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Mde de Pom. Madame aurait été trop dangereuse pour moi. Tullia. Consultez vos beaux miroirs faits avec du sable, et vous verrez que vous n'auriez rien à craindre. Eh bien, monsieur, vous disiez donc le plus poliment du monde, que vous en savez beaucoup plus que nous. M. le Duc. Je disais, madame, que les derniers siècles sont toujours plus instruits que les premiers, à moins qu'il n'y ait eu quelque révolution générale qui ait absolument détruit tous les monumens de l'antiquité. Nous avons eu des révolutions horribles, mais passagères; et dans ces orages, on a été assez heureux pour conserver les ouvrages de votre père, et ceux de quelques autres grands hommes : ainsi le feu sacré n'a jamais été totalement éteint, et il a produit à la fin une lumière presque universelle. Nous sifflons les scholastiques barbares qui ont régné long-temps parmi nous; mais nous respectons Cicéron et tous les anciens qui nous ont appris à penser. Si nous avons d'autres lois de physique que celles de votre temps, nous n'avons point d'autres règles d'éloquence; et voilà peut-être de quoi terminer la querelle entre les anciens et les modernes.

Toute la compagnie fut de l'avis de M. le duc. On alla ensuite à l'opéra de Castor et Pollux. Tullia fut très-contente des paroles et de la musique. Elle avoua qu'un tel spectacle valait mieux qu'un combat de gladiateurs. Le même.

Caractère des Français,

De tous les peuples le Français est celui dont le caractère a dans tous les temps éprouvé le moins d'altération. On retrouve les Français d'aujourd'hui dans ceux des croisades, et en remontant jusqu'aux Gaulois on y remarque encore beaucoup de ressemblance. Cette nation a toujours été vive, gaie, brave, généreuse, sincère, présomptueuse, inconstante, avantageuse, inconsidérée. Ses vertus partent du cœur, ses vices ne tiennent qu'à l'esprit, et ses bonnes qualités corrigeant ou balançant les mauvaises, toutes concourent peut-être également à rendre le Français de tous les peuples le plus sociable,

Le grand défaut du Français est d'être toujours jeune, et presque jamais homme; par là il est souvent plus aimable, et rarement sûr; il n'a presque point d'âge mûr, et passe de la jeunesse à la caducité.Nos talens s'annoncent de bonne heure; on les néglige long-temps par dissipation, et à peine commence-t-on à vouloir en faire usage, que leur temps est passé; il y a peu d'hommes parmi nous qui puissent s'appuyer de l'expérience.

Il est le seul peuple dont les mœurs peuvent se dépraver, sans que le cœur se corrompe et que le courage s'altère; qui allie les qualités héroïques avec le plaisir, le luxe, et la mollesse; ses vertus ont peu de consistance, ses vices n'ont point de racine. Le caractère d'Alcibiade n'est pas rare en France. Le déréglement des mœurs et de l'imagination ne donne point atteinte à la franchise et à la bonté naturelle du Français. L'amour-propre contribue à le rendre aimable: plus il croit plaire, plus

il u de penchant à aimer. La frivolité qui nuit au développement de ses talens et de ses vertus, le préserve en même temps des crimes noirs et réfléchis: la perfidie lui est étrangère, et il est emprunté dans l'intrigue. Si l'on a quelquefois vu chez lui des crimes odieux, ils ont disparu plutôt par le caractère national, que par la sévérité des lois. Duclos.

Les mêmes.

Voyagez beaucoup, et vous ne trouverez pas de peuple aussi doux, aussi affable, aussi franc, aussi poli, aussi spirituel, aussi galant que le Français; il l'est quelquefois trop, mais ce défaut est-il donc si grand? Il s'affecte avec vivacité et promptitude, et quelquefois pour des choses très-frivoles, tandis que des objets importans, ou le touchent peu, ou n'excitent que sa plaisanterie. Le ridicule est son arme favorite, et la plus redoutable pour les autres et pour lui-même. Il passe rapidement du plaisir à la peine, et de la peine au plaisir. Le même bonheur le fatigue. Il n'éprouve guère de sensations profondes. Il s'engoue, mais il n'est ni fantasque, ni intolérant, ni enthousiaste. Il ue se mêle jamais d'affaires d'état que pour chausonner ou dire son épigramme sur les ministres. Cette légèreté est la source d'une espèce d'égalité dont il n'existe aucune trace ailleurs: elle met de temps en temps l'homme du commun qui a de l'esprit au niveau du grand seigneur ; c'est en quelque sorte un peuple de femmes: car c'est parmi les femmes qu'on découvre, qu'on entend, qu'on aperçoit à côté de l'inconséquence, de la folie, et du caprice, un mouvement, un mot, une action forte et sublime. Il a le tact exquis, le goût très-fin; ce qui tient au sentiment de l'honneur, dont la nuance se répand sur toutes les conditions et sur tous les objets. Il est brave. Il est plutôt indiscret que confiant, et plus libertin que voluptueux. La sociabilité qui le rassemble en cercle nombreux, et qui le promène en un jour en vingt cercles différens, use tout pour lui en un clin d'œil, ouvrages, nouvelles, modes, vices, vertus. Chaque semaine a son héros en bien comme en mal; c'est la contrée où il est le plus facile de faire parler de soi, et le plus difficile d'en faire parler long-temps. Il aime les talens en tout genre ; et c'est moins par les récompenses du gouvernement que par la considération populaire qu'ils se soutiennent dans son pays. Il honore le génie, il se familiarise trop aisément; ce qui n'est pas sans inconvénient pour lui-même, et pour ceux qui veulent se faire respecter. Le Français est avec vous ce que vous désirez qu'il soit; mais il faut se tenir avec lui sur ses gardes. Il perfectionne tout ce que les autres inventent. Tels sont les traits dont il porte l'empreinte, plus ou moins marquée, dans les contrées qu'il visite plutôt pour satisfaire sa curiosité, que pour ajouter à son instruction, aussi n'en rapporte-t-il que des prétentions. Il est plus fait pour l'amusement que pour l'amitié. Il a des connaissances sans nombre, et souvent il meurt scul. C'est l'être de la terre qui a le plus de jouissances et le moins de regrets. Comme

il ne s'attache à rien fortement, il a bientôt oublié ce qu'il a perdu. Il possède supérieurement l'art de remplacer, et il est secondé dans cet art par tout ce qui l'environne. Si vous en exceptez cette prédilection offensante qu'il a pour sa nation, et qu'il n'est pas en lui de dissimuler il me semble que le jeune Français, gai, léger, plaisant, et frivole, est l'homme aimable de sa nation; et que le Français mûr, instruit, et sage, qui a conservé les agrémens de sa jeunesse, est l'homme aimable et estimable de tous les pays.

Giton et Phédon, ou le Riche et le Pauvre.

Raynal.

Giton a le teint frais, le visage plein, et les joues pendantes, l'œil fixe et assuré, les épaules larges, l'estomac haut, la démarche ferme et délibérée: il parle avec confiance, il fait répéter celui qui l'entretient, et il ne goûte que médiocrement tout ce qu'il lui dit: il déploie un ample ́ mouchoir, et se mouche avec grand bruit; il crache fort loin, et il éternue fort haut; il dort le jour, il dort la nuit, et profondément; il ronfle en compagnie. Il occupe, à table et à la promenade, plus de place qu'un autre; il tient le milieu en se promenant avec ses égaux; il s'arrête, et l'on s'arrête; il continue de marcher, et l'on marche; tous se-règlent sur lui; il interrompt, il redresse ceux qui ont la parole: on ne l'interrompt pas, on l'écoute aussi long-temps qu'il veut parler, on est de son avis; on croit les nouvelles qu'il débite. S'il s'assied, vous le voyez s'enfoncer dans un fauteuil, croiser les jambes l'une sur l'autre, froncer le sourcil, abaisser son chapeau sur ses yeux pour ne voir personne, ou le relever ensuite, et découvrir son front par fierté, ou par audace. Il est enjoué, grand rieur, impatient, présomptueux, colère, libertin, politique, mystérieux sur les affaires du temps: il se croit des talens et de l'esprit; il est riche.

Phédon a les yeux creux, le teint échauffé, le corps sec, et le visage maigre: il dort peu, et d'un sommeil fort léger: il est abstrait, rêveur, et il a, avec de l'esprit, l'air d'un stupide: il oublie de dire ce qu'il sait, ou de parler d'événemens qui lui sont connus; et, s'il le fait quelquefois, il s'en tire mal; il croit peser à ceux à qui il parle: il conte brièvement, mais froidement; il ne se fait pas écouter, il ne fait point rire: il applaudit, il sourit à ce que les autres lui disent, il est de leur avis, il court, il vole pour leur rendre de petits services: il est complaisant, flatteur, empressé : il est mystérieux sur ses affaires, quelquefois menteur; il est superstitieux, scrupuleux, timide: il marche doucement et légèrement, il semble craindre de fouler la terre: il marche les yeux baissés, et il n'ose les lever sur ceux qui passent. Il n'est jamais du nombre de ceux qui forment un cercle pour discourir, il se met derrière celui qui parle, recueille furtivement ce qui se dit, et se retire si on le regarde. Il n'occupe point de lieu, il ne tient point de place, il va les épaules serrées, le chapeau abaissé sur ses yeux pour n'être point vu, il se replie, et se renferme dans son manteau: il n'y a point de galeries si embarrassées et si

remplies de monde où il ne trouve moyen de passer sans effort, et de se couler, sans être aperçu. Si on le prie de s'asseoir, il se met à peine sur le bord d'un siége: il parle bas dans la conversation, et il articule mal: libre néanmoins sur les affaires publiques, chagrin contre le siècle, médiocrement prévenu des ministres et du ministère. Il n'ouvre la bouche que pour répondre: il tousse, il se mouche sous son chapeau, il crache presque sur soi, et il attend qu'il soit seul pour éternuer; ou si cela lui arrive, c'est à l'insçu de la compagnie, il n'en coûte à personne ni salut, ni compliment; il est pauvre.

Labruyère.

Gnathon, ou l'Egoiste.

Gnathon ne vit que pour soi, et tous les hommes ensemble sont à son égard comme s'ils n'étaient point. Non content de remplir à une table la première place, il occupe lui seul celle de deux autres; il oublie que le repas est pour lui et pour toute la compagnie; il se rend maître du plat, et fait son propre de chaque service: il ne s'attache à aucun des mets, qu'il n'ait achevé d'essayer de tous; il voudrait pouvoir les savourer tous tout-à-la-fois : il ne se sert à table que de mains, il manie les viandes, les remanie, démembre, déchire, et en use de manière qu'il faut que les conviés, s'ils veulent manger, mangent ses restes; il ne leur épargne aucune de ces mal-propretés dégoûtantes, capables d'ôter l'appétit aux plus affamés: le jus et les sauces lui dégouttent du menton et de la barbe: s'il enlève un ragoût de dessus un plat, il le répand en chemin dans un autre plat ; et sur la nappe, on le suit à la trace; il mange haut et avec grand bruit, il roule les yeux en mangeant, la table est pour lui un ratelier; il écure ses dents, et il continue à manger. Il se fait, quelque part où il se trouve, une manière d'établissement, et ne souffre pas d'être plus pressé au sermon ou au théâtre que dans sa chambre. Il n'y a dans un carrosse, que les places du fond qui lui conviennent: dans toute autre, si on veut l'en croire, il pâlit, et tombe en faiblesse. S'il fait un voyage avec plusieurs, il les prévient dans les hôtelleries, et il sait toujours se conserver dans la meilleure chambre, le meilleur lit. Il tourne tout à son usage: ses valets, ceux d'autrui courent dans le même temps pour son service: tout ce qu'il trouve sous sa main lui est propre, hardes, équipages: il embarrasse tout le monde, ne se contraint pour personne, ne plaint personne, ne connaît de maux que les siens, que sa réplétion et sa bile; ne pleure point la mort des autres, n'appréhende que la sienne, qu'il racheterait volontiers de l'extinction du genre humain.

Le même.

Cliton, ou l'Homme né pour la Digestion.

Cliton n'a jamais eu en toute sa vie que deux affaires, qui sont de dîner le matin, et de souper le soir; il ne semble né que pour la digestion; il n'a de même qu'un entretien; il dit les entrées qui ont été servies au dernier repas où il s'est trouvé; il dit combien il y a eu de potages, et quels potages; il place ensuite le rôt et les entre-mets; il se souvient exactement de quels plats on a relevé le premier service; il n'oublie pas les hors d'œuvres, le fruit, et les assiettes: il nomme tous les vins et toutes les liqueurs dont il a bu; il possède le langage des cuisines autant qu'il peut s'étendre, et il me fait envie de manger à une bonne table où il ne soit point: il a surtont un palais sûr, qui ne prend point le change, et il ne s'est jamais vu exposé à l'horrible inconvénient de manger un mauvais ragoût, ou de boire d'un vin médiocre. C'est un personnage illustre dans son genre, et qui a porté le talent de se bien nourrir jusques où il pouvait aller ; on ne reverra plus un homme qui mange tant, et qui mange si bien; aussi est-il l'arbitre des bons morceaux; et il n'est guères permis d'avoir du goût pour ce qu'il désapprouve. Mais il n'est plus, il s'est fait du moins porter à table jusqu'au dernier soupir: il donnait à manger le jour qu'il est mort. Quelque part où il soit, il mange; et s'il revient au monde, c'est pour manger. Le même.

Menippe, ou les Plumes du Paon.

Ménippe est l'oiseau paré de divers plumages, qui ne sont pas à lui; il ne parle pas, il répète des sentimens et des discours, se sert même si naturellement de l'esprit des autres, qu'il y est le premier trompé, et qu'il croit souvent dire son goût, ou expliquer sa pensée, lorsqu'il n'est que l'écho de quelqu'un qu'il vient de quitter. C'est un homme qui est de mise un quart d'heure de suite, qui le moment d'après baisse, dégénère, perd le peu de lustre qu'un peu de mémoire lui dounait, et montre la corde: lui seul ignore combien il est au-dessous du sublime et de l'héroïque: et incapable de savoir jusqu'où l'on peut avoir de l'esprit, il croit naïvement que ce qu'il en a, est tout ce que les hommes en sauraient avoir; aussi a-t-il l'air et le maintien de celui qui n'a rien à désirer sur ce chapitre, et qui ne porte envie à personne. Il se parle souvent à soi-même, et il ne s'en cache pas ; ceux qui passent le voient, et il semble toujours prendre un parti, ou décider qu'une telle chose est sans réplique. Si vous le saluez quelquefois, c'est le jeter dans l'embarras de savoir s'il doit rendre le salut ou non; et pendant qu'il délibère, vous êtes déjà hors de portée. Sa vanité l'a fait honnête homine, l'a mis au-dessus de lui-même, l'a fait devenir ce qu'il n'était pas. L'on juge, en le voyant, qu'il n'est occupé que de sa personne, qu'il sait que tout lui sied bien et que sa parure est assortie, qu'il croit

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