Images de page
PDF
ePub

Les Combats de Mer bien différens de ceux sur Terre.

L'eau

Si jamais l'homme eut occasion de développer cet instinct de courage que lui donna la nature, c'est dans les combats qui se livrent sur mer. Les batailles de terre présentent à la vérité un spectacle terrible: mais du moins le sol qui porte les combattans ne menace point de s'entr'ouvrir sous leurs pas; l'air qui les environne n'est pas leur ennemi, et les laisse diriger leurs mouvemens à leur gré; la terre entière leur est ouverte pour échapper au danger. Dans les combats de mer, tout conspire à augmenter les périls, à diminuer les ressources. n'offre que des abîmes, dont la surface, balancée par d'éternelles secousses, est toujours prête à s'ouvrir. L'air agité par les vents produit les orages, trompe les efforts de l'homme, et le précipite au devant de la mort qu'il veut éviter. Le feu déploie sur les eaux son activité terrible, entr'ouvre les vaisseaux, et réunit la double horreur d'un naufrage et d'un embrasement. La terre, ou reculée à une grande distance, refuse son asile; ou, si elle est près, sa proximité même est dangereuse, et le refuge est souvent un écueil. L'homme isolé et séparé du monde entier,est resserré dans une prison étroite,d'où il ne peut sortir, tandis que la mort y entre de toutes parts. Mais parmi ces horreurs, il trouve quelque chose de plus terrible pour lui; c'est l'homme son semblable qui, armé du fer, et mêlant l'art à la fureur, l'approche, le joint, le combat, lutte contre lui sur ce vaste tombeau, et unit les efforts de sa rage à celle de l'eau, des vents, et du feu.

Thomas. Eloge de Duguay-Trouin.

L'Apollon du Belvedère.

De toutes les statues antiques qui ont échappé à la fureur des bar. bares, et à la puissance du temps, celle d'Apollon est sans contredit la plus sublime. L'artiste a composé cet ouvrage sur l'idéal, et n'a employé de matière que ce qu'il lui en fallait pour exécuter et représenter son idée. Autant la description qu'Homère a donnée d'Apollon surpasse les descriptions qu'en ont faites après lui les autres poètes, autant cette figure l'emporte sur toutes les figures de ce même Dieu. Sa taille est au-dessus de celle de l'homme, et son attitude respire la majesté. Un éternel printemps, tel que celui qui règne dans les champs fortunés de l'Elysée, revêt son beau corps d'une aimable jeunesse, et brille avec douceur sur la fine structure de ses membres. Pour sentir tout le mérite de ce chef-d'œuvre de l'art, tâchez de pénétrer dans l'empire des beautés incorporelles, et devenez, s'il se peut, créateur d'une nature céleste; car il n'y a rien ici qui soit mortel, rien qui soit sujet aux besoins de l'humanité. Ce corps n'est ni échauffé par des veines, ni agité par des nerfs; un esprit céleste circule comme une douce vapeur dans tous les contours de cette figure admirable. Ce Dieu a poursuivi Python, contre lequel il a tendu pour la première fois son arc redoutable; dans sa course

rapide il l'a atteint, et lui a porté le coup mortel. De la hauteur de sa joie, son auguste regard pénètre comme dans l'infini, et s'étend bien au-delà de la victoire. Le dédain siége sur ses lèvres, l'indignation qu'il respire gonfle ses narines, et monte jusqu'à ses sourcils; mais une paix éternelle, inaltérable, est empreinte sur son front, et son œil est plem de douceur, comme s'il était au milieu des muses empressées à le caresser. Parmi toutes les figures qui nous restent de Jupiter, vous ne verrez dans aucune le père des dieux approcher de la grandeur avec laquelle il se manifesta jadis à l'intelligence d'Homère, comme dans les traits que vous offre ici son fils; les beautés individuelles de tous les dieux sont réunis dans cette figure comme dans celle de Pandore Ce front est le front de Jupiter renfermant la déesse de la sagesse : ses sourcils, par leur mouvement, annoncent sa volonté ; ce sont les grands yeux de la reine des déesses, et sa bouche est la bouche même qui inspirait la volupté au beau Branchus. Semblable aux tendres rejetons du pampre, sa belle chevelure flotte autour de sa tête, comme si elle était légèrement agitée par l'haleine du zéphir. Elle semble parfumée de l'essence des dieux, et attachée négligemment au haut de sa tête par la main des grâces. A l'aspect de ce chef-d'œuvre, j'oublie tout l'univers; je prends moi-même une attitude noble pour le contempler avec dignité. De l'admiration, je passe à l'extase; je sens ma poitrine qui se dilate et s'élève comme l'éprouvent ceux qui sont remplis de l'esprit des prophéties; je suis transporté à Délos et dans les bois sacrés de la Lycie, lieux qu'Apollon honorait de sa pré. sence! car la figure que j'ai sous les yeux paraît recevoir le mouvement, comme le reçut jadis la beauté qu'enfanta le ciseau de Pygmalion; mais comment pouvoir te décrire, ô inimitable chef-d'œuvre! II faudrait pour cela que l'art même daignât m'inspirer et conduire ma plume. Les traits que je viens de crayonner, je les dépose à tes pieds; ainsi ceux qui ne peuvent atteindre jusqu'à la tête de la Divinité qu'ils adorent, mettent à ses pieds les guirlandes dont ils auraient voulu la Winkelmann. Histoire de l'Art chez les Anciens.

couronner.

Le Chien.

Le chien, fidèle à l'homme, conservera toujours une portion de l'empire, un degré de supériorité sur les autres animaux: il leur commande, il règne lui-même à la tête d'un troupeau, il s'y fait mieux entendre que la voix du berger; la sureté, l'ordre, et la discipline sont le fruit de sa vigilance et de son activité; c'est un peuple qui lui est soumis, qu'il conduit, qu'il protège, et contre lequel il n'emploie jamais la force, que pour y maintenir la paix. Mais c'est sur-tout à la guerre, c'est contre les animaux ennemis ou indépendans, qu'éclate son courage, et que son intelligence se déploie toute entière. Les talens naturels se réunissent ici aux qualités acquises. Dès que le bruit des armes se fait entendre, dès que le son du cor ou la voix du chasseur a donné

le signal d'une guerre prochaine, brûlant d'une ardeur nouvelle, le chien marque sa joie par les plus vifs transports, il annonce par ses mouvewens et par ses cris l'impatience de combattre et le désir de vaincre ; marchant ensuite en silence, il cherche à reconnaître le pays, à découvrir, à surprendre l'ennemi dans son fort; il recherche ses traces, il les suit pas-à-pas, et par des accens différens indique le temps, la distance, l'espèce, et même l'âge de celui qu'il poursuit.

Le chien, indépendamment de la beauté de sa forme, de la vivacité, de la force, de la légèreté, a par excellencé toutes les qualités intérieures qui peuvent lui attirer les regards de l'homme. Un naturel ardent, colère, même féroce et sanguinaire, rend le chien sauvage re. doutable à tous les animaux, et cède, dans le chien domestique, aux sentimens les plus doux, au plaisir de s'attacher et au désir de plaire: il vient en rampant mettre aux pieds de son maître son courage, sa force, ses talens; il attend ses ordres pour en faire usage; il le consulte, il l'interroge, il le supplie; un coup d'œil suffit, il entend les signes de sa volonté; sans avoir comme l'homme la lumière de la persée, il a toute la chaleur du sentiment, il a de plus que lui la fidélité, la constance dans ses affections; nulle ambition, nul intérêt, nul désir de vengeance, nulle crainte que celle de déplaire; il est tout zèle, toute ardeur, et toute obéissance; plus sensible au souvenir des bienfaits qu'à celui des outrages, il ne se rebute pas par les mauvais traitemens, il les subit, les oublie, ou ne s'en souvient que pour s'attacher davantage; loin de s'irriter ou de fuir, il s'expose de lui-même à de nouvelles épreuves, il lèche cette main, instrument de douleur qui vient de le frapper, il ne lui oppose que la plainte, et la désarme enfin par la patience et la soumission. Buffon. Quadrupèdes.

Le Cheval.

La plus noble conquête que l'homme ait jamais faite, est celle de ce fier et fougueux animal qui partage avec lui les fatigues de la guerre et la gloire des combats; aussi intrépide que son maître, le cheval voit le péril et l'affronte; il se fait au bruit des armes, il l'aime, il le che rche, et s'anime de la même ardeur: il partage aussi ses plaisirs ; à la chasse, aux tournois, à la course, il brille, il étincelle; mais docile autant que courageux, il ne se laisse point emporter à son feu, il sait réprimer ses mouvemens; non-seulement il fléchit sous la main de celui qui le guide, mais il semble consulter ses désirs, et obéissant toujours aux impressions qu'il en reçoit, il se précipite, se modère, ou s'arrête, et n'agit que pour y satisfaire. C'est une créature qui renonce à son être pour n'exister que par la volonté d'une autre, qui sait même la prévenir, qui, par la promptitude et la précision de ses mouvemens, l'exprime, et l'exécute; qui sent autant qu'on le désire, et ne rend qu'autant qu'on veut, qui se livrant sans réserve, ne se refuse à rien, sert de toutes ses forces, s'excède et même meurt pour mieux obéir.

Le même.

Le Lion et le Tigre

Dans la classe des animaux carnassiers, le lion est le premier, le tigr est le second; et comme le premier, même dans un mauvais geure, est toujours le plus grand et souvent le meilleur; le secoud est ordinairement le plus méchant de tous. A la fierté, au courage, à la force, le lion joint la noblesse, la clémence, la magnanimité, tandis que le tigre est bassement féroce, cruel sans justice, c'est-à-dire sans nécessité. Il en est de même dans tout ordre de choses où les rangs sont donnés par la force; le premier qui peut tout est moins tyran que l'autre, qui ne pouvant jouir de la puissance plénière, s'en venge en abusant du pouvoir qu'il a pu s'arroger. Aussi le tigre est-il plus à craindre que le lion; celui-ci souvent oublie qu'il est le roi, c'est-àdire, le plus fort de tous les animaux; marchant d'un pas tranquille, il n'attaque jamais l'homme, à moins qu'il ne soit provoqué; il ne précipite ses pas, il ne court, il ne chasse que quand la faim le presse. Le tigre, au contraire, quoique rassasié de chair, semble toujours être altéré de sang sa fureur n'a d'autres intervalles que ceux du temps qu'il faut pour dresser des embûches; il saisit et déchire une nouvelle proie avec la même rage qu'il vient d'exercer, et non pas d'assouvir, en dévorant la première; il désole le pays qu'il habite; il ne craint ni l'aspect, ni les armes de l'homme; il égorge, il dévaste les troupeaux d'animaux domestiques; met à mort toutes les bêtes sauvages, attaque les petits éléphans, les jeunes rhinocéros, et quelquefois même ose braver le lion.

Le

La forme du corps est ordinairement d'accord avec le naturel. lion a l'air noble: la hauteur de ses jambes est proportionnée à la longueur de son corps, l'épaisse et grande crinière qui couvre ses épaules et ombrage sa face, son regard assuré, sa démarche grave tout semble annoncer sa fière et majestueuse intrépidité. Le tigre, trop long de corps, trop bas sur ses jambes, la tête nue, les yeux hagards, la langue couleur de sang, toujours hors de la gueule, n'a que les caractères de la basse méchanceté et de l'insatiable cruauté; il n'a pour tout instinct qu'une rage constante, une fureur aveugle, qui ne connaît, qui ne distingue rien, et qui lui fait souvent dévorer ses propres enfans, et déchirer leur mère, lorsqu'elle veut les défendre. Que ne l'eut-il à l'excès cette soif de son sang! ne pût-il l'éteindre qu'en détruisant, dès leur naissance, la race entière des monstres qu'il produit! Le même

Le Cygne.

Dans toute société, soit des animaux, soit des hommes, la violence tit les tyrans, la douce autorité fait les rois. Le lion et le tigre sur la terre, l'aigle et le vautour dans les airs ne règuent que par l'abus de la force et par la cruauté, au lieu que le cygne règne sur les eaux à tous les titres qui fondent un empire de paix, la grandeur, la majesté, la douceur, avec

des puissances, des forces, du courage, et la volonté de n'en pas abuser, et de ne les employer que pour la défense; il sait combattre et vaincre sans jamais attaquer; roi paisible des oiseaux d'eau, il brave les tyrans de l'air; il attend l'aigle sans le provoquer, sans le craindre; il repousse ses assauts en opposant à ses armes la résistance de ses pluies, et les coups précipités d'une aile vigoureuse qui lui sert d'égide, et souvent la victoire couronne ses efforts. Au reste, il n'a que ce fier ennemi, tous les oiseaux de guerre le respectent, et il est en paix avec toute la nature; il vit en ami plutôt qu'en roi, au milieu des nombreuses peuplades des oiseaux aquatiques, qui toutes semblent se ranger sous sa loi; il n'est que le chef, le premier habitant d'une république tranquille, où les citoyens n'ont rien à craindre d'un maître qui ne demande qu'autant qu'il leur accorde, et ne veut que calme et liberté.

Les grâces de la figure, la beauté de la forme répondent, dans le cygne, à la douceur du naturel; il plaît à tous les yeux, il décore, embellit tous les lieux qu'il fréquente; on l'aime, on l'applaudit, on l'admire; nulle espèce ne le mérite mieux; la nature en effet n'a répandu sur aucune autant de ces grâces nobles et douces, qui nous rappellent l'idée de ses plus charmans ouvrages: coupe de corps élégante, formes arrondies, gracieux contours, blancheur éclatante et pure, mouvemens flexibles et ressentis, attitudes tantôt animées, tantôt laissées dans un mol abandon, tout dans le cygne respire la volupté, l'enchantement que nous font éprouver les grâces et la beauté; tout nous l'annonce, tout le peint comme l'oiseau de l'amour, tout justifie la spirituelle et riante mythologie d'avoir douné ce charmant oiseau pour père à la plus belle des mortelles.

A la plus noble aisance, à la facilité, la liberté de ses mouvemens sur l'eau, on doit le reconnaître non-seulement comme le premier des navigateurs ailés, mais comme le plus beau modèle que la nature nous ait offert pour l'art de la navigation. Son cou élevé et sa poitrine relevée et arrondie, semblent, en effet, figurer la proue du navire fendant l'onde, son large estomac en représente la carène, son corps penché en avant pour cingler, se redresse à l'arrière et se relève en poupe. La queue est un vrai gouvernail; les pieds sout de larges rames, et ses grandes ailes demi-ouvertes au vent et doucement enflées, sont les voiles qui poussent le vaisseau vivant, navire et pilote à la fois.

Fier de sa noblesse, jaloux de sa beauté, le cygne semble faire parade de tous ses avantages: il a l'air de chercher à recueillir des suffrages, à captiver les regards, et il les captive en effet, soit que voguant en troupe, on voie de loin, au milieu des grandes eaux, cingler la flotte ailée, soit que s'en détachant et s'approchant du rivage aux signaux qui l'appellent, il vienne se faire admirer de plus près, en étalant ses beautés, et développant ses grâces par mille mouvemens doux, ondu.ans, et suaves.

Aux avantages de la nature, le cygne réunit ceux de la liberté ; il n'est pas du nombre de ces esclaves que nous puissions contraindre ou renfermer; libre sur nos eaux, il n'y séjourne, ne s'établit qu'en y jouissant d'assez d'indépendance pour exclure tout sentiment de servitude et de

« PrécédentContinuer »