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bile, le navire, comme enchaîné, cherche inutilement dans les airs un souffle qui l'ébranle; la voile, cent fois déployée, retombe cent fois sur les mâts. L'onde, le ciel, un horizon vague, où la vue a beau s'enfoncer daus l'abîme de l'étendue, un vide profond et sans bornes, le silence et l'immensité; voilà ce que présente aux matelots ce triste et fatal hémisphère. Consternés et glacés d'effroi, ils demandent au ciel des orages et des tempêtes; et le ciel, devenu d'airaiu comme la mer, ne leur offre de toutes parts qu'une affreuse sérénité. Les jours, les nuits s'écoulent dans ce repos funeste : ce soleil, dont l'éclat naissant ranime et réjouit la terre; ces étoiles, dont les nochers aiment à voir briller les feux étincelans; ce liquide cristal des eaux, qu'avec tant de plaisir nous contemplons du rivage, lorsqu'il réfléchit la lumière et répète l'azur des cieux, ne forment plus qu'un spectacle funeste; et tout ce qui, dans la nature, annonce la paix et la joie, ne porte ici que l'épouvante, et ne présage que la mort.

Cependant les vivres s'épuisent, ou les réduit, on les dispense d'une main avare et sévère. La nature qui voit tarir les sources de la vie, en devient plus avide; et plus les sources diminuent, plus on sent croître les besoins. A la disette enfin succède la famine, fléau terrible sur la terre, mais plus terrible mille fois sur le vaste abîme des eaux; car au moins sur la terre quelque lueur d'espérance peut abuser la douleur et soutenir le courage; mais au milieu d'une mer immense, solitaire, et environné du néant, l'homme, dans l'abandon de toute la nature, n'a pas même l'illusion pour le sauver du désespoir: il voit comme un abîme l'espace épouvantable qui l'éloigne de tout secours; sa pensée et ses vœux s'y perdent ; la voix même de l'espérance ne peut arriver jusqu'à lui.

Les premiers accès de la faim se font sentir sur le vaisseau: cruelle alternative de douleur et de rage, où l'on voyait des malheureux étendus sur les bancs, lever les mains vers le ciel, avec des plaintes lamentables, ou courir éperdus et furieux, de la proue à la poupe, et demander au moins que la mort vint finir leurs maux! Le même.

Volcans.

Les montagues ardentes, qu'on appelle volcans, renferment dans leur sein le souffre, le bitume, et les matières qui servent d'aliment à un feu souterrain, dont l'effet plus violent que celui de la poudre ou du tonnerre, a de tout temps étonné, effrayé les hommes, et désolé la terre. Un volcan est un canon d'un volume immense, dont l'ouverture a souvent plus d'une demi-lieue: cette large bouche à feu vomit des torrens de fumée et de flammes, des fleuves de bitume, de souffre, et de métal fondu, des nuées de cendre et de pierres, et quelquefois elle lance, à plusieurs lieues de distance, des masses de rochers énormes, et que toutes les forces humaines réunies ne pourraient pas mettre en mouvement. L'embrasement est si terrible, et la quantité des matières ardentes, fondues,

calcinées, vitrifiées, que la montagne rejette, est si abondante, qu'elles enterrent les villes et les forêts, couvrent les campagnes de cent et deux cents pieds d'épaisseur, et forment quelquefois des collines et des montagnes, qui ne sont que des monceaux de matières entassées. L'action de ce feu est si grande, la force de l'explosion est si violente, qu'elle produit, par sa réaction, des secousses assez fortes pour ébranler la terre et la faire trembler, agiter la mer, renverser les montagnes, détruire les villes et les édifices les plus solides, à des distances même très-considérables. Buffon.

Eruption du Volcan de Quito.

Heureux les peuples qui habitent les vallées et les collines que la mer forma dans son sein, des sables que roulent ses flots, et des dépouilles de la terre! le pasteur y conduit ses troupeaux sans alarmes: le laboureur y sème et y moissonne en paix. Mais malheur aux peuples voisins de ces montagnes sourcilleuses, dont le pied n'a jamais trempé dans l'océan, et dont la cime s'élève au-dessus des nues! Ce sont des soupiraux que le feu souterrain s'est ouverts en brisant la voûte des fournaises profondes où sans cesse il bouillonne. Il a formé ces monts des rochers calcinés, des métaux brûlans et liquides, des flots de cendres et de bitume qu'il lançait, et qui dans leur chute s'accumulaient aux bords de ces gouffres ouverts. Malheur aux peuples que la fertilité de ce terrain perfide attache! les fleurs, les fruits, et les mois sous couvrent l'abîme sous leurs pas. Ces germes de fécondité, dont la terre est pénétrée, sont les exhalaisons du feu qui la dévore; sa richesse, en croisant, présage sa ruine, et c'est au sein de l'abondance qu'on lui voit engloutir ses heureux possesseurs. Tel est le climat de Quito. La ville est dominée par un volcan terrible, qui, par de fréquentes secousses, en ébranle les fondemens.

Un jour que le peuple Indien, répandu dans les campagnes, labourait semait, moissonnait (car ce riche vallon présente tous ces travaux à la fois), et que les filles du soleil, dans l'intérieur de leur palais, étaient occupées les unes à filer, les autres à ourdir les précieux tissus de laine dont le pontife et le roi sont vêtus, un bruit sourd se fait d'abord entendre dans les entrailles du volcan. Ce bruit, semblable à celui de la mer, lorsqu'elle conçoit les tempètes, s'accroît, et se change bientôt en un mugissement profond. La terre tremble, le ciel gronde, de noires vapeurs l'enveloppent, le temple et les palais chancellent et menacent de s'écrouler; la montagne s'ébranle et sa cime entr'ouverte vomit, avec les vents enfermés dans son sein, des flots de bitume liquide, et des tourbillons de fumée qui rougissent, s'enflamment, et lancent dans les airs des éclats de rochers brûlans qu'ils ont détachés de l'abîme: superbe et terrible spectacle de voir des rivières de feu bondir à flots étincelans, au travers des monceaux de neige, et s'y creuser un lit vaste et profond.

Dans les murs, hors des murs, la désolation, l'épouvante, le vertige de la terreur se répandent en un instant. Le laboureur regarde et reste immobile. Il n'oserait entamer la terre qu'il sent comme une mer flottante sous ses pas. Parmi les prêtres du soleil, les uns tremblans s'élancent hors du temple; les autres consternés embrassent l'autel de leur Dieu. Les vierges éperdues sortent de leurs palais, dont les toits menacent de fondre sur leur tête, et courant dans leurs vastes enclos, pâles, échevelées, elles tendent leurs mains timides vers ces murs, d'où la pitié même n'ose approcher pour les secourir. Marmontel. Les Incas.

L'Eclipse de Soleil au Pérou.

L'astre adoré dans ces climats s'obscurcit tout-à-coup au milieu d'un ciel sans nuage. Une nuit soudaine et profonde investit la terre. L'ombre ne venait point de l'orient; elle tomba du haut des cieux, et enveloppa l'horizon. Un froid humide a saisi l'atmosphère: les animaux, subitement privés de la chaleur qui les anime, de la lumière qui les conduit, dans une immobilité morne, semblent se demander la cause de cette nuit inopinée. Leur instinct, qui compte les heures, leur dit que ce n'est pas encore celle de leur repos. Dans les bois, ils s'appellent d'une voix frémissante, étonnés de ne pas se voir; dans les vallons, ils se rassemblent et se pressent en frissonnant. Les oiseaux, qui, sur la foi du jour, ont pris leur essor dans les airs, surpris par les ténèbres, ne savent où voler. La tourterelle se précipite au devant du vautour, qui s'épouvante à sa rencontre. Tout ce qui respire est saisi d'effroi. Les végétaux eux mêmes se ressentent de cette crise universelle. On dirait que l'ame du monde va se dissiper ou s'éteindre ; et dans ses rameaux infinis, le fleuve immense de la vie semble avoir ralenti son cours.

Et l'homme! ah! c'est pour lui que la réflexion ajoute, aux frayeurs de l'instinct, le trouble et les perplexités d'une prévoyance impuissante. Aveugle et curieux, il se fait des fantômes de tout ce qu'il ne conçoit pas, et se remplit de noirs présages, aimant mieux craindre qu'ignorer. Heureux, dans ce moment, les peuples à qui des sages ont révélé les mystères de la nature! Ils ont vu sans inquiétude l'astre du jour, à son midi, dérober sa lumière au monde; saus inquiétude, ils attendent l'instant marqué où le globe sortira de l'obscurité. Mais comment exprimer la terreur, l'épouvante, dont ce phénomène a frappé les adorateurs du soleil? Dans une pleine sérénité, au moment où leur Dieu, dans toute sa splendeur, s'élève du plus haut de sa sphère, il s'évanouit! et la cause de ce prodige et sa durée, ils l'ignorent profondément. La ville de Quito, la ville du Soleil, Cusco, les camps des deux Incas, tout gémit, tout est consterné. Le même.

La Peste d'Athènes.

Jamais ce fléau terrible ne ravagea tant de climats. Sorti de l'Ethio pie, il avait parcouru l'Egypte, la Libye, une partie de la Perse, l'île de Lemnos, et d'autres lieux encore. Un vaisseau marchand l'introduisit sans doute au Pirée, où il se manifesta d'abord ; de-là il se répandit avec fureur dans la ville, et surtout dans ces demeures obscures et malsaines, où les habitans de la campagne se trouvaient entassés. Le mal attaquait successivement toutes les parties du corps: les symptômes en étaient effrayaus, les progrès rapides, les suites presque toujours mortelles. Dès les premières atteintes, l'ame perdait ses forces, le corps semblait en acquérir de nouvelles; et c'était un cruel supplice de résister à la maladie, sans pouvoir résister à la douleur. Les insomnies, les terreurs, des sanglots redoublés, des convulsions effrayantes, n'étaient pas les seuls tourmens réservés aux malades. Une chaleur brûlante les dévorait intérieurement. Couverts d'ulcères et de taches livides, les yeux enflammés, la poitrine oppressée, les entrailles déchirées, exhalant une odeur fétide de leur bouche souillée d'un sang impur, on les voyait se traîner dans les rues, pour respirer plus librement; et ne pouvant éteindre la soif brûlante dont ils étaient consumés, se précipiter dans des puits ou dans les rivières couvertes de glaçons.

La plupart périssaient au septième ou au neuvième jour. S'ils prolongeaient leur vie au-delà de ces termes, ce n'était que pour éprouver une mort plus douloureuse et plus lente.

Ceux qui ne succombaient pas à la maladie, n'en étaient presque jamais atteints une seconde fois. Faible consolation! car ils n'offraient plus aux yeux que les restes infortunés d'eux-mêmes. Les uns avaient perdu l'usage de plusieurs de leurs membres; les autres ne conservaient aucune idée du passé : heureux sans doute d'ignorer leur état; mais ils ne pouvaient reconnaître leurs amis.

Le même traitement produisait des effets tour-à-tour salutaires et nuisibles: la maladie semblait braver les règles de l'expérience. Comme elle infestait aussi plusieurs provinces de la Perse, le roi Ar. taxercès résolut d'appeler à leur secours le célèbre Hippocrate, qui était alors dans l'île de Cos: il fit briller à ses yeux de l'or et des dignités; mais le grand homme répondit au grand roi qu'il n'avait ni besoins, ni désirs, et qu'il se devait aux Grecs, plutôt qu'à leurs ennemis. Il vint ensuite offrir ses services aux Athéniens, qui le reçurent avec d'autant plus de reconnaissance, que la plupart de leurs médecins étaient morts victimes de leur zèle; il épuisa les ressources de son art, et exposa plusieurs fois sa vie. S'il n'obtint pas tout le succès que méritaient de si beaux sacrifices et de si grands talens, il donna du moins des consolations et des espérances. On dit que pour purifier l'air, il fit allumer des feux dans les rues d'Athènes ; d'autres prétendent que ce moyen fut employé, avec quelque succès, par un médecin d'Agrigente, nommé Acron.

On vit, dans les commencemens, de grands exemples de piété filiale, d'amitié généreuse; mais comme ils furent presque toujours funestes à

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leurs auteurs, ils ne se renouvelèrent que rarement dans la suite. Alors les liens les plus respectables furent brisés; les yeux, près de se fermer, ne virent de toutes parts qu'une solitude profonde, et la mort ne fit plus couler de larmes.

Cet endurcissement produisit une licence effrénée. La perte de tant de gens de bien, confondus dans un même tombeau avec les scélérats; le renversement de tant de fortunes, devenues tout-à-coup le partage ou la proie des citoyens les plus obscurs, frappèrent vivement ceux qui n'ont d'autre principe que la crainte; persuadés que les dieux ne prenaient plus d'intérêt à la vertu, et que la vengeance des lois ne serait pas aussi prompte que la mort dont ils étaient menacés, ils crurent que la fragilité des choses humaines leur indiquait l'usage qu'ils en devaient faire: et que n'ayant plus que des momens à vivre, il devaient du moins les passer dans le sein des plaisirs.

Au bout de deux ans, la peste parut se calmer. Pendant ce repos, on s'aperçut plus d'une fois que le germe de la contagion n'était pas détruit: il se développa dix-huit mois après; et dans le cours d'une année entière, il reproduisit les mêmes scènes de deuil et d'horreur. Sous l'une et l'autre époque, il périt un très-grand nombre de citoyens, parmi lesquels il faut compter près de cinq mille hommes en état de porter les armes. La perte la plus irréparable fut celle de Périclès, qui, dans la troisième année de la guerre, mourut des suites de la maladie. Barthélemy. Voyage d'Anacharsis.

Les Fléaux de 1709: l'Humanité de Fénélon.

Elle n'est point effacée de notre mémoire, cette époque désastreuse et terrible, cette année, la plus funeste des dernières années de Louis XIV., où il semblait que le ciel voulût faire expier à la France ses prospérités orgueilleuses, et obscurcir l'éclat du plus bean règne qui eût encore illustré ses annales. La terre stérile sous les flots de sang qui l'inondent, devient cruelle et barbare comme les hommes qui la ravagent, et l'on s'égorge en mourant de faim. Les peuples accablés à-la-fois par une guerre malheureuse, par les impôts, et par le besoin, sont livrés au découragement et au désespoir. Le peu de vivres qu'on a pu conserver ou recueillir est porté à un prix qui effraie l'indigence, et qui pèse même à la richesse. Une armée, alors la seule défense de l'état, attend en vain sa subsistance des magasins qu'un hiver destructeur n'a pas permis de remplir. Fénélon donne l'exemple de la générosité; il envoie le premier toutes les récoltes de ses terres, et l'émulation gagnant de proche en proche, les pays d'alentour font les mêmes efforts, et l'on devient libéral même dans la disette. Les maladies, suite inévitable de la misère, désolent bientôt et l'armée et les provinces. L'invasion de l'ennemi ajoute encore la terreur et la consternation à tant de fléaux accumulés. Les campagnes sont désertes, et leurs habitans épouvantés fuient dans les villes. Les asiles manquent à la foule des malheureux. C'est alors que Fénélon fit voir que les cœurs

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