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des réponses une série de définitions, de postulats, d'axiomes et de démonstrations, selon la méthode géométrique.

RÉPONSES AUX SECONDES OBJECTIONS.

I. Je ne cherche pas encore, dans la seconde Méditation, si l'esprit est différent du corps, et j'ai renvoyé à la sixième la démonstration, que le corps ne peut penser. Je la fais ressortir de la clarté avec laquelle nous concevons que le corps et l'esprit peuvent exister l'un sans l'autre. Or, si le corps et l'esprit sont réellement distincts, nul corps n'est esprit ; donc nul corps ne peut penser.

II. Je crois que l'idée de Dieu peut trouver un fondement suffisant en nous-mêmes, puisqu'elle nous est innée. Les mouches et les plantes n'ont rien de plus que la terre et le soleil, ou elles ne dérivent pas de ces causes, comme de leurs causes totales. Ce sont des principes évidents d'euxmêmes, qu'il n'y a dans un effet rien qui ne se trouve à un plus haut degré dans la cause; que rien ne se fait de rien; que toute la réalité, qui n'est qu'objectivement dans les idées, doit être formellement ou éminemment dans leurs causes. Si j'ai puisé l'idée de Dieu dans l'enseignement des autres, où les autres l'ont-ils puisée? Vouloir former cette idée de la connaissance des choses corporelles, c'est vouloir acquérir par la vue l'idée du son. J'ai donné, dans ma deuxième Méditation, les moyens de s'élever à la conception de quelque chose d'incorporel; car ce que j'ai dit de l'esprit humain peut s'appliquer à l'entendement divin. Observons toutefois que les qualités que nous trouvons en nous ne sont pas en Dieu de la même façon, mais avec une unité et une immensité dont nous ne voyons ailleurs aucun exemple. Ce qui prouve que l'idée de Dieu n'est pas une fiction de notre esprit, c'est 1o que nous concevons en lui la science et la puissance infinie, et que nous ne pouvons y concevoir le nombre et la longueur infinie; 2o que Dieu est conçu de la même manière par tout le monde, et que tous les théologiens s'accordent sur les attributs qu'ils lui reconnaissent. On ne s'écarte de la connaissance du vrai Dieu que parce qu'on ne porte

pas son attention sur l'idée qui en est gravée dans notre âme; on y mêle d'autres idées, on se fait un Dieu chimérique dont il n'est pas étonnant qu'on rejette ensuite l'existence. La faculté que j'ai d'ajouter toujours au plus grand des nombres ne peut me venir que d'un être plus parfait que moi.

III. La certitude de l'existence de Dieu ne nous est pas nécessaire pour admettre les principes au moment où nous la concevons avec clarté, mais pour recevoir les conséquences des principes que nous avons oubliés, et que nous nous souvenons seulement d'avoir clairement conçus autrefois. Cette vérité, Je pense, donc je suis, ne doit pas être regardée comme ia conclusion, mais au contraire comme le fozdement de cette majeure: Tout ce qui pense existe. L'athée n'a pas vraie science des mathématiques, parce qu'il n'a aucun motif de croire qu'il n'est pas trompé dans les choses qui lui paraissent les plus évidentes. La puissance de penser peut étre infinie en Dieu, sans diminuer en rien la nôtre; on en peut dire autant de ses autres attributs; il peut donc être conçu infini, sans exclusion des choses créées.

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IV. Il faut distinguer le mensonge verbal du mensonge d'intention, et c'est le second qui serait commis si Dieu nous trompait dans l'évidence. Dieu peut prononcer temporairement quelque mensonge dans l'intérêt des hommes, mais nos jugements clairs et distincts ne sont pas susceptibles d'être corrigés par d'autres; et s'il nous trompait, notre erreur serait éternelle. Ceux qui se sont trompés dans les choses qui leur paraissaient plus claires que le soleil s'appuyaient, non sur une conception distincte, mais sur les sens ou sur quelque préjugé.

V. La foi a pour objet des choses obscures, mais la raison qui nous détermine à les croire est distincte et claire; et cette raison est une lumière intérieure et surnaturelle que Dieu nous accorde par sa grâce. Si les infidèles pèchent, c'est en résistant à cette grâce ou en ne la méritant pas; et si, destitués de la grâce, ils se laissent attirer à la religion par de faux raisonnements, ils pèchent, parce qu'ils ne se servent pas

bien de leur raison. Au reste, la règle que j'impose à la volonté de ne suivre que les conceptions claires, n'est applicable qu'aux choses spéculatives et non aux choses pratiques.

VI. L'essence de Dieu est possible, car elle ne répugne pas à l'intelligence humaine. Quoique nous ne concevions Dieu que fort imparfaitement, nous n'en avons pas moins une idée assez claire pour savoir que sa nature est possible, ou qu'elle n'implique pas contradiction.

VII. J'ai dit ailleurs pourquoi je n'avais pas traité de l'immortalité de l'âme; et je crois avoir suffisamment prouvé la distinction de l'âme et du corps. Dans la méthode des géomètres il y a deux points à considérer: 1° l'ordre, qui consiste en ce que les choses proposées les premières doivent être connues sans le secours des suivantes, et celles-ci démontrées à l'aide des premières; 2° la manière de démontrer, qui se divise en analyse, en synthèse. La première est a voie même par laquelle la vérité a été découverte; c'est celle que j'ai suivie dans les Méditations; la seconde n'est pas aussi applicable aux vérités métaphysiques qu'aux principes géométriques, qui sont en rapport avec les sens. Cepen dant on peut essayer cette route. (Abrégé des Méditations, disposé, suivant la méthode géométrique, en définitions, demandes, axiomes, théorèmes et démonstrations.)

TROISIÈMES OBJECTIONS,

PAR M. HOBBES,

AVEC LES RÉPONSES DE L'AUTEUR.

I. Il y a longtemps qu'on a remarqué l'incertitude des choses sensibles. L'auteur aurait dû s'abstenir de publier des observations si anciennes.

Réponse. On ne les a pas publiées pour acquérir de la gloire, mais pour décrire la maladie dont on voulait enseigner le remède.

II. De ce que je pense, on peut inférer que je suis, mais non pas que je suis un esprit. On ne peut concevoir un acte sans un sujet; la pensée sans une chose qui pense, et par conséquent sans quelque chose de corporel, car tout sujet est considéré comme matériel.

Réponse. J'ai ajourné la question de savoir si tout ce qui pense est corporel. Tout le monde distingue des substances spirituelles et des substances corporelles.

III. L'entendement et le sujet qui entend sont deux choses différentes.

Réponse. Je ne nie pas que moi qui pense je ne sois dis tinct de ma pensée; mais je ne m'attache en cet endroit qu'à la distinction des différentes manières de penser.

IV. L'auteur n'établit pas bien la différence qui existe entre l'imagination et l'entendement. Imaginer, c'est avoir quelque idée; et entendre, c'est conclure par le raisonnement que quelque chose existe. Mais si le raisonnement n'était qu'un assemblage de noms, par le mot cst, nos conclusions ne porteraient pas sur la nature des choses, mais seulement sur l'accord des appellations que nous leur aurions imposées. De sorte qu'il faudrait rapporter le raisonnement aux noms, les noms à l'imagination, et l'imagination au mouvement des organes corporels.

Réponse. Le raisonnement n'assemble pas les noms, mais les choses signifiées par ces noms. Pour imposer des noms, il faut connaître les choses. Si l'on affirme que l'esprit est un mouvement, on peut tout aussi bien affirmer que la terre est le ciel.

V. L'idée étant une image, nous n'avons pas idée de Dieu. Réponse. J'entends quelquefois par idée tout ce qui est immédiatement conçu par l'esprit.

VI. Dans la volonté ou dans la crainte, il n'y a rien autre chose que l'idée de l'objet, et un mouvement du corps pour le rechercher ou le fuir; ce mouvement n'est pas une pensée; il n'y a donc rien de plus dans la crainte et la volonté que dans l'idée. Le jugement n'est que la jonction d'un nom à une idée, et en conséquence n'ajoute rien à l'idée.

Réponse. C'est autre chose de voir un lion, autre chose de le craindre; et voir un homme qui court n'est pas assurer qu'on le voit.

VII. Comme il n'y a point d'idée de Dieu, il est inutile d'en chercher l'origine. Nous n'avons pas non plus l'idée de l'âme, mais la raison nous fait concevoir qu'il y a dans l'animal quelque chose qui le fait sentir et se mouvoir.

Réponse. Comme il y a une idée de Dieu, votre objection est renversée; vous accordez que la raison nous fait concevoir l'âme, c'est ce que j'appelle en avoir idée.

VIII. Ce que l'astronomie démontre du soleil n'est pas une idée du soleil: il n'y a d'idée du soleil que celle qui nous est fournie par la vue.

Réponse. Tant qu'on ne voudra pas convenir avec moi de l'acception des termes, on ne me fera que des objections frivoles. IX. Nous n'avons pas non plus d'idée de substance; comment d'ailleurs une idée pourrait-elle avoir plus de réalité objective qu'une autre? Peut-on être plus ou moins réel?

Réponse. J'entends par idée, non pas seulement ce que les sens nous montrent, mais aussi ce que la raison nous fait connaître. Une chose n'est pas plus ou moins réelle, mais sa réalité est plus ou moins étendue.

X. L'idée que nous avons de Dieu se tire des objets extérieurs par le raisonnement; elle n'est pas née en nous, car nous ne pensons pas dans le profond sommeil.

Réponse. Les objets extérieurs ne peuvent être les causes exemplaires de l'idée que nous avons de Dieu; car il n'y a rien en lui qui leur ressemble. Quand je dis qu'une idée est née avec nous, je n'entends pas dire qu'elle est toujours présente à notre pensée, mais j'entends seulement que nous avons en nous-mêmes la faculté de la produire.

XI. L'existence de Dieu n'est pas démontrée par celle de moi-même en tant que j'ai l'idée de Dieu, puisque Dieu est inconcevable.

Réponse. Lorsqu'on dit que Dieu est inconcevable, on entend parler d'une conception qui le comprenne totalement et parfaitement.

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