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portez les armes que vos pères ont portées, et que ce soit avec honneur comme eux. Que je vous trouve heureux d'avoir tant d'obligations à devenir un sujet distingué, et de devoir au roi votre vie et vos services, au double titre de votre maître et de votre père ! Vous porterez toute votre vie sur votre personne les signes glorieux de sa bonté (la croix de l'ordre de St. Lazare), mais je suis sûre qu'on les reconnaîtra encore mieux à vos actions; je suis certaine encore que vous ne perdrez jamais le souvenir de ce que vous devez à ceux qui vous ont dirigé dans l'école que vous quittez, et principalement à ce citoyen vertueux, que ses grandes qualités ont, pour ainsi dire, associé à l'œuvre immortelle de ce règne. Je vous aimerai alors de tendresse et de fierté et tandis que, continée dans un château, je partagerai ma vie entre les soins de mon sexe et des amusemens littéraires; je vous perdrai de vue dans le chemin de la gloire. Vous cueillerez des lauriers, et votre sœur disputera aux jeux floraux leurs couronnes; elle s'élèvera peu-à-peu à un style plus noble: et si vous devenez jamais un grand guerrier, vous lui apprendrez à vous chanter; et vous aurez de sa part un poëme. Je meurs d'envie d'avoir quelque jour le talent, et vous sentez par-là ce que mon ambition vous demande.

Adieu, mon cher frère, pardonnez à ma jeunesse ces réflexions; mais sachez en gré à mon amitié. J'ai voulu vous écrire dans l'époque la plus importante de votre vie; et mon cœur a volé pour cela jusqu'à vous, c'est lui qui m'a dicté tout ce que cette lettre contient: il vous aime trop pour avoir pu se tromper.

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RÉGLES DE LA VERSIFICATION.

Ce n'est pas seulement à ceux qui ont reçu du Ciel le talent éminen de peindre la nature, que nous adressons ce Traité; c'est à tous ceur qui ne sont pas aussi heureusement nés, et aussi privilégiés que ce génies du premier ordre, que nous allous révéler, non le secret de cet art sublime, connu sous le nom de poésie, mais la connaissance des règles qu'il faut suivre, en Français, quand on est appelé à cette mer. veilleuse destination. Nous ne pouvons le dissimuler, tout ce que nous allons enseigner sur l'art des vers, ne formera pas un poéte; mais personne ne le deviendra sans avoir appris ce que nous allons dire de la versification. Eh! comment des règles sur la rime, sur la cé, sure, sur le nombre des syllabes prescrites pour la facture du vers, serviraient-elles à former un poéte? Il suffirait, pour se désabuser d'une si folle prétention, de réfléchir, un instant, après la lecture d'une belle tragédie de l'immortel Racine, sur tout ce qu'il a fallu de talens pour une si étonnante composition.

En effet, qu'est-ce qu'un véritable poéte, et quelles doivent être ses dispositions, pour mériter ce titre? Que faut-il qu'il trouve en luimême, pour se répondre qu'il peut, sans présomption, saisir, avec confiance et d'une main hardie, le pinceau d'Homère, de Virgile, et de Racine, pour peindre, à grands traits, d'après les modèles que la nature lui présente sans cesse, des copies tellement ressemblantes, qu'on croie, en les voyant, ne voir que des originaux et des modèles aussi parfaits que ceux qu'il voulait imiter?

Ah! qui pourrait s'y tromper? Le poéte sent, de bonne heure, une sorte de feu intérieur, qu'on nomme imagination, et qui s'enflamme facilement, à la vue des moindres traits échappés au grand tableau de la nature; c'est celui dont le cœur suit naturellement l'élan brûlant de l'imagination; celui dont l'oreille du cœur est encore plus sensible que l'oreille organique à la magie enchanteresse du nombre et d l'harmonie; celui dont l'ame s'élève, à mesure que s'élèvent, dans leurs peintures, les peintres audacieux qui montent jusqu'au sommet de la montagne où l'antiquité fabuleuse plaçait, et les neuf Muses, et cet Apollon si sévère qui repousse dans le marais qui entoure le mont sacré tant de téméraires rimeurs. Le poéte est celui qui, fier d'avoir conçu une vaste pensée, la voit s'agrandir et se développer dans une ame heureusement féconde; c'est celui dont l'ame de feu sent l'irré

sistible besoin de se répandre, et de communiquer ces idées qui peignent si bien les objets dont elles sont les images, ces idées qui se pressent dans un esprit qui ne peut plus les contenir.

Que chacun se compare à ce portrait, et qu'il se juge; qu'il se contente de connaître l'art des vers et de jouir, par la lecture, de tous ceux qui sont, depuis long-temps, en possession de l'admiration umverselle, sans aspirer à l'honneur de partager avec les vrais poétes ce sentiment auquel il ne peut avoir jamais aucun droit. Traçons encore, plus pour celui-ci que pour ces esprits privilégiés, ces règles de la versification que le génie a devinées, et dont les lecteurs des bons vers ne peuvent se passer.

Les vers, à ne les considérer que sous le rapport de leur mécanisme, sont des paroles arrangées selon certaines régles fixes et déterminées.

Ces règles regardent sur-tout le nombre des syllabes, la césure, la rime, les mots que le vers exclut, les licences qu'il permet, et enfin les différentes manières dont il doit être arrangé dans chaque sorte de Poëme.

Des différentes espèces de Vers Français.

On compte ordinairement cinq sortes de vers Français. C'est par le nombre des syllabes qu'on les distingue.

1o. Ceux de douze syllabes, comme:

Dans le ré-duit obs-cur d'u-ne al-co-ve en-fon-cée
S'é-lève un lit de plu-me à grands frais a-ma-ssée :
Qua-tre ri-deaux pom-peux, par un dou-ble con-tour,
En dé-fen-dent l'en-trée à la clar-té du jour.

Ces vers s'appellent alexandrins, héroïques ou grands vers. 2o. Ceux de dix syllabes comme:

Du peu qu'il a le sa-ge est sa-tis-fait.

3o. Ceux de huit syllabes, comme :

L'hi-po-cri-te en frau-des fer-ti-le,
Dès l'en-fan-ce est pé-tri de fard;
Il sait co-lo-rer a-vec art
Le fiel que sa bou-che dis-ti-lle.

4° Ceux de sept syllabes, comme:

Grand Dieu! vo-tre main ré-cla-me
Les dons que j'en ai re-çus.

E-lle vient cou-per la tra-me
Des jours qu'e-lle m'a ti-ssus.
Mon der-nier so-leil se lè-ve,
Et vo-tre sou-fle m'en-lè-ve.

De la te-rre des vi-vans,
Comme la feu-ille sé-chée,
Qui, de sa ti-ge a-rra-chée,
De-vient le jou-et des vents.

5. Ceux de six syllabes, comme :

A soi mê-me o-di-eux
Le sot de tout s'ir-ri-te:
En tous lieux il s'é-vi-te,

Et se trou-ve en tous lieux.

Les vers qui ont moins de six syllabes ne sont guère d'usage que pour la poésie lyrique, et quelques petites pièces badines.

DE LA CÉSURE.

La césure est un repos, qui coupe le vers en deux parties ou hé mistiches.

Ce repos doit être à la sixième syllabe dans les grands vers, et à la quatrième dans ceux de dix syllabes. L'esprit et l'usage de la césure sont très-bien exprimés dans ces vers de Boileau :

Que toujours en vos vers-le sens coupant les mots,
Suspende l'hémistiche-en marque le repos.

Sur les ailes du temps-la tristesse s'envole.

Que le mensonge-un instant vous outrage,
Tout est en feu-soudain pour l'appuyer;
La vérité-perce enfin le nuage,
Tout est de glace-à vous justifier.

Il n'y a que les vers de douze et de dix syllabes qui aient une

césure.

Pour que la césure soit bonne, il faut que le sens autorise le repos; ainsi dans les vers suivans, la césure est défectueuse.

N'oublions pas les grands-bienfaits de la patrie.
Faites voir un regret-sincère de vos fautes.
Mon père, quoiqu'il eût-la tête des meilleures,

Ne m'a jamais rien fait-apprendre que mes heures.

La césure ne vaut rien dans ces exemples, parce que le sens exige que le mot où est la césure, et celui qui le suit, soient prononcés tout de suite et sans pause.

Mais la césure est bonne dans les vers suivans:

Ses chanoines vermeils-et brillans de santé
S'engraissaient d'une longue-et sainte oisiveté.

Ici la césure est bonne, parce qu'on peut faire une petite pause après un substantif suivi de plusieurs adjectifs, ou entre plusieurs adjectifs qui suivent ou qui précèdent un substantif.

VOL. II.

* I

I. REMARQUE. Le dernier mot du premier hémistiche, peut se terminer par le e muet, pourvu que le mot suivant commence par une voyelle.

Ami, lui dit le chantre encor pâle d'horreur,
N'insulte pas de grâce à ma juste terreur.
Il trépigne de joie, il pleure de tendresse.

II. REMARQUE. Les pronoms cela, celui, celui-là, &c. et de qui mis pour dont, peuvent aussi terminer le premier hémistiche, ou recevoir la césure; on souffre cette négligence, mais il faut se la permettre rarement; elle donne toujours aux vers un air prosaïque.

Il n'est fort entre ceux que tu prends par centaines,
Qui ne puisse arrêter un rimeur six semaines.

Bénissons Dieu de qui la puissance est sans bornes.

Les vers de dix et de douze syllabes sont, comme tous les autres, assujettis aux règles dont il nous reste à parler.

DE LA RIME.

La rime est la convenance de deux sons qui terminent deux vers. Quelquefois on exige aussi qu'il y ait convenance d'orthographe, que deux sons semblables soient représentés par les mêmes lettres.

Où me cacher? fuyons dans la nuit infernale.
Mais que dis-je? mon père y tient l'urne fatale.
Le sort, dit-on, l'a mise en ses sévères mains.
Minos juge aux enfers tous les pâles humains.

On distingue deux sortes de rimes, la féminine et la masculine. La première est celle de vers qui se terminent par un e muet, soit seul, soit suivi d'un s ou de nt.

Travaillez à loisir, quelque ordre qui vous presse,

Et ne vous piquez point d'une folle vitesse.

Il veut les rappeler, et sa voix les effraie;

Ils courent; tout son corps n'est bientôt qu'une plaie.
Dans quels ravissemens, à votre sort liée,

Du reste des mortels je vivrais oubliée.

Un jeune homme, toujours bouillant dans ses caprices,
Est prêt à recevoir l'impression des vices.

C'est peu qu'en un ouvrage où les fautes fourmillent,

Des traits d'esprit semés de temps en temps pétillent.

Ces vers féminins ont une syllabe de plus que les masculins: mais comme le e muet sonne faiblement dans la syllabe qui termine le vers, cette syllabe est comptée pour rien.

La rime masculine est celle qui finit par une autre lettre que le e muet, ou seul, ou suivi d'un s, ou enfin de nt.

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