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XII. L'ignorance provient, sans aucun doute, de l'absence d'une faculté; mais il ne paraît pas qu'il en soit de même de l'erreur la pierre ne peut errer, parce qu'elle n'a pas d'entendement; il semble donc que l'erreur procède d'une faculté positive.

Réponse. Pour faillir, il est besoin de la faculté de juger; mais il ne s'ensuit pas que l'erreur soit quelque chose de positif ou de réel dans la faculté de juger, c'est seulement l'absence d'une perfection.

XIII. Il ne dépend pas de la volonté de savoir ou de croire les choses; nous les croyons quand elles sont démontrées, que nous le voulions ou que nous ne le voulions pas.

Réponse. Quand nous croyons une chose, nous ne pouvons pas ne pas vouloir la croire.

XIV. Si le triangle n'est en aucun lieu du monde, je ne puis comprendre comment il a une nature. L'essence n'est que par l'existence.

Réponse. L'essence et l'existence sont distinguées par tout le monde.

XV. Dieu peut nous tromper quelquefois pour notre bien, donc il n'est pas certain que le monde matériel existe.

Réponse. Sans doute il peut nous tromper quelquefois; mais il suffit que notre penchant à croire au monde matériel soit vrai, dans le plus grand nombre des cas, pour qu'il mérite confiance.

XVI. Ne pouvons-nous pas rêver que notre songe se lie à notre vie passée, et cette illusion ne fera-t-elle pas évanouir la distinction que vous placez entre le rêve et la veille? L'athée ne peut-il pas reconnaître qu'il veille par la mémoire de ses actions passées? Donc, pour avoir cette connaissance, on n'a pas besoin de celle de Dieu.

Réponse. Ce ne serait qu'imparfaitement qu'on pourrait, en rêve, lier un songe à sa vie passée. L'athée peut reconnaître qu'il veille par la mémoire de ses actions passées, mais non d'une manière certaine, s'il ne sait pas qu'il a été créé de Dieu, et que Dieu n'est pas trompeur.

QUATRIÈMES OBJECTIONS,

PAR ARNAULD.

I. De la nature de l'esprit humain. Que l'existence soit prouvée par la pensée, il n'en résulte pas que notre esprit soit distinct de notre corps. De ce que je me connais, en même temps que j'ignore s'il y a aucun corps au monde, il ne suit pas que nul corps n'existe, ni que la pensée seule m'appartienne. Deux choses conçues clairement comme complètes peuvent être séparées par la toute-puissance de Dieu; mais qui vous assure que la pensée soit complète sans l'étendue, et que le corps soit complet sans la pensée ? Cet argument d'ailleurs n'irait-il pas jusqu'à prouver qu'il n'y a rien en moi de corporel, et que l'homme est un pur esprit? L'idée de la pensée sans étendue ne peut-elle pas être une idée abstraite, comme celle de la ligne sans largeur? et l'exemple des enfants et des fous ne prouve-t-il pas que la pénsée est attachée aux organes corporels? Peut-on croire que les animaux ne pensent pas, et peut-on expliquer la fuite de la brebis à la vue du loup par un nouvement mécanique?

II. De Dieu. Ce n'est pas l'idée qui est fausse, mais le jugement qui la rapporte à un objet extérieur. Si l'idée du froid représente une privation, elle est vraie; si elle représente un être positif, elle n'est pas l'idée du froid : de plus, une idée positive ne peut venir du néant. Dieu n'est pas à l'égard de lui-même ce que la cause efficiente est à l'égard de son effet. La cause précédant l'effet, l'objet aurait l'être comme cause avant de le recevoir comme effet, ce qui est absurde; et d'ailleurs, s'il l'a déjà, pourquoi se le donnerait-il? Ce qui ne peut pas se créer soi-même ne peut pas davantage se conserver, car ce serait se reproduire continuellement. On ne demande pas la cause efficiente de la nature du triangle; on ne doit pas non plus demander celle de la nature de Dieu, et cette nature comprend l'existence. Faire reposer l'évidence sur l'existence de Dieu, c'est s'engager dans un cercle, car

l'existence de Dieu repose elle-même sur l'évidence. Il n'est pas exact de dire que rien ne peut exister dans l'esprit, dont il n'ait connaissance.

III. Des choses qui peuvent arréter les théologiens. Il faudrait avertir que le doute proposé par l'auteur n'est qu'une fiction; que lorsqu'il explique la cause de l'erreur, il entend parler de celle qui se commet dans le discernement du vrai et du faux, et non dans la poursuite du bien et du mal; que le précepte de ne donner notre créance qu'aux vérités conçues clairement et distinctement s'étend seulement aux sciences, et non aux matières de foi et aux actions de la vie. Ce qui est blâmable ce n'est pas la croyance à l'autorité, mais seulement l'opinion. Enfin, des principes de l'auteur il paraîtrait résulter que la substance étant ôtée du pain eucharistique, les accidents n'y demeureraient pas, puisqu'il n'entend par accidents que les mouvements de la substance.

RÉPONSES AUX QUATRIEMES OBJECTIONS.

I. Ce que je connais en moi me suffirait pour exister; je suis donc assuré que Dieu pouvait me créer sans les autres choses que j'ignore, et que, par conséquent, elles n'appartiennent pas à mon essence. Pour établir une distinction réelle entre deux choses, il n'est pas besoin d'une connaissance complète, telle que cette connaissance est en Dieu; il suffit que nous les connaissions comme pouvant exister par ellesmêmes et indépendamment l'une de l'autre, ou, en d'autres termes, cornme des substances; et c'est là ce que j'entends par choses complètes. De ce que l'âme et le corps sont distincts, il ne résulte pas que l'homme soit un pur esprit ; et j'ai établi que l'âme et le corps sont substantiellement unis. La pensée peut être troublée par les organes sans en être le produit. Quant à la question de l'âme des bêtes, je pense que le mouvement s'accomplit toujours dans les animaux, comme quelquefois en nous-mêmes, c'est-à-dire sans intervention de la raison, et seulement parce que les sens, frappés par les objets extérieurs, réagissent sur les esprits animaux.

II. En parlant d'idées fausses, j'ai voulu dire que quelques

unes peuvent induire le jugement en erreur; en disant que Dieu est par soi comme par une cause, j'ai entendu que la raison pour laquelle il n'a pas besoin de cause est une raison positive; cette raison est son immensité. La notion de l'existence de Dieu ne nous est pas nécessaire pour nous en rapporter à la clarté d'une idée, au moment même où cette idée est dans notre esprit, mais seulement pour admettre la conséquence d'un principe que nous avons oublié, et que nous nous souvenons d'avoir conçu clairement autrefois. Enfin j'ai affirmé qu'il n'y avait rien dans l'esprit dont nous n'eussions connaissance, en ce sens que nous en connaissons toutes les opérations, mais non toutes les facultés.

III. Je reconnais les dangers du doute, la distinction qu'il faut établir entre la spéculation scientifique d'une part, et de l'autre les matières de la foi et la pratique de la vie. Les objets extérieurs n'agissent sur nos sens que par la superficie, et cette superficie n'est que la limite du mouvement des particules du corps; quand une substance est mise en la place d'une autre, si ses particules se meuvent comme celles de la première, elle nous affectera de la même manière; et voilà comment la substance étant changée, les qualités ou les accidents restent les mêmes, bien que ces accidents n'aient aucune substance particulière.

CINQUIÈMES OBJECTIONS,

PAR GASSENDI.

CONTRE LA PREMIÈRE MÉDITATION.

Des choses qui peuvent être révoquées en doute.

Il aurait fallu tenir les connaissances seulement pour incertaines, afin de mettre ensuite à part celles qu'on reconnaîtrait pour vraies; au lieu de les regarder toutes comme fausses (ce qui est se revêtir d'un nouveau préjugé), et de recourir à la fiction d'un Dieu trompeur et d'un sommeil perpétuel, fiction indigne d'un philosophe.

DESCARTES.

CONTRE LA SECONDE MÉDITATION.

De la nature de l'esprit humain, et qu'il est plus aisé de le connaître que le corps.

I. Il n'était pas besoin d'un si grand appareil pour prouver que vous êtes; on pouvait le conclure de toute action; car la difficulté n'est pas de savoir si l'on existe, mais ce que l'on est. Il ne faut pas refuser au corps le mouvement spontané.

II. On ne doit pas attribuer exclusivement au corps la forme, l'étendue, l'impénétrabilité et la mobilité, car la conscience ne nous montre nullement que ces qualités n'appartiennent pas à l'être qui pense.

III. L'être qui pense s'accroît et s'affaiblit avec le corps; il meut les membres, et doit par conséquent se mouvoir; il peut être un corps subtil. Il faut prouver que nul corps ne pense, que l'âme des bêtes est immatérielle, et que le corps humain ne contribue en rien à la pensée.

IV. L'âme ne pense pas toujours: pense-t-on pendant la léthargie, dans le sein de sa mère, ou quelques instants après en être sorti?

V. Vous ne vous connaissez pas par une pensée différente de l'imagination : quand vous vous contemplez vous-même, vous vous représentez une substance pure, claire, subtile, qui se répand dans le corps ou du moins dans le cerveau ; les choses que vous concevez par l'imagination ne peuvent convenir, dites-vous, à la connaissance que vous avez de vousmême; et vous avez dit un peu auparavant que vous ne saviez pas encore si elles appartenaient ou non à votre essence.

VI. Il n'y a pas d'intellection qui ne soit une imagination, ni d'imagination qui ne soit une intellection.

VII. Si vous mettez la faculté de sentir parmi les modes de la pensée, le sentiment des bêtes est une pensée; or comme leur âme est matérielle, celle de l'homme peut l'être aussi.

VIII. L'intellection que vous avez de la substance de la cire est une imagination, car vous ne pouvez dépouiller cette substance de toute étendue, de toute forme, de toute cou

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