de Décembre, lorsque le soleil au Capricorne échauffe pendant trois semaines l'île de France de ses feux verticaux. Le vent du sud-est qui y règne presque toute l'année, n'y soufflait plus. De longs tourbillons de ssière s'élevaient sur les chemins et restaient suspendus en l'air. La terre se feudait de toutes parts; l'herbe était brûlée, des exhalaisons chaudes sortaient du flanc des montagnes, et la plupart de leurs ruisseaux étaient desséchés. Aucun nuage ne venait du côté de la mer. Seulement, pendant le jour, des vapeurs rousses, s'élevaient de dessus ses plaines, et paraissaient, au coucher du soleil, comme les flammes d'un incendie. La nuit même n'apportait aucun rafraîchissement à l'atmo sphère embrasée. L'orbe de la lune, tout rouge, se levait dans un ho rizon embrumé, d'une grandeur démesurée. Les troupeaux, abattu. sur les flancs des collines, le cou tendu vers le ciel, aspirant l'air, fesaient retentir les vallons de tristes mugissemens: le Cafre même qui les conduisait, se couchait sur la terre, pour y trouver de la fraîcheur. Partout le sol était brûlant, et l'air étouffant retentissait du bourdonnement des insectes qui cherchaient à se désaltérer dans le sang des hommes et des animaux.

Cependant ces chaleurs excessives élevèrent de l'océan des vapeurs qui couvrirent l'île comme un vaste parasol. Les sommets des montagnes les rassemblaient autour d'eux, et de longs sillons de feu sortaient de temps en temps de leurs pitons embrumés. Bientôt des tonnerres affreux firent retentir de leurs éclats, les bois, les plaines, et les vallons; des pluies épouvantables, semblables à des cataractes, tombèrent du ciel. Des torrens écumeux se précipitaient le long des flancs de cette montagne; le fond de ce bassin était devenu une mer; le plateau où sont assises les cabanes, une petite île, et l'entrée de ce vallon une écluse, par

où sortaient pêle-mêle, avec les eaux mugissantes, les terres, les arbres. et les rochers. Sur le soir la pluie cessa, le vent alisé du sud-est reprit son cours ordinaire; les nuages orageux furent jetés vers le nord-ouest, et le soleil couchant parut à l'horizon.

Bernardin de Saint-Pierre. Paul et Virginie.

L'Orage et la Caverne des Serpens au Pérou.

Un murmure profond donne le signal de la guerre que les vents vont se déclarer. Tout-à-coup leur fureur s'annonce par d'effroyables sifflemens. Une épaisse nuit enveloppe le ciel, et le confond avec la terre; la foudre, en déchirant ce voile ténébreux, en redouble encore la noirceur; cent tonnerres qui roulent et semblent rebondir sur une chaîne de montagnes, et se succédant l'un à l'autre, ne forment qu'un mugissement qui s'abaisse, et qui se renfle comme celui des vagues. Aux secousses que la montagne reçoit du tonnerre et des vents, elle s'ébranle, elle s'entrouvre; et de ses flancs, avec un bruit horrible, tombent de rapides torrens. Les animaux épouvantés s'élançaient des bois dans la plaine; et à la clarté de la foudre, les trois voyageurs pâlissant, voyaient passer à côté d'eux, le lion, le tygre, le lynx, le léopard, aussi tremblans qu'eux-mêmes: dans ce péril universel de la nature, il n'y a plus de férocité, et la crainte a tout adouci.

L'un des guides d'Alonzo avait, dans sa frayeur, gagné la cime d'une roche. Un torrent qui se précipite en bondissant, la déracine et l'entraîne; et le sauvage qui l'embrasse, roule avec elle dans les flots. L'autre Indien croyait avoir trouvé son salut dans le creux d'un arbre; mais une colonne de feu, dont le sommet touche à la nue, descend sur l'arbre, et le consume avec le malheureux qui s'y était sauvé.

Cependant Molina s'épuisait à lutter contre la violence des caux : il gravissait dans les ténèbres, saisissant tour-à-tour les branches, les racines des bois qu'il rencontrait, sans songer à ses guides, sans autre sentiment que le soin de sa propre vie ; car il est des momens d'effroi, où toute compassion cesse, où l'homme, absorbé en lui-même, n'est plus sensible que pour lui.

Enfin il arrive en rampant au bas d'une roche escarpée, et à la lucur des éclairs, il voit une caverne, dont la profonde et ténébreuse horreur l'aurait glacé dans tout autre moment. Meurtri, épuisé de fatigue, il se jette au fond de cet antre; et là, rendant grâces au ciel, il tomb dans l'accablement.

L'orage enfin s apaise: les tonnerres, les vents cessent d'ébranler la montagne; les eaux des torrens, moins rapides, ne mugissent plus à l'entour; et Molina sent couler dans ses veines le baume du soinmeil. Mais un bruit, plus terrible que celui des tempêtes, le frappe au moment même qu'il allait s'endormir.

Ce bruit, pareil au broyement des cailloux, est celui d'une multitude de serpens, dont la caverne est le refuge. La voûte en est revêtue, et, entrelacés l'un à l'autre, ils forment, dans leurs mouvemens, ce bruit

qu'Alonzo reconnaît. Il sait que le venin de ces serpens est le plus subtil des poisons; qu'il allume soudain, et dans toutes les veines, un feu qui dévore et consume, au milieu des douleurs les plus intolérables, le malheureux qui en est atteint. Il les entend, il croit les voir rampans autour de lui, ou pendus sur sa tête, ou roulés sur eux-mêmes, et prêts à s'élancer sur lui. Son courage épuisé succombe; son sang se glace de frayeur; à peine il ose respirer. S'il veut se traîner hors de l'antre, sous ses mains, sous ses pas, il tremble de presser un de ces dangereux reptiles. Transi, frissonnant, immobile, environné de mille morts, il passe la plus longue nuit dans une pénible agonie, désirant, frémissant de revoir la lumière, se reprochant la crainte qui le tient enchaîné, et fesant sur lui-même d'inutiles efforts pour surmonter cette faiblesse.

Le jour, qui vint l'éclairer, justifia sa frayeur. Il vit réellement tout le danger qu'il avait pressenti; il le vit plus horrible encore. Il fallait mourir, ou s'échapper. Il ramasse péniblement le peu de forces qui lui restent; il se soulève avec lenteur, se courbe, et, les mains appuyées sur ses genoux tremblans, il sort de la caverne, aussi défait, aussi pâle, qu'un spectre qui sortirait de son tombeau. Le même orage qui l'avait jeté dans le péril l'en préserva, car les serpens en avaient eu autant de frayeur que lui-même ; et c'est l'instinct de tous les animaux, dès que le péril les occupe, de cesser d'être malfesans.

Un jour serein consolait la nature des ravages de la nuit. La terre, échappée comme d'un naufrage, en offrait partout les débris. Des forêts, qui, la veille, s'élançaient jusqu'aux nues, étaient courbées vers la terre; d'autres semblaient se hérisser encore d'horreur. Des collines, qu'Alonzo avait vues s'arrondir sous leur verdoyante parure, entr'ouvertes en précipices, lui montraient leurs flancs déchirés. De vieux arbres déracinés, précipités du haut des monts; le pin, le palmier, le gayac, le caobo, le cédre, étendus, épars dans la plaine, la couvraient de leurs troncs brisés et de leurs branches fracassées. Des dents de rochers détachées, marquaient la place des torreus ; leur lit profond était bordé d'un nombre effrayant d'animaux doux, cruels, timides, féroces, qui avaient été subinergés et revomis par les eaux.

Cependant ces eaux écoulées, laissaient les bois et les campagnes se ranimer aux feux du jour naissant. Le ciel semblait avoir fait la paix avec la terre, et lui sourire en signe de faveur et d'amour. Tout ce qui respirait encore, recommençait à jouir de la vie; les oiseaux, les bêtes sauvages, avaient oublié leur effroi; car, le prompt oubli des maux est un don que la nature leur a fait, et qu'elle a refusé à l'homme. Marmontel. Les Incas.

Le Calme, au Milieu de l'Océan.

Dix fois le soleil fit son tour, sans que le vent fût apaisé. Il tombe enfin, et bientôt après un calme profond lui succède. Des ondes, violemment émues, se balancent long-temps encore après que le vent a cessé. Mais insensiblement leurs sillons s'aplanissent; et sur une mer immo

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