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captivité; il veut à son gré parcourir les eaux, débarquer au rivage, s'éloigner au large ou venir longeant la rive, s'abriter sur les bords, se cacher dans les joncs, s'enfoncer dans les anses les plus écartées, puis quitter sa solitude, revenir à la société, et jouir du plaisir qu'il paraît prendre et goûter en s'approchant de l'homme, pourvu qu'il trouve en nous ses hôtes et ses amis, et non ses maîtres et ses tyrans.

Chez nos ancêtres, trop simples ou trop sages pour remplir leurs jardins des beautés froides de l'art en place des beautés vives de la nature, les cygnes étaient en possession de faire l'ornement de toutes les pièces d'eau: ils animaient, égayaient les tristes fossés des châteaux, ils décoraient la plupart des rivières, et même celle de la capitale, et l'on vit l'un des plus sensibles et des plus aimables de nos princes mettre au nombre de ses plaisirs, celui de peupler de ces beaux oiseaux, les bassins de ses maisons royales; on peut encore jouir aujourd'hui du même spectacle dans les belles eaux de Chantilly, où les cygnes font un des ornemens de ce lieu vraiment délicieux, dans lequel tout respire le noble goût du maître.

Les cygnes dans la domesticité sont silencieux, et ce n'est point du tout sur ces cygnes presque muets, que les anciens avaient pu moduler ces cygnes harmonieux qu'ils ont rendus si célèbres. Mais il paraît que le cygne sauvage a mieux conservé ses prérogatives, et qu'avec le sentiment de la pleine liberté, il en a aussi les accens: l'on distingue en effet dans ses cris, ou plutôt dans les éclats de sa voix, une sorte de chant mesuré, modulé, des sons bruyaus de clairon, mais dont les tons aigus et peu diversifiés sont néanmoins très-éloignés de latendre mélodie, et de la variété douce et brillante du ramage de nos oiseaux chanteurs.

Au reste, les anciens ne s'étaient pas contentés de faire du cygne un chantre merveilleux; seul entre tous les êtres qui frémissent à l'aspect de leur destruction, il chantait encore au moment de son agonie, et préludait par des sons harmonieux à son dernier soupir: c'était, disaient-ils, près d'expirer, et fesant à la vie un adieu triste et tendre que le cygne rendait ces accens si doux et si touchans, et qui, pareils à un léger et douloureux murmure, d'une voix basse, plaintive, et lugubre, formaient son chant funèbre; on entendait ce chant lorsqu'au lever de l'aurore, les vents et les flots étaient calmes; on avait même vu des cygnes expirant en musique et chantant leurs hymnes funéraires. Nulle fiction en histoire naturelle, nulle fable chez les anciens n'a été plus célébrée, plus répétée, plus accréditée, elle s'était emparée de l'imagination vive et sensible des Grecs; poétes, orateurs, philosophes même l'ont adoptée, comme une vérité trop agréable pour vouloir en douter. Il faut bien leur pardonner leurs fables, elles étaient aimables et touchantes: elles valaient bien de tristes, d'arides vérités, c'étaient de doux emblèmes pour les ames sensibles. Les cygnes sans doute ne chantent point leur mort, mais toujours en parlant du dernier essor et des derniers élans d'un beau génie prêt à s'éteindre, on rappellera avec sentiment cette expression touchante : C'est le chant du cygne. Buffon.

Le Rossignol.

Il n'est point d'homme bien organisé à qui ce nom ne rappelle quelqu'une de ces belles nuits de printemps où le ciel étant serein, l'air calme, toute la nature en silence, et, pour ainsi dire, attentive, il a écouté avec ravissement le ramage de ce chantre des forêts. On pourrait citer quelques autres oiseaux chanteurs, dont la voix le dispute, à certains égards, à celle du rossignol; les alouettes, le serin, le pinson, les fauvettes, la linotte, le chardonneret, le merle commun, le merle solitaire, le moqueur d'Amérique se font écouter avec plaisir, lorsque le rossignol se tait: les uns ont d'aussi beaux sons; les autres ont le timbre aussi pur et plus doux; d'autres ont des tours de gosier aussi flatteurs; mais il n'en est pas un seul que le rossignol n'efface par la réunion complète de ces talens divers, et par la prodigieuse variété de son ramage; en sorte que la chanson de chacun de ces oiseaux prise dans toute son étendue, n'est qu'un couplet de celle du rossignol. Le rossignol charme toujours, et ne se répète jamais, du moins jamais servilement ; s'il redit quelque passage, ce passage est animé d'un accent nouveau, embelli par de nouveaux agrémens: il réussit dans tous les genres; il rend toutes les expressions, il saisit tous les caractères, et de plus il sait en augmenter l'effet par les contrastes. Ce coryphée du printemps se prépare-t-il à chanter l'hymne de la nature? il commence par un prélude timide, par des tons faibles, presque indécis, comme s'il voulait essayer son instrument, et intéresser ceux qui l'écoutent; mais ensuite, prenant de l'assurance, il s'anime par degrés, il s'échauffe, et bientôt il déploie dans leur plénitude toutes les ressources de son incomparable organe: coups de gosier éclatans, batteries vives et légères; fusées de chant, où la netteté est égale à la volubilité; murmure intérieur et sourd qui n'est point appréciable à l'oreille, mais très-propre à augmenter l'éclat des tons appréciables, roulades préci pitées, brillantes, et rapides, articulées avec force, et même avec une dureté de bon goût; accens plaintifs, cadencés avec mollesse, sons filés sans art, mais enflés avec ame; sons enchanteurs et pénétraus, vrais soupirs d'amour et de volupté qui semblent sortir du cœur, et font palpiter tous les cœurs, qui causent à tout ce qui est sensible une émotion si douce, une langueur si touchante. C'est dans ces tons pa. ssionnés que l'on reconnaît le langage du sentiment qu'un époux heu reux adresse à une compagne chérie, et qu'elle seule peut lui inspirer, tandis que dans d'autres phrases plus étonnantes peut-être, mais moins expressives, on reconnaît le simple projet de l'amuser et de lui plaire, ou bien de disputer devant elle le prix du chant à des rivaux jaloux de sa gloire et de son bonheur.

Ces différentes phrases sont entremêlées de silences, de ces silences qui, dans tout genre de mélodies, concourent si puissamment aux grands effets; on jouit des beaux sons que l'on vient d'entendre, et qui retentissent encore dans l'oreille; on en jouit mieux parce que la jouissance est plus intime, plus recueillie, et n'est point troublée par des sensations nouvelles; bientôt on attend, on désire une autre reprise: on

espère que ce sera celle qui plaît; si l'on est trompé, le beauté du morceau que l'on entend ne permet pas de regretter celui qui n'est que différé, et l'on conserve l'intérêt de l'espérance pour les reprises qui suivront. Au reste, une des raisons pourquoi le chant du rossignol est plus remarqué et produit plus d'effet, c'est parce que, chantant la nuit, qui est le temps le plus favorable, et chantant seul, sa voix a tout son éclat, et n'est offusquée par aucune autre voix; il efface tous les autres oiseaux, par ses sons moelleux et flûtés, et par la durée non interrompue de son ramage qu'il soutient quelquefois pendant vingt secondes; un observateur a compté dans ce ramage seize reprises différentes, bien déterminées par leurs premières et dernières notes, et dont l'oiseau sait varier avec goût les notes intermédiaires; enfin il s'est assuré que la sphère que remplit la voix d'un rossignol n'a pas moins d'un mille de diamètre, sur-tout lorsque l'air est calme; ce qui égale au moins la portée de la voix humaine. Gueneau de Montbeillard.

L'Oiseau-Mouche.

De tous les êtres animés, voici le plus élégant pour la forme, et le plus brillant pour les couleurs. Les pierres et les métaux polis par notre art, ne sont pas comparables à ce bijou de la nature; elle l'a placé dans l'ordre des oiseaux au dernier degré de l'échelle de grandeur; son chef-d'œuvre est le petit oiseau-mouche; elle l'a comblé de tous les dons qu'elle n'a fait que partager aux autres oiseaux, légèreté, rapidité, prestesse, grâce, et riche parure, tout appartient à ce petit favori. L'émeraude, le rubis, la topaze, brillent sur ses habits, il ne les souille jamais de la poussière de la terre, et dans sa vie toute aérienne, on le voit à peine toucher le gazon par instans; il est toujours en l'air, volant de fleurs en fleurs; il a leur fraîcheur comme il a leur éclat: il vit de leur nectar, et n'habite que les climats où sans cesse elles se renouvellent.

C'est dans les contrées les plus chaudes du Nouveau-Monde que se trouvent toutes les espèces d'oiseaux-mouches; elles sont assez nombreuses, et paraissent confinées entre les deux tropiques, car ceux qui s'avancent en été dans les zones tempérées n'y font qu'un court séjour : ils semblent suivre le soleil, s'avancer, se retirer avec lui, et voler sur l'aile des zéphyrs à la suite d'un printemps éternel.

Les Indiens, frappés de l'éclat et du feu que rendent les couleurs de ces brillans oiseaux, leur avaient donné les noms de rayons, ou cheveux du soleil. Les petites espèces de ces oiseaux, sont au-dessous de la grande mouche-asyle (le taon) pour la grandeur, et du bourdon pour la grosseur. Leur bec est une aiguille fine, et leur langue un fil délié; leurs petits yeux noirs ne paraissent que deux points brillans; les plumes de leurs ailes sont si délicates, qu'elles en paraissent transparentes. A peine aperçoit-on leurs pieds, tant ils sont courts et menus; ils en font peu d'usage, ils ne se posent que pour

passer la nuit et se laissent, pendant le jour, emporter dans les airs; leur vol est continu, bourdonnant, et rapide: ou compare le bruit de leurs ailes à celui d'un rouet. Leur battement est si vif, que l'oiseau s'arrêtant dans les airs paraît non-seulement immobile, mais tout-à-fait sans action; on le voit s'arrêter ainsi quelques instans devant une fleur, et partir comme un trait pour aller à une autre; il les visite toutes, plongeant sa petite langue dans leur sein, les flattant de ses ailes, sans jamais s'y fixer, mais aussi sans les quitter jamais. Il ne presse ses inconstances que pour mieux suivre ses amours et multiplier ses jouissances innocentes, car cet amant léger des fleurs vit à leurs dépens sans les flétrir, il ne fait que pomper leur miel, et c'est à cet usage que sa langue paraît uniquement destinée; elle est composée de deux fibres creuses, formant un petit canal, divisé au bout en deux filets; elle a la forme d'une trompe dont elle fait les fonctions: l'oiseau la darde hors de son bec ; et la plonge jusqu'au fond du calice des fleurs pour en tirer les sucs. Rien n'égale la vivacité de ces petits oiseaux, si ce n'est leur courage, ou plutôt leur audace. On les voit poursuivre avec furie des oiseaux vingt fois plus gros qu'eux, s'attacher à leur corps, et se laissant emporter par leur vol, les becqueter à coups redoublés, jusqu'à ce qu'ils aient assouvi leur petite colère. Quelquefois même ils se livrent entre eux de très-vifs combats, l'impatience paraît être leur ame: s'ils s'approchent d'une fleur, et qu'ils la trouvent fanée ils lui arrachent les pétales avec une précipitation qui marque leur dépit. Ils n'ont d'autre voix qu'un petit cri fréquent et répété, ils le font entendre dans les bois dès l'aurore, jusqu'à ce qu'aux premiers rayons du soleil, tous prennent l'essor, et se dispersent dans les campagnes. Le nid qu'ils construisent répond à la délicatesse de leur corps; il est fait d'un coton fin ou d'une bourre soyeuse, recueillie sur des fleurs ; ce nid est fortement tissu et de la consistance d'une peau douce et épaisse; la femelle se charge de l'ouvrage, et laisse au mâle le soin d'apporter les matériaux; on la voit empressée à ce travail chéri, chercher, choisir, employer brin à brin les fibres propres à former le tissu de ce doux berceau de sa progéniture: elle en polit les bords avec sa gorge, le dedans avec sa queue; elle le revêt à l'extérieur de petits morceaux d'écorce de gommiers, qu'elle colle à l'entour, pour le défendre des injures de l'air autant que pour le rendre plus solide; le tout est attaché à deux feuilles ou à un seul brin d'oranger, de citronnier, ou quelquefois à un fétu qui pend de la couverture de quelque case. Ce nid n'est pas plus gros que la moitié d'un abricot, et fait de même en demi-coupe; on y trouve deux œufs tout blancs, et pas plus gros que de petits pois, le mâle et la femelle les couvent tourà-tour pendant douze jours; les petits éclosent au treizième jour, et ne sont alors pas plus gros que des mouches. "Je n'ai jamais pu remarquer," dit le P. Dutertre, "quelle sorte de becquée la nière leur apporte, sinon qu'elle leur donne à sucer la langue encore toute "emmiellée du suc tiré des fleurs." Buffon

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CHAQUE peuple a son caractère comme chaque homme, et ce caractère général est formé de toutes les ressemblances que la nature et l'habitude ont mises entre les habitans d'un même pays, au milieu des variétés qui les distinguent. Ainsi le caractère, le génie, l'esprit Français, résulte de ce que les différentes provinces de ce royaume ont entre elles de semblable. Les peuples de la Guyenne et ceux de la Normandie different beaucoup; cependant on reconnaît en eux le génie Français, qui forme une nation de ces différentes provinces, et qui les distingue au premier coup d'œil des Italiens et des Allemands. Le climat et le sol impriment évidemment aux hommes, comme aux animaux et aux plantes, des marques qui ne changent point. Celles qui dépendent du gouvernement, de la religion, de l'éducation, s'altèrent. C'est là le noeud qui explique comment les peuples ont perdu une partie de leur ancien caractère et ont conservé l'autre. Le gouvernement barbare des Turcs a énervé les Grecs sans avoir pu détruire le fond du caractère et la trempe de l'esprit de ces peuples.

Dans les beaux siècles des Arabes, les sciences et les arts fleurirent chez les Numides; aujourd'hui ils ne savent pas même régler leur année, et en fesant sans cesse le métier de pirate, ils n'ont pas un pilote qui sache prendre hauteur, pas un bon constructeur de vaisseau. Ils achètent des chrétiens et surtout des Hollandais, les agrêts, les canons, la poudre dont ils se servent pour s'emparer de nos vaisseaux marchands.

Depuis la mort de Toman-Bey, dernier roi Mamelut, le peuple d'Egypte fut enseveli dans le plus honteux avilissement; cette nation qu'on dit avoir été si guerrière du temps de Sésostris, est devenue plus pusillanime que du temps de Cléopâtre. On nous dit qu'elle inventa les sciences, et elle n'en cultive pas une; qu'elle était sérieuse et grave, et aujourd'hui on la voit légère et gaie, chanter et danser dans la pauvreté et dans l'esclavage; cette multitude d'habitans qu'on disait innombrable, se réduit à trois millions tout au plus. Il ne s'est pas fait un plus grand changement dans Rome et dans Athènes ; c'est une preuve sans réplique, que si le climat influe sur le caractère des hommes, le gouvernement a bien plus d'influence encore que le climat.

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