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Le Prince Noir.

Le prince de Galles fut, sans contredit, un des plus grands hommes que l'Angleterre ait produits. Intrépide à la tête des armées, terrible dans le combat, toujours vainqueur, affable et modeste après la victoire, généreux, libéral, juste appréciateur du vrai mérite, ami du genre humain. Jamais l'éclat que tant de sublimes qualités réunissaient en sa personne, ne lui fit oublier ses devoirs; son père n'eut point de fils plus respectueux, plus tendre. Les Anglais le pleurèrent universellement. Leurs descendans rendent encore aujourd'hui hommage à la mémoire de ce prince. Villaret.

Parallèle d'Elizabeth Reine d'Angleterre et de Marie-Thérèse Archiduchesse d'Autriche.

Peut-être, MM., manquerais-je ici à votre attente, si j'éloignais de vos yeux un tableau vers lequel l'imagination semble se porter presque involontairement. Qui de vous en effet ne rapproche pas dans ce moment la célèbre Elizabeth d'Angleterre de l'immortelle Marie-Thérèse! Je sais que la religion les distingue; mais quel brillant parallèle pour l'histoire Toutes deux, honorant leur sexe, leur pays, leur trône, ont donné des leçons de génie aux rois, et ce qui est plus rare encore, ont consacré le génie au bonheur des peuples: toutes deux exercées par le malheur ont appris, dans la lutte pénible contre l'adversité, à fortifier leur caractère, à étendre les ressources de leur ame, à se soumettre les événemens, et à se faire un héroïsme de circonstances autant que de principes. Elizabeth, plus créatrice peut-être et plus hardie, a préparé les ambitieux destins de l'Angleterre: Marie-Thérèse, plus mesurée, a déployé cette intelligence conservatrice, qu'exigeait la longue et antique domination de l'Autriche. La première, réprimant un peu. ple impatient et fougueux, galement terrible, soit qu'il sente l'excès de la servitude ou de la liberté, le contint sans l'avilir; et détournant cette activité inquiète vers de grands objets, lui créa, si j'ose ainsi parler, un nouvel apanage, la mer: une nouvelle patrie, les deux mondes. La seconde excitant un peuple caline, et dès long-temps plié par la douce discipline des lois et des camps, lui a inspiré le goût d'une richesse utile, et d'un genre de conquête conforme à ses mœurs, celle de son propre pays par le travail et l'industrie. Ainsi, l'une tourna vers l'empire et la fortune, le génie de la liberté : l'autre a dirigé vers un bonheur tranquille, le génie de l'obéissance. Toutes deux ont joui d'un pouvoir presque absolu; mais l'espèce de despotisme d'Elizabeth tenait à son caractère; celui de Marie-Thérèse à la constitution de l'état. Elizabeth par sa fierté naturelle tendait sans cesse le ressort d'un gouvernement, où les droits des peuples étaient indécis, où les bornes mobiles de l'autorité étaient déplacées à chaque règne par la faiblesse ou la fermeté des monarques. Marie-Thérèse, en montant

sur le trône, hérita d'une puissance illimitée, appuyée sur plusieurs siècles, accrue, et pour ainsi dire, consacrée par l'opinion; cette première législatrice des états, qui fonde ou justifie tous les droits; mais cette constitution sans équilibre, trouva son contre-poids dans l'ame de la souveraine qui devait y présider. L'une enfin, par ses succès et sa grandeur, força le fier Breton de lui pardonner le despotisme de sa volonté; l'autre, par sa modération et sa douceur, tempéra le despotisme des armes et de la législation arbitraire: elle n'en retint que le droit d'être bienfaisante sans contradiction, et de faire envier à l'indépendance même l'heureuse nécessité de lui obéir.

L'Abbé de Boismont.

Colbert.

L'éclat et la prospérité du règne de Louis XIV., la grandeur du souverain, le bonheur des peuples, feront regretter à jamais le plus grand ministre qu'ait eu la France: ce fut par lui que les arts furent portés à ce degré de splendeur qui a reudu le règne de Louis XIV. le plus beau règne de la monarchie; et, ce qui est à remarquer, c'est que cette protection signalée qu'il leur accorda n'était peut-être pas en lui l'effet seul du goût et des connaissances: ce n'était pas par sentiment qu'il animait les artistes et les savans; c'était comme homme d'état qu'il les protégeait, parce qu'il avait reconnu que les beaux arts sont seuls capables de former et d'immortaliser les grands empires. Homme mémorable à jamais! ses soins étaient partagés entre l'économie et la prodigalité; il économisait dans son cabinet, par l'esprit d'ordre qui le caractérisait, ce qu'il était obligé de prodiguer aux yeux de l'Europe, tant pour la gloire de son maître, que par la nécessité de lui obéir; esprit sage, et n'ayant point les écarts du génie: Par negotiis, neque suprà erat. (Tacite.) Il ne fut que huit jours malade: on a dit qu'il était mort hors de la faveur: grande instruction pour les ministres. Le Président Hénault.

Pierre le Grand, Empereur de Russie.

Pierre le grand fut regretté en Russie de tous ceux qu'il avait formés; et la génération qui suivit celle des partisans des anciennes mœurs, le regarda bientôt comme son père. Quand les étrangers ont vu que tous ses établissemens étaient durables, ils ont eu pour lui une admiration constante, et ils ont avoué qu'il avait été inspiré plutôt par une sagesse extraordinaire, que par l'envie de faire des choses étonnantes. L'Europe reconnu qu'il avait aimé la gloire, mais qu'il l'avait mise à faire du bien; que ses défauts n'avaient jamais affaibli ses grandes qualités; qu'en lui l'homme eut ses taches, et que le monarque fut toujours grand; il a forcé la nature en tout, dans ses su'ets, dans lui-même, et sur la terre et sur les eaux; mais il l'a forcée

pour l'embellir. Les arts, qu'il a transplantés de ses mains dans des pays dont plusieurs alors étaient sauvages, ont, en fructifiant, rendu témoignage à son génie et éternisé sa mémoire; ils paraissent aujourd'hui originaires des pays même où il les a portés. Lois, police, politique, discipline militaire, marine, commerce, manufactures, sciences, beaux arts, tout s'est perfectionné selon ses vues; et par une singularité dont il n'est point d'exemple, ce sont quatre femmes, montées après lui sur le trône, qui ont maintenu tout ce qu'il acheva, et ont perfectionné tout ce qu'il entreprit.

C'est aux historiens nationaux d'entrer dans tous les détails des fondations, des lois, des guerres, et des entreprises de Pierre le grand. Il suffit à un étranger d'avoir essayé de montrer ce que fut le grand homme qui apprit de Charles XII. à le vaincre, qui sortit deux fois de ses états pour les mieux gouverner, qui travailla de ses mains à presque tous les arts nécessaires, pour en donner l'exemple à son peuple, et qui fut le fondateur et le père de son empire.

Voltaire. Histoire de Pierre le Grand.

Charles XII.

Charles XII. roi de Suède, éprouva ce que la prospérité a de plus grand, et ce que l'adversité a de plus cruel, sans avoir été amolli par l'une, ni ébranlé un moment par l'autre. Presque toutes ses actions, jusqu'à celles de sa vie privée et unie, ont été bien loin au-delà du vraisemblable. C'est peut-être le seul de tous les hommes, et jusqu'ici le seul de tous les rois, qui ait vécu sans faiblesse; il a porté toutes les vertus des héros à un excès où elles sont aussi dangereuses que les vices opposés. Sa fermeté, devenue opiniâtreté, fit ses malheurs dans l'Ukraine, et le retint cinq ans en Turquie; sa libéralité, dégénérant en profusion, a ruiné la Suéde: son courage, poussé jusqu'à la témérité, a causé sa mort: sa justice a été quelquefois jusqu'à la cruauté: et, dans les dernières années, le maintien de son autorité approchait de la tyrannie. Ses grandes qualités, dont une seule eût pu immortaliser un autre prince, ont fait le malheur de son pays. Il n'attaqua jamais personne; mais il ne fut pas aussi prudent qu'implacable dans ses vengeances. Il a été le premier qui ait eu l'ambition d'être conquérant, sans avoir l'envie d'agrandir ses états; il voulait gagner des empires pour les donner. Sa passion pour la gloire, pour la guerre, et pour la vengeance, l'empêcha d'être bon politique, qualité sans laquelle on n'a jamais vu de conquérant. Avant la bataille, et après la victoire, il n'avait que de la modestie; après la défaite, que de la fermeté: dur pour les autres comme pour lui-même, comptant pour rien la peine et la vie de ses sujets, aussi bien que la sienne: homme unique plutôt que grand homme, admirable plutôt qu'à imiter. Sa vie doit apprendre aux rois combien un gouvernement pacifique et heureux est au-dessus de tant de gloire. Le même. Histoire de Charles XII.

Frédéric le Grand.

La nature sembla réserver pour lui cette gloire extraordinaire, que, né sur le trône, il fut le premier de sa nation et de son siècle. Egalement remarquable par l'audace de sa pensée, la sagacité de son esprit, l'énergie de sa prudence, et la fermeté de son caractère, on ne sait qu'admirer le plus, de ses talents variés, de son profond jugement, ou de sa grande ame. Brillant de toutes les qualités physiques et morales, fort comme sa volonté, beau comme le génie, actif jusqu'au prodige, il perfectionna, il compléta tous ses avantages, et ne fut pas moins éminemment son propre ouvrage que celui de la nature. Né facile, il se rendit sévère. Absolu jusqu'à la plus redoutable impatience, il fut tolérant jusqu'à la longauimité. Vif, ardent, impétueux; il se fit modéré, calme, réfléchi. Sa destinée fut telle, que les evenemens tournèrent à son avantage, souvent par le concours de sa bonne conduite, quelquefois malgré ses fautes; et tout, jusqu'au tribut d'erreurs qu'il paya à l'humaine faiblesse, porta l'empreinte de sa grandeur, de son originalité, de son indomptable caractère.

Jamais mortel ne fut constitué pour le commandement comme lui. Il le savait. Il semblait se croire l'ame universelle du monde, et n'admettait aux autres hommes que je ne sais quelle ame sensitive, instinct animal plus ou moins ingénieux. Aussi les méprisait-il; et cependant, il travailla infatigablement, selon ses lumières, à leur bonheur. Ainsi l'extrême justesse de son esprit fit plus pour le rendre équitable et bienfesant, que n'eût fait l'équivoque bonté des cœurs nés sensibles. Il ne connut qu'une passion; la gloire, et il fut ennemi de la louange: qu'un goût; soi-même, et sa vie entière fut pour les autres: qu'une occupation; son noble métier de roi. Il le fit avec la plus inimitable persévérance, pendant quarante-six années, sans discontinuation, jusqu'au jour qui précéda sa mort philosophique et simple, après dixhuit mois de douleur et d'angoisses, qui ne lui arrachèrent pas une plainte.

Frédéric cessa de vivre le dix-sept Août* mil sept cent quatre-vingtsix. Il ne cessa de régner que la veille.

Mais c'est à l'histoire à peindre Frédéric le grand: c'est à elle à

* A deux heures et vingt minutes du matin. C'est une chose remarquable qu'il est mort de la même maladie que le grand électeur, avec la même égalité d'ame et la même persévérance dans son application au gouvernement. Le 15, où il so mmeilla, contre son habitude constante, jusqu'à onze heures, il avait fait encore son travail du cabinet, avec une présence d'esprit et une concision admirables. Aussi lorsque le 16, le roi aujourd'hui régnant envoya à M. Selle l'ordre de se rendre à Potzdam le plutôt possible, parce que Frédéric était dans un sommeil léthargique, ce médecin apercevant au roi mourant du feu dans les yeux, de la sensibilité dans les organes, et de la connaissance, n'osa pas se montrer; mais il le jugea sans ressource, moins à l'état désespéré de ses plaies, qu'en remarquant qu'il ne se rappelait pas de n'avoir point expédié les affaires du cabinet. C'était trop bien conclure. Frédéric ne pouvait oublier son métier qu'an dernier soupir. Quel exemple de la dignité persévérante, et de l'invincible courage d'une ame héroïquel

noter ses hauts faits, ses succès éclatans, ses ressources inconcevables, la grandeur de son règne, la simplicité de sa vie et da sa mort. C'est à elle à dire ce qu'il fit pour rehausser sa nation, pour éclairer l'espèce humaine. Pour moi, qui l'ai vu, qui l'ai entendu; moi qui nourrirai jusqu'au tombeau le doux orgueil de l'avoir intéressé, je frémis encore et non ame s'indigne du spectacle qu'offrit Berlin à mes yeux stupé. faits, le jour de la mort du héros, qui fit taire d'étonnement ou parler d'admiration l'univers. Tout était morne; personne n'était triste: tout était occupé; personne n'était affligé: pas un regret, pas un soupir, pas un éloge!

C'est donc là qu'aboutissent tant de batailles gagnées, tant de gloire, un règne de près d'un demi-siècle, rempli d'une multitude de prodiges! On en était fatigué jusqu'à la haine.-Qu'attendaient-ils: les dépouilles du trésor!-Le seul général Mollendorf pleurait:* au serment des troupes, son regard profondément triste, ses larmes involontaires, son parler mâle et attendri, sa contenance d'un héroz blessé, brisaient l'ame de l'observateur sensible. Mais il était le seul dont on aperçut la douleur, et je le dis pour sa gloire.

Pourquoi cette farouche ingratitude? C'est que Frédéric aima plus ceux auxquels ils se devait, que ceux qui se devaient à lui:t et ces derniers seuls entouraient sa tombe.

Mirabeau, de la Monarchie Prussienne.

Washington.

Il est des hommes prodigieux qui apparaissent d'intervalle en in. tervalle, sur la scene du monde, avec le caractère de la grandeur et de la domination. Une cause inconnue et supérieure les envoie, quand il en est temps, pour fonder le berceau, ou pour réparer les ruines des empires. C'est en vain que ces hommes désignés d'avance se tiennent à l'écart, ou se confondent dans la foule: la main de la fortune les soulève tout-à-coup, et les porte rapidement d'obstacle en obstacle, et de triomphe en triomphe, jusqu'au sommet de la puissance. Une sorte d'inspiration surnaturelle anime toutes leurs pensées; un mouvement irrésistible est donné à toutes leurs entreprises. La multitude les cherche encore au milieu d'elle, et ne les trouve plus; elle lève les yeux en haut, et voit, dans une sphère éclatante de lumière et de gloire, celui qui ne semblait qu'un téméraire aux yeux de l'ignorance et de l'envie.

Tel est le privilége des grands caractères: ils semblent si peu appar

* On m'a assuré qu'il en fut de même du général Pritwitz; mais je ne l'ai pas vu ce premier jour.

+ Louis XI. disait à Philippes de Comines, qu'il aimait bien plus ceux qui se devaient à lui, que ceux auxquels il se devait.

Ces quinze ou vingt lignes qui forment comme les premiers linéamens de Pimage de Washington, ne rappellent-ils pas la manière de Bossuet

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