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que tous les yeux sont ouverts sur lui, et que les hommes se relayen pour le contempler. Le même.

Le Fat.

C'est un homme dont la vanité seule forme le caractère; qui ne fait rien par goût, qui n'agit que par ostentation, et qui voulant s'élever audessus des autres, est descendu au-dessous de lui-même. Familier avec ses supérieurs, important avec ses inférieurs, il tutoie, il protège, il méprise. Vous le saluez, et il ne vous voit pas; vous lui parlez, et il ne vous écoute pas; vous parlez à un autre, et il vous interrompt. Il lorgne, il persiffle au milieu de la société la plus respectable, et de la conversation la plus sérieuse; une femme le regarde, et il s'en croit aimé. Soit qu'on le souffre, soit qu'on le chasse, il en tire également avantage. Il dit à l'homme vertueux de venir le voir, et il lui indique l'heure du brodeur et du bijoutier. Il offre à l'homme libre une place dans sa voiture, et il lui laisse prendre la moins commode. Il n'a aucune connaissance, et il donne des avis aux savans et aux artistes. Il en eût donné à Vauban sur les fortifications, à Lebrun sur la peinture, à Racine sur la poésie. Sort-il du spectacle? il parle à l'oreille de ses gens. Il part: vous croyez qu'il vole à un rendez-vous: il va souper seul chez lui. Il se fait rendre mystérieusement en public des billets vrais ou supposés: on croirait qu'il a fixé une coquette, ou déterminé une prude. Il fait un long calcul de ses revenus: il n'a que soixante mille livres de rente, et il ne peut vivre. Il consulte la mode pour ses travers comme pour ses habits, pour ses indispositions comme pour ses voitures, pour son médecin comme pour son tailleur. Vrai personnage de théâtre, à le voir, vous croiriez qu'il a un masque; à l'entendre, vous diriez qu'il joue un rôle; ses paroles sout vaines, ses actions sont des mensonges, son silence même est menteur. manque aux engagemens qu'il a ; il en feint quand il n'en a pas. II ne va pas où on l'attend, il arrive tard où il n'est pas attendu. Il n'ose avouer un parent pauvre ou peu connu. Il se glorifie de l'amitié d'un grand à qui il n'a jamais parlé, ou qui ne lui a jamais répondu. Il a du bel esprit, la suffisance et les mots satiriques; de l'homme de qualité, les talons rouges, le coureur, et les créanciers; de l'homme à bonnes fortunes, la petite maison, l'ambre, et les grisons. Pour peu qu'il fût fripon, il serait en tout le contraste de l'honnête homme. Eu un mot, c'est un homme d'esprit pour les sots qui l'admirent, c'est un sot pour les gens sensés qui l'évitent. Mais si vous connaissez bien cet homme, ce n'est ni un homme d'esprit, ni un sot; c'est un fat, c'est le modèle d'une infinité de jeunes sots mal élevés.

Desmahis.

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Homère.

Je ne suis qu'un Scythe, et l'harmonie des vers d'Homère, cette harmonie qui transporte les Grecs, échappe souvent à mes organes trop grossiers: mais je ne suis plus maître de mon admiration, quand je vois ce génie altier planer pour ainsi dire sur l'univers, lançant de toutes parts ses regards embrasés, recueillant les feux et les couleurs dont les objets étincellent à sa vue; assistant au conseil des dieux; sondant les replis du cœur humain, et bientôt, riche de ses découvertes, ivre des beautés de la nature, et ne pouvant plus supporter l'ardeur qui le dévore, la répandre avec profusion dans ses tableaux et dans ses expressions; mettre aux prises le ciel avec la terre, et les passions avec elles-mêmes; nous éblouir par ces traits de lumière qui n'appartiennent qu'aux talens supérieurs; nous entraîner par ces saillies de sentiment qui sont le vrai sublime, et toujours laisser dans notre ame une impression profonde qui semble l'étendre et l'agrandir; car ce qui distingue surtout Homère, c'est de tout animer et de nous pénétrer sans cesse des mouvemens qui l'agitent; c'est de tout subordonner à la passion principale, de la suivre dans ses fougues, dans ses écarts, dans ses inconséquences; de la porter jusqu'aux nues et de la faire tomber quand il le faut, par la force du sentiment et de la vertu, comme la flamme de l'Etna que le veut repousse au fond de l'abîme; c'est d'avoir saisi de grands caractères, d'avoir différencié la puissance, la bravoure, et les autres qualités de ses personnages, non par des descriptions froides et fastidieuses, mais par des coups de pinceau rapides et vigoureux, ou par des fictions neuves et semées presque au hasard dans ses ouvrages. Je monte avec lui dans les cieux: je reconnais Vénus toute entière à cette ceinture d'où s'échappent sans cesse les feux de l'amour, les désirs impatiens, les grâces séduisantes, et les charmes inexprimables du langage et des jeux : je reconnais Pallas et ses fureurs, à cette égide où sont suspendues la terreur, la discorde, la violence, et la tête épouvantable de l'horrible Gorgone: Jupiter et Neptune sont les plus puissans des dieux; mais il faut à Neptune un trident pour secouer la terre; à Jupiter, un clin d'œil pour ébranler l'Olympe. Je descends sur la terre: Achille, Ajax, et Diomède sont les plus redoutables des Grecs; mais Diomède se retire à l'aspect de l'armée Troyenne; Ajax ne cède qu'après l'avoir repoussée plusieurs fois: Achille se montre, et elle disparaît.

Barthélemy. Voyage d'Anacharsis.

Démosthène et Cicéron.

Parallèle de ces deux Orateurs, où l'on donne le Caractère de la véritable Eloquence.

Cicéron. Quoi! prétends-tu que j'aie été un orateur médiocre ?

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Démosthène. Non pas médiocre : : car ce n'est pas sur une personne médiocre que je prétends avoir la supériorité. Tu as été dans doute un orateur célèbre. Tu avais de grandes parties; mais souvent tu t'es écarté du point en quoi consiste la perfection.

Cicéron. Et toi, n'as-tu point eu de défauts?

Démosthène. Je crois qu'on ne m'en peut reprocher aucun pour l'éloquence.

Cicéron. Peux-tu comparer la richesse de ton génie à la mienne? toi qui es sec, sans ornement; qui es toujours contraint par des bornes étroites et resserrées; toi qui n'éntends aucun sujet; toi à qui on ne peut rien retrancher, tant la manière dont tu traites les sujets est, si j'ose me servir de ce terme, affamée; au lieu que je donne aux miens une étendue qui fait paraître une abondance et une fertilité de génie qui a fait dire qu'on ne pouvait rien ajouter à mes ouvrages.

Démosthène. Celui à qui on ne peut rien retrancher, n'a rien dit que de parfait.

Cicéron. Celui à qui on ne peut rien ajouter, n'a rien omis de tout ce qui pouvait embellir son ouvrage.

Démosthène. Ne trouves-tu pas tes discours plus remplis de traits d'esprit que les iniens? Parle de bonne foi; n'est-ce pas là la raison pour laquelle tu t'élèves au-dessus de moi?

Cicéron. Je veux bien te l'avouer, puisque tu me parles ainsi. Mes pièces sont infiniment plus ornées que les tiennes. Elles marquent bien plus d'esprit, de tour, d'art, de facilité, Je fais paraître la même chose sous vingt manières différentes. On ne pouvait s'empêcher, en entendant mes oraisons, d'admirer mon esprit, d'être continuellement surpris de mon art, de s'écrier sur moi, de m'interrompre pour m'applaudir et me donner des louanges. Tu devais être écouté fort tranquillement, et apparemment tes auditeurs ne t'interrompaient pas.

Démosthène. Ce que tu dis de nous deux est vrai. Tu ne te trompes que dans la conclusion que tu en tires. Tu occupais l'assemblée de toi-même ; et moi, je ne l'occupais que des affaires dont je parlais. On t'admirait; et moi, j'étais oublié par mes auditeurs qui ne voyaient que le parti que je voulais leur faire prendre. Tu réjouissais par les traits de ton esprit; et moi, je frappais, j'abattais, j'atterrais par des coups de foudre, Tu fesais dire: qu'il parle bien ! et moi, je fesais dire: Allons, marchons contre Philippe. On te louait; on était trop hors de soi pour me louer. Quand tu haranguais, tu paraissais orné; on ne découvrait en moi aucun ornement: il n'y avait dans mes pièces que des raisons précises, fortes, claires : ensuite des mouvemens semblables à des foudres, auxquels on ne pouvait résister. Tu as été un orateur parfait, quand tu as été comme moi, simple, grave, austère, sans art apparent; en un mot, quand tu as été Démosthénique: mais lorsqu'on a senti en tes discours l'esprit, le tour, et l'art; alors tu n'étais que Cicéron, t'éloignant de la perfection, autant que tu t'éloignais de mon caractère.

Fénélon.

Horace et Virgile.

Caractères de ces deux Poétes.

Virgile. Que nous sommes tranquilles et heureux sur ces gazons toujours fleuris, au bord de cette onde si pure, auprès de ces bois odoriférans !

Horace. Si vous n'y prenez garde, vous allez faire une églogue. Les ombres n'en doivent point faire. Voyez Homère, Hésiode, Théocrite couronnés de lauriers; ils entendent chanter leurs vers; mais ils n'en font plus.

Virgile. J'apprends avec joie que les vôtres sont encore, après tant de siècles, les délices des gens de lettres. Vous ne vous trompiez pas quand vous disiez dans vos odes d'un ton si assuré; Je ne mourrai pas tout entier.

Horace. Mes ouvrages ont résisté au temps, il est vrai; mais il faut vous aimer autant que je le fais, pour n'être point jaloux de votre gloire. On vous place d'abord après Homère.

Virgile. Nos muses ne doivent point être jalouses l'une de l'autre ; leurs genres sont différens. Ce que vous avez de merveilleux, c'est la variété; vos odes sont tendres, gracieuses, souvent véhémentes, rapides, sublimes. Vos satires sont simples, naïves, courtes, pleines de sel. On y trouve une profonde connaissance de l'homme, une philosophie très-sérieuse, avec un tour plaisant qui redresse les mœurs des hommes et qui les instruit en jouant. Votre art poétique montre que vous aviez toute l'étendue des connaissances acquises, et toute la force de génie nécessaire, pour exécuter les plus grands ouvrages, soit pour le poëme épique, soit pour la tragédie.

Horace. C'est bien à vous à parler de variété, vous qui avez mis dans vos églogues la tendresse naïve de Théocrite. Vos géorgiques sont pleines de peintures les plus riantes. Vous embellissez et vous passionnez toute la nature. Enfin, dans votre Enéide, le bel ordre, la magnificence, la force, et la sublimité d'Homère éclatent partout. Virgile. Mais je n'ai fait que le suivre pas à pas.

Horace. Vous n'avez point suivi Homère, quand vous avez traité les amours de Didon. Ce quatrième livre est tout original. On ne peut pas même vous ôter la louange d'avoir fait la descente d'Enée aux enfers plus belle que n'est l'évocation des ames qui est dans l'Odyssée.

Virgile. Mes derniers livres sont négligés. Je ne prétendais pas les laisser si imparfaits. Vous savez que je voulus les brûler.

Horace. Quel dommage, si vous l'eussiez fait! c'était une délicatesse excessive. On voit bien que l'auteur des géorgiques aurait pu finir l'Enéide avec le même soin. Je regarde moins cette dernière exactitude, que l'effort du génie, la conduite de tout l'ouvrage, la force et la hardiesse des peintures. A vous parler ingénument, si quelque chose vous empêche d'égaler Homère, c'est d'être plus poli, plus châtié, plus

fini; mais moins simple, moins fort, moins sublime: car d'un seul trait il met la nature toute nue devant les yeux.

Virgile. J'avoue que j'ai dérobé quelque chose à la simple nature, pour m'accommoder au goût d'un peuple magnifique et délicat sur toutes les choses qui ont rapport à la politesse. Homère semble avoir oublié le lecteur, pour ne songer à peindre en tout que la vraie nature. En cela je lui cède.

Horace. Vous êtes toujours ce modeste Virgile qui eut tant de peine à se produire à la cour d'Auguste. Je vous ai dit librement ce que j'ai pensé sur vos ouvrages; dites-moi de même les défauts des miens Quoi donc! me croyez-vous incapable de les reconnaître ?

Virgile. Il y a, ce me semble, quelques endroits de vos odes qui pourraient être retranchés sans rien ôter au sujet, et qui n'eutrent point dans votre dessein. Je n'ignore point le transport que l'ode doit avoir: mais il y a des choses écartées, qu'un beau transport ne va point chercher. Il y a aussi quelques endroits passionnés, merveilleux, où vous remarquerez peut-être quelque chose qui y manque ou pour l'harmo. nie, ou pour la simplicité de la passion. Jamais homme n'a donné un tour plus heureux que vous à la parole, pour lui faire signifier un beau sens avec brièveté et délicatesse. Les mots deviennent tous nouveaux par l'usage que vous en faites: mais tout n'est pas également coulant: il y a des choses que je croirais un peu trop tournées.

Horace. Pour l'harmonie, je ne m'étonne pas que vous soyez si difficile. Rien n'est si doux et si nombreux que vos vers: leur cadence seule attendrit et fait couler les larmes des yeux

Vigile. L'ode demande une autre harmonie, toute différente, que vous avez trouvée presque toujours, et qui est plus variée que la mienne.

Horace. Enfin, je n'ai fait que de petits ouvrages. J'ai blâmé ce qui est mal; j'ai montré les règles de ce qui est bien; mais je n'ai rien exécuté de grand, comme votre poëme héroïque.

Virgile. En vérité, mon cher Horace, il y a déjà trop long-temps que nous nous donnons des louanges pour d'honnêtes gens; j'en ai honte. Finissons. Le même.

Shakespear.

Shakespear naquit en 1564 à Stratford, dans le comté de Warwick, et mourut en 1616. Il créa le théâtre Anglais par un génie plein de naturel, de force, et de fécondité, sans aucune connaissance des règles; on trouve dans ce grand génie le fonds inépuisable d'une imagination pathétique et sublime, fantasque et pittoresque, sombre et gaie; une variété prodigieuse de caractères, tous si bien contrastés, qu'ils ne tiennent pas un seul discours que l'on pût transporter de l'un à l'autre : talens personnels à Shakespear, et dans lesquels il surpasse tous les poétes du monde. Il y a de si belles scènes, des morceaux si grands et

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